Page images
PDF
EPUB

pas, il s'expose à

pagne, que pour appercevoir les meubles qui sont dans votre chambre.

Mais le premier coup d'œil ne suffit pas pour démêler tout ce qui se montre à nous dans un espace fort étendu. Vous êtes obligé d'aller d'un objet à un autre, de les observer chacun en particulier; et ce n'est qu'après les avoir parcourus avec ordre, que vous êtes capable de distinguer plus de choses à la fois. Or vous suppléez à la foiblesse de votre esprit avec le même artifice que Vous employez pour suppléer à la foiblesse de votre vue; et vous n'êtes capable d'embrasser un grand nombre d'idées, qu'après que vous les avez considérées chacune à part.

à

Vous ne savez peut-être pas, Monseigneur, ce que c'est qu'un esprit faux ; il est propos de vous l'apprendre, car vous en rencontrerez beaucoup dans le monde. S'il n'y réussit Un esprit faux est un esprit très-borné : c'est un esprit qui n'a pas contracté l'habitude d'embrasser un grand nombre d'idées. Vous voyez par-là qu'il doit souvent en laisser échapper les rapports. Il ne lui sera donc pas possible de s'assurer de la

être iaux.

vérité de tous ses jugemens. S'il a l'ambition de faire un systême : il tombera dans l'erreur: il accumulera contradictions sur contradictions, absurdités sur 'absurdités. Je vous en donnerai quelque jour des exemples, et vous sentirez combien il est important d'étendre votre esprit, si vous ne voulez pas qu'il soit faux.

Mais, me direz-vous, j'aurai beau l'étendre, il sera toujours borné, et par conséquent toujours faux.

l'esprit faux.

L'esprit n'est pas faux, précisément parce ce qui caractérise qu'il est borné, mais parce qu'il est si borné, qu'il n'est pas capable d'étendre sa vue sur beaucoup d'idées : il ne se doute pas même de tous les rapports qu'il faut saisir, avant de porter un jugement: il juge à la hâte, au hasard, et il se trompe.

l'esprit juste.

Celui qui au contraire s'est accoutumé ce qui caractérise de bonne heure à se porter sur une suite d'idées, sent combien il est nécessaire de tout comparer pour juger de tout. Lors donc qu'il n'est pas assez étendu pour embrasser un systême, il suspend ses jugemens, il observe avec ordre toutes les parties, et il ne juge que lorsqu'il est assuré

C'est la liaison des idées qui fait toute la netteté de nos pensées.

Elle fait donc aussi toute la netteté des discours.

que rien ne lui a échappé. Le caractère de l'esprit juste, c'est d'éviter l'erreur, en évitant de porter des jugemens; il sait quand il faut juger; l'esprit faux l'ignore et juge toujours.

Quoique plusieurs idées se présentent en même temps à vous, lorsque vous jugez, que vous raisonnez, et que vous faites un systême; vous remarquerez qu'elles s'arrangent dans un certain ordre. Il y a une subordination qui les lie les unes aux autres. Or plus cette liaison est grande, plus elle est sensible, plus aussi vous concevez avec netteté et avec étendue. Détruisez cet ordre, la lumière se dissipe, vous n'appercevez plus que quelques foibles lueurs.

Puisque cette liaison vous est si néces saire pour concevoir vos propres idées, vous comprenez combien il est nécessaire de la conserver dans le discours. Le langage doit donc exprimer sensiblement cet ordre, cette subordination, cette liaison. Par conséquent le principe que vous devez vous faire en écrivant, est de vous conformer toujours à la plus grande liaison des idées : les différentes applications que

nous ferons de ce principe, vous apprendront tout le secret de l'art d'écrire.

le caractère.

Je puis même déjà vous faire entrevoir Elle en fait même comment ce principe donnera au style différens caractères. Si nous réfléchissons sur nous-mêmes, nous remarquerons que nos idées se présentent dans un ordre qui change suivant les sentimens dont nous sommes affectés. Telle dans une occasion nous frappe vivement, qui se fait à peine appercevoir dans une autre. De-là naissent autant de manières de concevoir une même chose, que nous éprouvons successivement d'espèces de passions. Vous comprenez donc que, si nous conservons cet ordre dans le discours, nous communiquerons nos sentimens en communiquant nos idées.

Je ne sais si le principe que j'établis pour l'art d'écrire, souffre des exceptions; mais je n'ai pu encore en découvrir.

Subordination des mots dans le discours.

CHAPITRE I I.

Comment dans une proposition, tous les mots sont subordonnés à un seul

DANS cette phrase, un prince éclaire

est persuadé que tous les hommes sont égaux, et qu'il ne se met au-dessus d'eux, qu'en donnant l'exemple des ver tus: éclairé est subordonné à prince; est persuadé, à prince éclairé ; que tous les hommes sont égaux, et qu'il ne se me au-dessus d'eux, à persuadé; et qu'en leur donnant l'exemple des vertus, à ne se met au-dessus d'eux.

Le propre des mots subordonnés est de modifier les autres, soit en les déterminant, soit en les expliquant. Eclairé modifie prince, parce qu'il le détermine à une classe moins générale; et tout le reste do la phrase modifie prince éclairé, parce qu'il explique l'idée qu'on s'en fait. Vous

« PreviousContinue »