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le prodige de notre Patrie, que, durant la révolution la plus tumultueuse et la plus féconde en vicissitudes, les palmes de la Littérature n'aient pas été brisées par l'orage, et séchées jusques dans leurs racines!

Elles ont continué de croître; de nouveaux succès ont encore enrichi cette Littérature si vaste ; mais ce n'est point à moi d'en rappeler le souvenir. Le lieu où je parle m'impose une contrainte qui a dû se faire sentir dans toute cette peinture de la dernière moitié du dix-huitième Siècle. Ce Tableau, pour être complet, devait n'être pas offert à mes juges, assez généreux pour s'en exclure eux-mêmes en y attachant un prix. Cette exclusion en exige une autre ; je ne ferai paraître dans ce discours aucun de ceux qui, vivans encore, pourraient y porter leurs regards.

La peinture de cette époque est réservée à des pinceaux plus habiles. A la voix d'un Prince ami des Lettres, s'élève ce beau Monument où seront marqués tous les pas que les Sciences et les Arts ont encore faits de nos jours. C'est là que la justice et la vérité

Sauront suppléer à ce que je n'ai pu dire. Pour moi, ma tâche est remplie ; ce tableau que j'ai dû tracer, le voilà: je l'ai peint sans fiel et sans flatterie (1).

Portons maintenant nos regards sur son ensemble. Cherchons dans le dix-huitième Siècle, non plus les grands Hommes qu'il vit naître, mais les progrès réels et nombreux des Lettres et de l'Esprit humain durant cette époque brillante. La Poésie doit d'abord attirer notre attention; elle peut se considérer chez tous les peuples comme l'aurore de la Littérature. Son éclat est souvent momentané: souvent on le voit pâlir à mesure que l'horizon s'agrandit et s'éclaire. Mais quel horizon plus vaste et plus lumineux que celui des connaissances humaines au dix-huitième Siècle ! et cependant quel éclat, quelle richesse de poésie! Si l'on excepte la Fable et même la Comédie, trop évidemment déchues dans ce siècle, quoiqu'elles puissent encore y revendiquer des chefs-d'œuvres, tous les genres traités avec

(2) Sine ird et studio.

TAC.

gloire sous le règne de Louis XIV, se sont maintenus à une grande hauteur dans des ouvrages du règne suivant ; et deux genres très-élevés qui manquaient au dix-septième Siècle, ont puissamment concouru à illustrer le dix-huitième, je veux dire l'Ode et l'Épopée. On ne saurait d'ailleurs nier que notre langage poétique ne se soit montré plus fertile en expressions pittoresques, plus varié quelquefois, et sur-tout moins dédaigneux, moins borné dans ses peintures. Quant à la vraie Éloquence, où la trouverons-nous jusqu'alors ? Dans la Chaire, et dans deux ouvrages de Pascal et de Fénelon. Mais quelles immenses conquêtes n'a-t-elle pas faites depuis ? Les descriptions de la nature, l'analyse des passions, les principes de la morale, l'exposé même des systèmes des Sciences, tout a été de son domaine : et nous avons vu reparaître l'Éloquence politique des Anciens, qui semblait pour toujours ensevelie sous les débris de Rome et d'Athènes.

L'Histoire n'avait été souvent que le récit des batailles, et la peinture des Cours; elle est devenue le tableau des usages, des mœurs

et des lumières des Peuples. Les traductions, la saine critique littéraire, et j'ajouterais la rhétorique, si l'Art poétique n'existait pas, appartiennent presque sans partage à la même époque. Parmi les Sciences physiques et les Sciences exactes, les unes ont été pour ainsi dire recréées, toutes ont fait des progrès sans nombre, toutes se sont alliées aux Lettres, à l'art d'écrire ; et cette alliance mémorable a rendu les Lettres françaises les dépositaires des découvertes, des connaissances de l'Europe entière, de toutes les richesses de l'Esprit humain. Enfin, si après le règne de Louis XIV, la France s'enorgueillissait d'un siècle qu'elle pouvait opposer sans crainte au plus fameux, au plus grand de tous les âges littéraires, la France, après le dix-huitième Siècle, possède la plus variée, la plus complète peutêtre de toutes les Littératures.

Ainsi notre heureuse Patrie, seule entre toutes les Nations, a triomphé des arrêts de cette destinée jusqu'alors invincible, qui semblait refuser au Génie deux âges consécutifs de succès et de grandeur : elle a réuni deux de ces siècles qui méritent de faire épo

que

dans l'histoire de l'Esprit humain, dont ils signalent toute la force.

Français cette gloire est immense; elle ! n'appartient qu'à vous. Ne vous en montrez pas indignes en la laissant dépérir. Héritiers industrieux de vos opulens ancêtres, accroissez encore ce noble héritage : que cette succession de triomphes ne finisse point à vous. Démentez, démentez aussi l'inconstance des destinées humaines. Osez du moins le tenter. Le premier pas vers les grandes choses est l'espérance d'y parvenir. Osez l'avoir cette généreuse espérance : le grand Siècle qui vient d'expirer semble vous la léguer luimême. Toute sa gloire n'a pas reposé sur quelques hommes supérieurs dont l'existence est passagère, et qui dans l'Empire des Arts laissent rarement de postérité. Non, la France toute entière a pris part à leurs succès, a idolâtré leurs talens, s'est éclairée de leurs lumières, et elle a fait de tant de gloire un patrimoine vraiment national. Cette admiration pour les talens, ces lumières ne sont pas éteintes. Tant d'ouvrages consacrés aux saines doctrines, tant d'excellentes critiques, de traités d'Eloquence et de Poésie,

tant

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