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nouveaux établissemens favorables au progrès des connaissances humaines. Il semblait que l'amour-propre de la Nation ne trouvant point alors d'alimens dans les faits d'armes et dans les événemens de la Politique, se fût retranché tout entier dans les succès de la Littérature.

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Bien au dessus de toutes ces réunions, qui cependant méritent un souvenir, l'Académie Française, environnée de la considération publique, brillait depuis le milieu du Siècle, d'un éclat qu'elle n'avait jamais eu auparavant, lors même que sous le règne de Louis, elle possédait dans son sein les Bossuets et les Fénélons, les Corneilles et les Racines. Ses séances, long-tems désertes, étaient devenues en quelque sorte un spectacle national, qui rappelait, sans les égaler, les solennités littéraires de la Grèce. Les discours de réception ne se bornaient plus à un vain protocole de louanges et de remercîmens. Des questions utiles aux lettres ou à la philosophie s'y trouvaient quelquefois traitées avec autant de justesse que d'élégance. On abandonnait dans les concours ces dissertations oiseuses sur la Morale, pa

trimoine héréditaire des rhéteurs. On proposait à l'émulation publique les Éloges des grands hommes qui avaient honoré la patrie. Les sujets vraiment oratoires font naître les Orateurs. C'est peut-être à cette heureuse innovation que nous devons le panégyriste de Descartes et de Marc-Aurèle. Nous lui devons du moins l'Essai sur les Eloges, ouvrage trop peu vanté, où les causes de la grandeur et de la décadence des lettres, considérées chez tous les Peuples dans leur rapport avec les événemens politiques, sont quelquefois pénétrées avec une supériorité de raison, exposées avec un éclat et une énergie de style qui décèlent un heureux disciple de Tacite et de Montesquieu; chefd'œuvre d'un Orateur en qui tant de gens affectent de méconnaître un esprit vigoureux, une ame élevée ; et qui doit en effet, trouver à ce double titre, plus de censeurs que de rivaux.

L'exemple donné par l'Académie française. ne tarda pas à être suivi de toutes les Sociétés savantes. L'Éloge de Corneille fut proposé à Rouen comme l'Éloge de Dú quesne à Marseille, l'Éloge de Leibnitz à

Berlin, où un Français remporta le prix. Et l'Éloquence académique, long-tems accusée de n'avoir aucun objet, acquit un intérêt patriotique, une considération légitime, dès lors qu'on la vit appelée à faire dans l'éloge de nos grands Hommes le panégyrique de la Nation.

L'Eloquence judiciaire dont on a vu les progrès au commencement du siècle, en s'alliant depuis à la philosophie, en avait reçu plus d'intérêt, plus de force et de grandeur. Chaque fois que dans les Cours du Royaume il se présentait de ces questions principales dont la solution importe à l'ordre des sociétés humaines, et qui permettent les vues générales, elles y trouvaient à la fois des talens faits pour les agiter, une sagesse capable de les résoudre. Les Servans, les Dupatys, les Lachalotais, les Montclars, faisaient alors entendre dans le sanctuaire de nos Lois, des harangues dignés par leur philosophie du siécle où elles étaient prononcées, dignes par leur éloquence du bareau d'Athènes ou de Rome, et qui semblaient présager ce que devait être parmi nous l'éloquence politique, quand des événe

mens prochains, mais imprévus, viendraient en ouvrir la carrière.

Avant même qu'elle se fût agrandie par ces dernières conquêtes, l'Eloquence avait brillé d'un tel lustre dans les grands Maîtres de ce siècle, elle avait exprimé les passions avec tant de charme et d'énergie, elle avait peint la nature avec tant de grace et de fierté, qu'elle était enfin devenue un objet d'émulation pour la Poésie elle-même, et devait à son tour influer sur cet art difficile et sublime qui, dans toutes les littératures, commence par la devancer, et finit quelquefois par la suivre.

Notre poésie, qui s'est formée principale ment au théâtre, abondante en traits de sentimens, et en expressions morales, était loin d'être aussi féconde en images et en tournures pittoresques. Mais lorsque la prose française se fut montrée sous les pinceaux de Buffon et de J. J. Rousseau, si hardie et si vraie dans ses peintures, si riche dans ses couleurs, alors on dut éprouver la noble ambition de transporter dans la Poésie ces pein

tures

turės dont le dessin était tracé, ces couleurs qu'on trouvait, pour ainsi dire, toutes préparées et assorties sur la palette de ces grands peintres. L'amour des Sciences plus répandu parmi les Hommes de Lettres, dut aussi faire universellement adopter l'exemple donné par Voltaire d'associer les images de la Poésie aux grandes idées de la Physique. Enfin la connaissance des poètes anglais que ce grand homme nous avait apportée de son voyage dans leur île, devait attirer l'attention de nos poètes sur les scènes de la vie champêtre et les grands tableaux de la nature. De ces trois causes réunies naquit un goût général pour les descriptions poétiques. De même que Newton et Loke, Thompson eut ses imitateurs. Malheureusement il n'y avait à imiter dans Thompson que des détails, et l'on voulut encore imiter sa composition; et au lieu de se borner à répandre plus de descriptions dans les poèmes, plus de coloris. dans les descriptions, d'une suite de descriptions on voulut faire un nouveau genre de poème: c'est ce qu'on a depuis si improprement appelé le Poème descriptif. Comme s'il pouvait y avoir une sorte de poème où

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