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Organe de la Nation, une illustre Académie, appelant tous les regards sur les triomphes littéraires accumulés durant le cours de cette époque célèbre, en a demandé le Tableau et, après trois ans, elle le demande encore! et la palme la plus honorable qui jamais ait été offerte à l'émulation publique reste, après trois ans, à cueillir!.... Ce qu'aurait dû faire l'Eloquence, le zèle osera le tenter. Je me présente dans la car. rière, moins excité par l'éclat d'une si glorieuse Couronne que par l'intérêt patriotique de mon sujet, et souhaitant de bien faire ou qu'un autre fasse mieux que moi.

L'Homme dont la main puissante a porté Je Sceptre littéraire pendant la plus belle moitié du dix-huitième siècle, caractérisant d'un seul trait l'âge brillant qui l'avait précédé, de tous les siècles, a-t-il dit, c'est celui où l'esprit des homines s'est le plus généralement 'éclairé (1). Pour moi, sans faire à mon sujet l'application de ces paroles remarquables, je

(1) Voltaire.

vais peindre et non pas juger. C'est à vous, Messieurs, c'est à la Nation, à l'Europe entière, qu'il appartient de décider şi telle est en effet l'inscription que doit offrir le TABLEAU LITTÉRAIRE DE LA FRANCE AU DIXHUITIÈME SIÈCLE.

Dans ce tableau vont paraître d'abord ceux dont les talens ou les lumières ont embelli l'aurore de ce siècle et préparé sa splendeur : toutes les connaissances humaines, tous les genres de littérature, s'y montreront isolés, et pour ainsi dire épars. On les verra longtems ensuite se développer et s'étendre, enfin s'approcher et s'unir. Alors, portant nos regards sur le magnifique ensemble d'un siècle où tout s'agrandit en s'éclairant, il faudra nous efforcer de déterminer avec justesse la nature de ses travaux, de fixer avec précision l'étendue et les bornes de ses conquêtes. Ainsi, conduits par degrés des exemples qu'il nous laisse aux espérances qu'il nous donne, nous pourrons juger des secours qu'il a transmis lui-même à l'âge présent, pour le suivre, pour l'atteindre peut-être, dans la carrière illimitée du génie et de la gloire.

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Dans les Républiques littéraires comme dans les Empires politiques, les événemens d'un siècle ont des causes plus ou moins éloignées dans les siècles précédens. Quiconque veut les apprécier avec exactitude doit considérer avant tout leur place dans l'ordre des tems, et l'impulsion qui leur fut donnée.

On remarque au seizième siècle un mouvement général imprimé à l'esprit humain chez tous les Peuples de l'Europe. Le Génie à son réveil secoue les chaînes de l'École; bientôt il se fera des aîles pour sortir du labyrinthe des Autorités (1). La Science, rappelée à l'observation et à l'indépendance, n'est plus un culte caché dans un langage symbolique, révélé par des initiations. La Théologie devient philosophique: et la Philosophie commence son apostolat pour le Genre humain, en cessant d'être un sacerdoce. L'Allemagne a son Pythagore, et le vrai Système du monde

(1) On ne veut parler ici que des Autorités scholastiques. Les Autorités religieuses furent généralement respectées par les Philosophes de cette époque.

est dévoilé: l'Angleterre enfante Bacon qui, à l'entrée de toutes les routes que la raison peut parcourir, place le flambeau de l'expérience: l'Italie des Médicis se montre l'héritière et l'émule de l'Italie des Césars; et la France enfin s'avance vers cette gloire des Lettres dont va bientôt déchoir l'Italie (1). Les grands Modèles de l'Antiquité, qui n'avaient encore fait naître que des commentateurs, commencent à former des disciples; et notre Langue, qui d'abord avait acquis quelque souplesse et un certain charme de naïveté, s'élève jusqu'à l'énergie dans des Satires piquantes, et dans des Odes nobles et harmonieuses jusqu'à l'élégance et au sublime.

(1) Il est sans doute inutile de rappeler plus longuement que le XVII. siècle, cet âge du génie et du goût dans la Littérature française, fut, pour la Littérature italienne, une époque remarquable de décadence et de corruption. Les Écrivains qui l'ont honorée durant le cours du XVIIIe. siècle, et qui l'honorent encore aujourd'hui, ne sont parvenus à une renommée éclatante et durable que lorsqu'ils se sont entièrement écartés des traces de leurs dangereux prédécesseurs.

Un nouveau siècle commence. Au besoin d'imiter et de croire avait succédé le besoin de connaître et d'inventer. Tandis que sur les débris du despotisme scholastique, la Philosophie (1) remonte jusqu'au doute et redescend aux systèmes, des Génies de toutes les trempes s'emparent à l'envi de cette Langue à qui ses heureux progrès présagent un perfectionnement rapide. Chacun d'eux lui donne à diverses mesures les qualités dominantes de son esprit, et notre Langue est souple et féconde : le talent pur, le goût exquis viennent ensuite, ils polissent l'œuvre du Génie; et notre Langue est fixée. Des Poètes, des Orateurs, dignes de la Grèce et de Rome, illustrent notre Littérature et dans les divers genres d'écrire qui tiennent plus particulièrement à l'imagination, le beau siècle de Louis, rival du siècle d'Auguste, enfante de nombreux chefs-d'œuvres

(1) Descartes. On sait qu'il déblaya, si je puis ainsi dire, la route de la vérité encombrée par de vieilles erreurs, et qu'il la sema d'erreurs nouvelles. Personne n'a mieux prouvé ce que peuvent pour la raison les chutes mêmes d'un grand homme.

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