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esprits créateurs : Fontenelle n'a rien créé, si ce n'est peut-être l'esprit de son siècle. Il n'a point ce feu du génie qui agite les ames et élève les Nations; mais sa raison lumineuse réfléchit les clartés du génie. Marchant lui-même à ce nouveau jour qu'il répandait sans le produire, il invita son siècle à le suivre, et il en fut devancé. Panégyriste des Héros et des Apôtres de la Science, il introduisit dans le monde la mémoire de ces grands Hommes dont la vie s'était écoulée dans la retraite; il les donna pour guides à ses Contemporains; et au pied des statues qu'il dressait à leur gloire, il annonça l'alliance qui devait unir dans ce siècle les Sciences et les Lettres, que l'esprit philosophique rapproche pour les féconder.

Ces premières incursions des Lettres dans le domaine des Sciences, leur présageaient des conquêtes prochaines et multipliées. Les principes de la Littérature exposés dans des Rhétoriques (1), surpassées depuis sans doute,

(1) Le Traité des Études, les Réflexions sur la Poésie, la Peinture et la Musique, etc.

mais alors placées au premier rang, annonçaient aussi les progrès réservés dans ce siècle aux Études littéraires et à l'analyse des beaux Arts. Des Historiens encore célèbres, les Rollins, les Vertots, les Bougeants, les Dubos, sans préparer toutefois la révolution mémorable qui devait bientôt s'opérer dans la manière d'écrire l'Histoire, suivaient avec goût, avec talent, les grands Modèles de l'Antiquité (1), ou s'en écartaient avec gloire. L'art des Cicérons et des Démosthènes, le véritable Art oratoire, qui, par un effet de nos institutions, ne s'était montré long-tems que dans nos Chaires évangéliques, commençait à s'introduire dans le sein de nos Tribunaux; et l'on touchait au moment où l'Éloquence philosophique, appliquée à tous les sujets, perfectionnée dans un même siècle par les talens les plus divers, allait enfin suivre dans son vol l'Éloquence religieuse qui semblait ne pouvoir plus être désormais perfectionnée.

(1) Les Plaidoyers de Cochin, les Harangues de d'Aguesseau, etc.

Voyez les Notes placées à la suite de ce Discours.

Eh! qu'ajouter, en effet, à cette auguste Éloquence, illustrée par la dialectique sévère de Bourdaloue, par l'imagination sensible de Fénelon, par le génie ardent de Bossuet? Massillon parle, et sait lui donner des graces toutes nouvelles. Par une alliance heureuse, mais peu connue jusqu'alors, il montre à la fois dans ses discours, avec une mesure exquise, le Ministre de la parole divine, le Moraliste philosophe, l'Homme de goût, l'Homme du monde, et l'élégant Académicien. Jamais on ne porta peut-être dans aucun genre de composition oratoire, un pathétique si doux, si affectueux, si tendre, et quelquefois si touchant; une peinture de mœurs si vraie et si pénétrante, une élocution si pure et d'une aussi flatteuse harmonie. Jamais on ne sut rendre plus aimables les préceptes d'une Morale austère et sainte, dont la prédication, souvent infructueuse, méritait alors d'autant plus de respect, que les mœurs de la Cour et de la Nation s'en écartaient davantage.

Au long règne de Louis avait succédé la Régence, et au rigorisme outré des dernières années de ce règne, une licence sans frein

suite malheureusement trop naturelle d'une austérité hypocrite. La France entière était alors dans un état de crise et de convulsion. Un Systéme trop vaste pour n'être pas téméraire, avait agité l'État en bouleversant les Finances; et des révolutions rapides dans les fortunes avaient causé dans les mœurs une révolution plus durable et plus funéste.

A cette époque, tout change dans les Lettres comme dans les Mours; je me trompe, tout paraît changer. Si l'œil perçant du Philosophe retrouvait, au masque près, dans les Favoris de Philippe les Courtisans de Louis, un observateur attentif pouvait démêler sans peine, à travers les frivolités et l'ivresse passagère de la Nation, cette tendance des esprits vers les études sérieuses qui s'était manifestée à la suite des revers et dans les dernières années du règne de Louis XIV. Ce qui caractérise la Régence, c'est cet amour des nouveautés, ce penchant à l'innovation qu'on croirait vouloir tout détruire, et qui se borne à tout agiter. Il se montrera plus tard et avec plus d'éclat dans les recherches de nos Savans, dans les méditations de nos Philosophes; il se fait sentir dès-lors dans notre

Littérature qu'il semble devoir corrompre, et ne fait bientôt qu'enrichir.

Dans l'Époque précédente, les plus grands maîtres avaient promulgué les Lois du goût, après les avoir suivies ; à l'époque dont je parle, on voulut abroger ces Lois après les avoir violées. L'Auteur d'un Roman héroïque prétendit surpasser Homère en imitant Fénelon. A quelque prix que ce fût, il voulait avoir fait un poème; et, pour le prouver, il écrivit contre la Poésie. Au prétendu chantre de Séthos était alors uni de principes un Académicien célèbre, prosateur spirituel et facile, versificateur languissant et forcé. Pour des raisons très-différentes, mais avec un intérêt égal, l'Abbé Terrasson et La Motte décriaient la versification et les grands poètes ; l'un, parce qu'il avait fait de la prose, l'autre parce qu'il avait fait des

vers.

Fontenelle qui, dès-lors, avait pris sur son siècle un noble empire, favorisait par inclination, par ressentiment peut-être, les innovations que son ami ne tentait que par amourpropre. L'ennemi de Despréaux n'avait pu

se

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