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avait seul conçu l'espérance et le projet de la placer dans le domaine des Sciences positives, lorsqu'on vit enfin s'élever parmi nous une classe entière d'écrivains dont le but principal fut le développement de cette science devenue si vaste et si importante dans notre état de civilisation, où pour qu'une nation soit heureuse, il faut qu'elle soit puissante, où pour qu'elle soit puissante, il faut qu'elle soit riche, et conséquemment agricole, commerçante et industrieuse,

En même-tems une École étrangère, celle des Philosophes d'Édimbourg, poursuivait les mêmes études avec assez d'ardeur et de succès pour donner bientôt naissance à l'ouvrage de Stewart, et à celui de Smith, plus répandu, plus riche en applications vraiment utiles, quoique peut-être moins complet. Cependant, j'oserai le dire chez un peuple qui ne doit plus aujourd'hui, comme il l'a fait tant de fois, s'empresser d'être généreux envers le mérite étranger pour se dispenser

'être reconnaissant envers le mérite national, un économiste français a donné sur ces matières un livre qui, du moins pour la précision et la justesse des principes, n'a pas été surpassé. Ce livre est le traité si court, mais si fécond en résultats, de la formation et de la distribution des richesses : son auteur est ce Turgot qui rendit célèbre un court ministère par une longue influence et des bienfaits qui subsistent toujours.

Nous retrouvons aujourd'hui dans notre administration, dans nos finances, des réformes salutairesque ces économistes laborieux, utiles et trop méconnus,

avaient de loin préparées; réformes adoptées en partie dès ce tems-là, par quelques princes étrangers qu'on voyait en paix recueillir par l'accroissement des richesses et de l'industrie dans leurs états, le fruit des méditations de nos écrivains politiques.

Page 81. Les discours de réception ne se bornaient plus à un vain protocole de louanges et de remercimens. Des questions utiles aux lettres ou à la philosophie s'y trouvaient quelquefois traitées avec autant de justesse que d'élégance, etc.

Lorsque l'avocat Patru, qui était de son tems un homme éloquent, dont Boileau se fit honneur d'être l'ami, et reçut, dit-on, d'excellens conseils sur ses ouvrages, fut reçu à l'Académie française, le 5 septembre 1640, à la place de M. Porcherès d'Arbaud, il fit un remerciement qu'on trouva si beau, qu'on arréta que dorénavant tout récipiendaire en prononcerait un semblable. (a)

Vraisemblablement Patru avait consacré une partie de son discours à faire l'éloge de son prédécesseur.

Le cardinal de Richelieu, fondateur de l'Académie, vivait encore; il était tout puissant: il n'y avait pas moyen de passer ses louanges sous silence.

Après la mort du cardinal, le chancelier Séguier eut

(a) Voyez l'Histoire de l'Académie, par Pélisson.

le titre de Protecteur de l'Académie; et comme on avait toujours fait, dans les discours de réception, l'éloge du fondateur, on dut y joindre celui du Protecteur qui lui avait succédé.

Quand le chancelier mourut, ce fut le roi (Louis XIV) qui se réserva le titre de Protecteur de l'Académie ; nouvel éloge à joindre aux précédens.

Comme les traditions et les usages se conservent volontiers dans les compagnies, ces mêmes éloges se répétèrent de réception en réception; et l'usage eut enfin force de loi.

Aux éloges de l'Académie en corps, du prédécesseur, du cardinal de Richelieu, du chancelier Séguier, de Louis XIV, on ne pouvait guère se dispenser d'ajouter quelques complimens pour le roi régnant; en sorte que c'était de bon compte, six éloges que tout récipiendaire était obligé de faire entrer dans son discours.

Le directeur qui lui répondait, avait précisément le même nombre de complimens à distribuer ; car il était obligé de célébrer à son tour les mêmes personnages: seulement, à l'éloge de l'Académie, il substituait, comme de raison, celui du récipiendaire.

Tel était l'usage reçu, et qui faisait de ces discours

sur un fonds tant de fois ressassé et retourné en mille manières, de vrais tours de force extrêmement pénibles, et dont presque tout le mérite consistait à se tirer plus

ou moins heureusement des difficultés.

Aussi l'abbé Trublet disait-il, lorsqu'il fut reçu, en

1761: «Depuis plus d'un siècle qu'un homme éloquent, » le célèbre Patru, établit par son exemple l'usage » des remercîmens académiques, ils sont devenus de »jour en jour plus difficiles ; et si quelque chose pou» vait modérer l'ambition de vous être associé, ambition si vive, si générale, et dès-lors si honorable à » l'Académie, c'est le discours à prononcer devant >> vous, et après vous sur une matière que vous avez épuisée. »

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» Cependant quelque persuadé que paraisse le Public » de l'extrême difficulté des remercimens académiques, » et jusqu'à en faire une espèce d'impossibilité, il les » juge avec la dernière rigueur.

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Il est vrai que la critique s'exerçait souvent avec une maligne sévérité sur ces discours proposés en quelque sorte comme des modèles et des monumens d'éloquence, et dans lesquels l'Orateur n'étant chargé d'aucun intérét, n'avait d'autre objet, dit M. de la Harpe, que celui de bien parler.

Les Censeurs tenaient peu de compte du mérite de la difficulté vaincue; ils oubliaient que Racine lui-même avait échoué contre cet écueil, et que son discours de réception avait eu si peu de succès; qu'il ne voulut pas le faire imprimer.

Des discours prononcés dans ces occasions, un petit nombre a échappé à l'oubli; et ce sont ceux dont les auteurs ne se bornant pas aux complimens d'usage, ont traité quelque point de Littérature.

Voltaire est, dit-on, celui qui donna l'exemple de cette heureuse hardiesse.

(Extrait de la Revue, 9 juin 1805).

Cette hardiesse était heureuse sans doute; personne n'en disconvient aujourd'hui mais elle ne fut pas d'abord jugée aussi favorablement. Peu de jours après la réception de Voltaire, il parut dans les feuilles de l'abbé Desfontaines une longue lettre, assez impertinente pour trouver des lecteurs, qui fut bientôt réimprimée, puis inhumée pour toujours dans un Recueil de plates infamies (a), avec la prose de Saint-Hiacinthe et de Rigoley de Juvigny, avec les vers de Piron et ceux du poète Roi, qui se chargeaient à tour de rôle de faire à Voltaire des leçons de style, de morale et d'urbanité.

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On lit dans cette lettre, curieuse en ce qu'elle est de tout point un prodige d'ignorance et de mauvais goût « Quant au Discours de M. de Voltaire, vous n'y verrez rien de ce que vous croyez y voir. Il est tout » excepté ce qu'il doit être. Ce sont des réflexions, des observations, des morceaux de dissertations, des » lambeaux de panégyrique. Il n'y a que de remercî» ment dont il n'y a pas un seul mot : c'était son » sujet ».

M. l'abbé s'égaie ensuite sur les lambeaux de ce

(a) Le Voltairiana, ou Éloges emphygouriques de M. de Voltaire; 1 gros vol, in-8.

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