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et porter ses regards en arrière. C'est alors sur-tout qu'il importe de mettre, comme un poids dans la balance, le suffrage des contemporains.

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Dans la science du mouvement dit M. de Condorcet, il faut distinguer deux sortes de principes. Les uns sont des vérités de pure définition; les autres sont ou des faits connus par l'observation, ou des lois générales déduites de la nature des corps considérés comme impénétrables, indifférens au mouvement et susceptibles d'en recevoir. De ces derniers principes, celui de la décomposition des forces était le seul vraiment général qui fût connu jusqu'alors; et joint à ces vérités de définition sur lesquelles Huyghens et Newton n'avaient rien laissé à découvrir, il avait suffi pour établir leurs sublimes théories, et pour résoudre ces problêmes de statique, si célèbres dans le commencement de ce siècle. Mais si les corps ont une forme finie, si on les imagine liés entre eux par des fils flexibles ou par des verges inflexibles, et qu'on les suppose en mouvement, alors ces principes ne suffisent plus, et il fallait en inventer un nouveau. M. d'Alembert le découvrit, et il n'avait que vingt-six ans. Ce principe consiste à établir l'égalité, à chaque instant, entre les changemens que le mouvement du corps a éprouvés, et les forces qui ont été employées à les produire, ou, en d'autres termes, à séparer en deux parties l'action des forces motrices à considérer l'une comme produisant seule le mouvement du corps dans le second instant, et l'autre comme employée à détruire celui qu'il avait dans le premier. Ce principe si

des

simple, qui réduisait à la considération de l'équilibre toutes les lois du mouvement, a été l'époque d'une grande révolution dans les sciences physico-mathématiques. A la vérité, plusieurs des problêmes résolus dans le traité de Dynamique, l'avaient déjà été par méthodes particulières; différentes en apparence pour chaque problême, elles n'étaient sans doute réellement qu'une seule et même méthode; sans doute elles renfermaient le principe général qui y était caché; mais personne n'avait pu l'y découvrir ; et si on refusait, sous ce prétexte, à M. d'Alembert la juste admiration qu'il mérite, on pourrait, avec autant de raison, faire honneur à Huyghens des découvertes de Newton, et accorder à Wallis la gloire que Léibnitz et Newton se sont disputée »

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» Il restait encore à M. d'Alembert à donner un moyen d'appliquer son principe au mouvement d'un corps fini d'une figure donnée et en 1749 il résolut le problème de la précession des Equinoxes. L'axe de la Terre ne répond point toujours au même lieu du Ciel; mais il se dirige successivement vers tous les points d'un cercle parallèle au plan de l'orbite terrestre, et par une suite de ce mouvement, les équinoxes et les solstices répondent, dans la même période, à toutes les parties du zodiaque. Le phénomène connu sous le nom de précession des équinoxes, a été observé par les Anciens. Hipparque en avait supposé la période de 25200 ans, et les Modernes, par des observations plus

exactes, l'ont fixée à environ 720 ans de plus. Ce mouvement en longitude n'est pas le seul qu'éprouve l'axe de la Terre; il en a un autre en latitude bien plus petit, qui n'est qu'une espèce de balancement, et dont la période est de dix-huit ans seulement. Cette mutation n'a été découverte que dans ce siècle par Bradlei, et jusqu'à lui on la confondait avec les mouvemens irréguliers, propres aux étoiles fixes. Newton attribuait avec raison la précession des équinoxes à l'effet de l'attraction de la Lune et du Soleil sur la Terre. Il savait que notre planète est un sphéroïde aplati vers les pôles, et que les deux astres mus dans des plans où ils n'agissent pas d'une manière semblable sur les parties disposées autour de l'axe de la Terre, doivent altérer son mouvement de rotation. Mais ce n'était pas assez, Newton avait appris le premier aux Philosophes à n'admettre pour vraies que des explications calculées, qui rendent raison et du phénomène en lui-même, et de sa quantité et de ses lois. Aussi 9 essaya-t-il de déterminer l'effet de l'attraction de la Lune et du Soleil sur le mouvement de l'axe de la Terre mais les méthodes d'analyse et les principes mêmes de mécanique, nécessaires pour une dissolution directe, manquaient à son génie, et il fut obligé d'admettre des hypothèses, qui ne le conduisirent à un résultat conforme à l'observation que par la compensation des erreurs produites par chacune d'elles. Vingt-trois ans après sa mort, cette limite qu'il semblait avoir posée, n'avait pas été franchie. M. d'Alembert en eut la gloire; il expliqua également le phénomène de la mutation nouvellement découvert, et répara

l'honneur de la France, ou plutôt du Continent, qui' jusqu'alors n'avait eu rien à opposer aux découvertes

de Newton ».

» Un seul géomètre, M. Euler, eût pu disputer cette gloire à M. d'Alembert. Mais, en donnant une solution nouvelle du problême, il avoua qu'il avait lu l'ouvrage de M. d'Alembert, et fit cet aveu avec cette noble franchise d'un grand homme qui sent qu'il peut, sans rien perdre de sa renommée, convenir du triomphe de son rival. ( Éloge de d'Alembert.)

En 1793, l'infortuné Condorcet n'avait point changé d'opinion sur les services rendus aux Sciences par son illustre prédécesseur. Dans un ouvrage consacré au tableau des progrès de l'esprit humain, il parle de ces découvertes avec la même distinction, il y attache la même importance, et sur-tout ne rétracte rien de ce qu'il avait avancé dans son Éloge.

» Une foule de problêmes de statique,de dynamique, avaient été, dit-il, successivement proposés et résolus, lorsque d'Alembert découvre un principe général, qui suffit seul pour déterminer le mouvement d'un nombre quelconque de points, animés de forces quelconques, et liés entre eux par des conditions. Bientôt il étend ce même principe aux corps finis d'une figure déterminée ; à ceux qui, élastiques ou flexibles, peuvent changer de figure, mais d'après certaines lois, et en conservant certaines relations entre leurs parties; enfin, aux fluides eux-mêmes, soit qu'ils conservent la même densité, soit qu'ils se trouvent dans l'état

d'expansibilité. Un nouveau calcul était nécessaire pour résoudre ces dernières questions; il ne peut échapper à son génie, et la mécanique n'est plus qu'une science de pur calcul.

• Ces découvertes appartiennent aux sciences mathé– matiques; mais la nature, soit de cette loi de la gravitation universelle, soit de ces principes de mécanique, les conséquences qu'on peut en tirer pour l'ordre éternel de l'Univers, sont du ressort de la Philosophie. On apprit que tous les corps sont assujettis à des lois nécessaires, qui tendent par elles-mêmes à produire ou à maintenir l'équilibre, à faire naître ou à conserver la régularité dans les mouvemens. (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,)

Page 78. D'autres enfin appellent l'attention de tous les hommes éclairés, et la vigilance du Gouvernement sur l'Industrie, sur le Commerce, et plus encore sur l'Agriculture trop négligée par Colbert, etc.

Il est inutile de s'arrêter à faire sentir l'importance des travaux entrepris au dix-huitième Siècle pour le perfectionnement de l'Administration, et sur-tout de l'Économie politique. Cette science était nouvelle. Si elle avait paru jeter quelques racines en France sous le sage ministère de Sully, après même le ministère à la fois utile et brillant de Colbert elle restait encore incertaine, livrée, sans théorie précise, aux préjugés de la routine, aux caprices de l'innovation. Un grand Pensionnaire de Hollande, l'infortuné Jean de Wit

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