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qu'il faut imiter pour les égaler, et qui seraient encore des modèles lors même qu'on parviendrait à les surpasser. L'éclat dont brille la France fixe les regards de l'Univers. Et nos grands Maîtres, devenus des autorités dans toutes les littératures, consacrent enfin en Europe cette adoption des talens étrangers, cet échange des trésors de l'esprit, et ce commerce des arts qui font entrer tous les Peuples dans le partage des bienfaits de la Raison et des richesses du Génie.

il

Après cet âge couvert d'une gloire éblouissante, que restait-il encore à faire pour l'honneur des Lettres françaises, et les progrès de l'Esprit national? La Langue était fixée, est vrai, mais on pouvait l'enrichir. L'art d'écrire était connu, il avait ses modèles; mais on pouvait l'agrandir, l'appliquer à de nouveaux objets, répandre ainsi les lumières sur de plus nombreuses classes de lecteurs et faire d'une Nation illustrée par quelques Hommes de génie une Nation d'Hommes éclairés. Alors devait s'achever l'ouvrage du seizième et du dix-septième siècles; ce commerce des esprits entre les Nations, se chan

ger en une confédération de travaux et de lumières ; et toutes les Républiques littéraires se réunir en un seul Empire dont les citoyens seraient partout et les limites nulle part. Voilà ce qui restait à faire au dix-huitième siècle : et c'est de là qu'il faut partir pour juger ce qu'il a fait,

Dès ses premières années, tout annonça dans les esprits un changement général, et la nouvelle direction que devaient en recevoir les Lettres. Long-tems le plus imposant de nos Rois avait recueilli sur un trône qu'environnaient alors la gloire et les plaisirs, ces tributs, les plus flatteurs que puisse obtenir un Monarque, l'admiration de ses ennemis, et l'enthousiasme de son Peuple. Les Lettres protégées par l'estime de Louis plus encore que par sa munificence, se plurent à partager l'ivresse nationale, à former la décoration d'un règne où tout parut s'embellir. Mais ces jours éclatans n'étaient plus. Tant de grandeur s'était ruinée elle-même; trop de succès avaient amené des revers. Une destinée terrible dans ses retours, semblait, à quelque prix que ce fût, vouloir abattre ce Roi

toujours plus grand que ses malheurs : elle le frappait à-la-fois dans son Empire et dans sa famille. Et le Peuple qui voyait tomber par des morts soudaines toute la race de Louis, pleurant sur le tombeau du jeune et vertueux Prince vers qui dans ses disgraces il avait élevé ses mains et ses vœux, sentait s'évanouir par degrés ses dernières espérances. Quel spectacle pour une Nation qui croyait pouvoir se confier en quarante années de prospérité ! à nos frontières les défaites, la faim dans nos remparts, et le deuil sur le Trône! Cependant cette Nation généreuse, accoutumée long- tems à respecter, Louis, semblait craindre d'ajouter aux douleurs d'un Prince qui reconnaissait ses fautes (1) : elle gardait un triste mais respectueux silence, et ne permettait point à ses plaintes de trahir ses justes terreurs. Mais le malheur et surtout les craintes conduisent à l'habitude de réfléchir. Les Esprits perdent alors cette insouciance de l'avenir qui naît de la félicité pré

(1) On doit en excepter quelques provinces où la révolte fut excitée par la misère, et, il faut bien le dire, par la persécution.

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sente le danger de l'État, l'infortune du Peuple, tout ce qui intéresse la cause du Trône ou de la Nation, devient l'objet de toutes les pensées, et bientôt de tous les entretiens. Bientôt une raison sévère remplace ces illusions que nourrissaient les flatteries d'une destinée long-tems heureuse (1). Les Lettres devaient partager cette dernière révolution d'un règne dont elles avaient suivi toutes les vicissitudes brillantes à son midi de la plus vive splendeur, comme lui elles s'étaient obscurcies, avec lui elles avoient paru pencher vers leur déclin.

Toutefois quelques Écrivains déjà connus sous ce règne, mais qu'on a vu depuis obtenir plus de succès et de renommée, ou suivaient encore de loin les traces de nos grands Maîtres, ou s'ouvraient des routes nouvelles

(1) Ainsi des circonstances extraordinaires vinrent hâter à cette époque la marche secrète de l'esprit humain qui, chez les peuples comme dans les individus, est presque toujours conduit par les Arts d'imagination aux Sciences de raisonnement,

dans lesquelles on devait les suivre un jour. Parmi eux, ou plutôt à leur tête, se plaçait dès-lors un homme qui, dans le Siècle des Créations littéraires, n'avait été qu'un bek esprit, qui, dans le Siècle naissant des Créations philosophiques, fut un esprit supé

rieur.

C'était le sage Fontenelle, qui n'eut jamais dans son style le coloris de l'imagination, mais qui, toujours ingénieux, souvent lucide avec concision, et juste avec finesse semblait appelé, par le genre même de son talent, à développer dans une analyse facile ces systêmes dont l'enchaînement est le résultat d'une méditation profonde, et à répandre le jour d'une raison calme et méthodique sur ces vérités que le génie conçoit par de soudaines illuminations.

Avec ce caractère d'esprit et de talent, il fallait que Fontenelle entrât dans la carrière des Sciences pour obtenir la gloire des Lettres, et qu'il devînt Philosophe pour être bon Écrivain. Jusqu'alors tous les Siècles célèbres avaient paru marcher à la suite de quelques

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