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tions théâtrales; le Glorieux, par des caractères variés, quoiqu'on reproche au principal personnage des défauts de convenance; par un comique du meilleur ton ; et plus encore, par ce caractère de dignité qu'il sut imprimer à son ouvrage, sans en bannir le comique.

.....

Page 27. La Chaussée créa, ou plutôt, il renouvela, parmi nous, un genre qui tient à la Comépar les personnages, à la Tragédie par les situa

die

tions, etc.

Au moment où parut le Préjugé à la mode, on on ne manqua point de traiter La Chaussée comme un novateur. Il est certain cependant que des ouvrages célèbres de l'antiquité, tels que l'Alceste d'Euripide, jugés dans toute la rigueur de nos principes littéraires sembleraient participer à la fois de la nature de la Tragédie, de la Comédie, du Drame et de l'Opéra. Sans doute, on ne doit pas mêler des genres aujourd'hui si divers; mais, pour l'intérêt de nos plaisirs, ne devonsnous pas les admettre ou les tolérer tous, en n'accordant à chacun d'eux que le degré d'estime qu'il mérite? Le Drame, on n'en disconvient plus, est assurément fort inférieur à la Tragédie véritable, et à la bonne Comédie; mais s'il est vrai, comme on pourrait le démontrer par de glorieux exemples, que le Drame permet l'usage d'un certain nombre de beautés qui seraient hors de place dans la Comédie, et paraîtraient au-dessous de la dignité tragique, faut-il, sans restriction, proscrire le Drame? Cela peut sembler au moins douteux. Ce qu'il fallait proscrire, sans aucun doute, c'était le charlatanisme plaisant des successeurs de La

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Chaussée, qui l'imitaient beaucoup trop, et ne s'en croyaient pas moins inventeurs; c'étaient leurs extases leurs ravissemens, et cette importance risible qu'ils s'efforçaient d'attacher, dans des préfaces, à leur pathétique et facétieuse philosophie; c'était sur-tout l'engouement des gens du monde pour ce genre inférieur, et alors dépravé, mais en possession, pendant quelques années, d'épuiser à-la-fois sur notre scène, la longue morale des auteurs et la patiente sensibilité du public.

Page 27. Parmi quelques pièces heureuses, qui rappellent un meilleur tems, s'élevèrent sur-tout deuxchefs-d'œuvres, l'un d'invention et de verve, l'autré de finesse et de grace, la Métromanie et le Méchant.

De toutes les bonnes Comédies jouées depuis Molière, la Métromanie est celle qui dut produire la plus vive sensation. Pour la première fois, un poète se peignait lui-même, avec cette noblesse de cœur et cet enthousiasme d'imagination qui formaient, dit-on, réellement le caractère de l'auteur. Ce dangereux avantage d'avoir à se peindre soi-même fut pour Piron une bonne fortune, et lui fit produire alors, ce qu'il n'a plus fait depuis, malgré tout son esprit; je veux dire un bon "

ouvrage.

On admira cette rare fécondité du talent qui sut environner un sujet ingrat de tant de beautés qui lui paraissaient étrangères; tant de mouvement et d'attitudes toujours nouvelles dans les personnages, tant de surprises toujours variées pour le spectateur. Cette verve d'invention et de style, ce dialogue vif, pittoresque,

animé, cette profusion de traits saillans, cette veine intarissable de comique et de plaisanterie, ravirent d'abord tous les suffrages: et l'on n'examina point si ces caractères, pleins de vie et d'expression, étaient bien dans la nature; si tant de situations, qui se succèdent avec la rapidité d'un enchantement, étaient toujours puisées dans le fond du sujet : et aujourd'hui que le tems et la réflexion ont fait connaître les défauts de la Métromanie, cette pièce n'en est pas moins regardée comme un chef-d'oeuvre, fait pour immortaliser le nom de l'auteur, en dépit même de ses autres ouvrages.

conçu.

Le Méchant est encore plus remarquable, à l'envisager sous un autre aspect. C'est la plus vive peinture de ce qui s'appelait le Monde, à l'époque où il fut Cet ouvrage a moins d'éclat que la Métromanie: mais un dialogue plein d'aisance et de grace, un style pur, souple, harmonieux, et poétique avec simplicité, ces couleurs fraîches et locales, ces nuances fines et déliées avec lesquelles Gresset peignit les mœurs du tems et le masque trompeur de la bonne compagnie, ont mérité au Méchant l'honneur d'être cité avec la Métromanie, et ont rendu comme inséparables les noms de Piron et de Gresset. Nous retrouverons ailleurs le talent de cet aimable Comique, qui s'est montré dans la poésie légère, avec non moins de charme et de bonheur, mais qui n'aurait pas dû s'essayer dans la tragédie.

Page 29. Déjà vers le commencement de ce siècle avait paru un génie inculte, il est vrai, mais fier et

tragique. Corneille avait élevé l'ame, Racine affecte délicieusement le cœur ; Crébillon voulut effrayer l'imagination. Il s'éleva sur une scène sanglante; et non-seulement le ressort, mais le but de ses compositions théâtrales fut la terreur, etc.

Ne nous arrêtons point sur ses premiers essais, malgré les beautés qu'on ne peut méconnaître dans Atrée. Electre fut jouée en 1708, Le rôle supérieur de Palamède, de grand traits dans le caractère d'Électre, annoncèrent Rhadamiste; et quand Rhadamiste parut, il surpassa les espérances; l'auteur s'était élevé au-dessus de lui-même. Rhadamiste est le chef-d'œuvre de Crébillon ; il lui appartient tout entier, Rien de Corneille, rien de Racine et de tous les tragiques qui l'avaient précédé : tout est original dans Rhadamiste, et tout l'ouvrage respire une fierté, une sorte de grandeur sauvage qui forment la physionomie distinctive du génie de son auteur. Une nature grande et barbare, des mœurs féroces avec dignité, des caractères généreux, des caractères atroces, une intrigue horrible et touchante, et la terreur mêlée à l'attendrissement, tels sont les traits propres et fortement prononcés qui caractérisent cette tragédie, et la distinguent de tous les ouvrages qu'on avait applaudis jusqu'alors. Le personnage intéressant et noble de Zénobie, le rôle passionné de Rhadamiste, le caractère imposant de Pharasmane, couvrirent aux yeux du spectateur les défauts d'une exposition obscure, des convenances théâtrales violées, et la faiblesse d'un rôle secondaire, L'énergie, la mâle indépendance et les couleurs fortes du style, firent excuser au théâtre les vices de l'élocu.

tion, très-défectueuse encore, quoique bien moins incorrecte dans Rhadamiste que dans les autres ouvrages de Crébillon.

Le talent

Page 31. Des Tragédies de Voltaire. d'enchaîner et de multiplier les situations délicates, ou fortement théâtrales; l'adresse de lier la pompe du spectacle à l'intérêt des situations principales, et de frapper toujours les sens pour ébranler avec plus d'empire l'imagination; etc.

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En créant de nouveaux ressorts, des situations nouvelles, il traite les sujets anciens avec le charme touchant de la simplicité antique. Le premier depuis Racine, il fait des Tragédies sans amour; seul parmi nous, à l'exemple de Sophocle; il fait une Tragédie san's rôles de femme et sans confidens. La révolution annoncée par le sublime auteur d'Athalie, mais que ses faibles disciples n'avaient fait depuis qu'éloigner, il la commence et il l'achève; il bannit de notre scène la froide galanterie qui l'avait déshonorée; il la remplace par la passion, par les sentimens de la nature, par torrens d'éloquence tragique.

des

Les sujets de pure invention, liés pour la première fois dans Zaïre, dans Alzire et dans Mahomet à des révolutions mémorables, et à de grands noms, reçoivent enfin de cet habile maître, un caractère de dignité, un coloris de vérité historique, qui mêlent à l'intérêt et aux séductions théâtrales dont le talent dispose à son gré dans les sujets qu'il se crée à lui-même, la confiance

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