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Chloris mourut du coup, non sans que son amant
Attirât ses regards en ce dernier moment.

Il s'écrie, en voyant finir ses destinées :

<< Quoi ! la Parque a tranché le cours de ses années!
Dieux, qui l'avez voulu, ne suffisait-il pas

Que la haine du Sort avançât mon trépas ? »
En achevant ces mots, il acheva de vivre :
Son amour, non le coup, l'obligea de la suivre;
Blessé légèrement, il passa chez les morts :
Le Styx vit nos époux accourir sur ses bords.
Même accident finit leurs précieuses trames;
Même tombe eut leurs corps, même séjour leurs âmes.
Quelques-uns ont écrit (mais ce fait est peu sûr)
Que chacun d'eux devint statue et marbre dur.
Le couple infortuné face à face repose.

Je ne garantis point cette métamorphose :

On en doute. On le croit plus que vous ne pensez,
Dit Clymène; et, cherchant dans les siècles passés
Quelque exemple d'amour et de vertu parfaite,
Tout ceci me fut dit par le sage interprète.
J'admirai, je plaignis ces amants malheureux:
On les allait unir, tout concourait pour eux;
Ils touchaient au moment; l'attente en était sûre:
Hélas! il n'en est point de telle en la nature;
Sur le point de jouir, tout s'enfuit de nos mains:
Les dieux se font un jeu de l'espoir des humains.

Laissons, reprit Iris, cette triste pensée.
La fête est vers sa fin, grâce au ciel, avancée;
Et nous avons passé tout ce temps en récits
Capables d'affliger les moins sombres esprits:
Effaçons, s'il se peut, leur image funeste.

Je prétends de ce jour mieux employer le reste,
Et dire un changement, non de corps, mais de cœur.
Le miracle en est grand; Amour en fut l'auteur :
Il en fait tous les jours de diverse manière.

Je changerai de style en changeant de matière.

Zoon plaisait aux yeux; mais ce n'est pas assez :
Son peu d'esprit, son humeur sombre,
Rendaient ces talents mal placés.

Il fuyait les cités, il ne cherchait que l'ombre,
Vivait parmi les bois, concitoyen des ours,

Et passait, sans aimer, les plus beaux de ses jours.
Nous avons condamné l'amour, m'allez-vous dire
J'en blâme en nous l'excès; mais je n'approuve pas
Qu'insensible aux plus doux appas

Jamais un homme ne soupire.

Hé quoi ! ce long repos est-il d'un si grand prix ?
Les morts sont donc heureux? Ce n'est pas mon avis :
Je veux des passions; et si l'état le pire

Est le néant, je ne sais point

De néant plus complet qu'un cœur froid à ce point. Zoon n'aimant donc rien, ne s'aimant pas lui-même, Vit Iole endormie, et le voilà frappé:

Voilà son cœur développé.

Amour, par son savoir suprême,

Ne l'eut pas fait amant qu'il en fit un héros.
Zoon rend grâce au dieu qui troublait son repos:
Il regarde en tremblant cette jeune merveille.
A la fin lole s'éveille.

Surprise et dans l'étonnement,

Elle veut fuir; mais son amant
L'arrête, et lui tient ce langage:

« Rare et charmant objet, pourquoi me fuyez-vous?
Je ne suis plus celui qu'on trouvait si sauvage :
C'est l'effet de vos traits, aussi puissants que doux !
Ils m'ont l'âme et l'esprit et la raison donnée.

Souffrez que, vivant sous vos lois,

J'emploie à vous servir des biens que je vous dois. » Iole, à ce discours encor plus étonnée,

Rougit, et sans répondre elle court au hameau,

Et raconte à chacun ce miracle nouveau.

Ses compagnes d'abord s'assemblent autour d'elle:
Zoon suit en triomphe, et chacun applaudit.

Je ne vous dirai point, mes sœurs, tout ce qu'il fit,
Ni ses soins pour plaire à la belle:
Leur hymen se conclut. Un satrape voisin,
Le propre jour de cette fête,

Enlève à Zoon sa conquête :

On ne soupçonnait point qu'il eût un tel dessein.
Zoon accourt au bruit, recouvre ce cher gage,
Poursuit le ravisseur, et le joint, et l'engage
En un combat de main à main.

lole en est le prix aussi bien que le juge.
Le satrape, vaincu, trouve encor du refuge
En la bonté de son rival.

Hélas! cette bonté lui devint inutile;
Il mourut du regret de cet hymen fatal:
Aux plus infortunés la tombe sert d'asile.
il prit pour héritière, en finissant ses jours,
Iole, qui mouilla de pleurs son mausolée.

Que sert-il d'être plaint quand l'âme est envolée ?
Ce satrape eût mieux fait d'oublier ses amours.

La jeune Iris à peine achevait cette histoire,
Et ses sœurs avouaient qu'un chemin à la gloire,
C'est l'amour. On fait tout pour se voir estimé:
Est-il quelque chemin plus court pour être aimé ?
Quel charme de s'ouïr louer par une bouche

Qui, même sans s'ouvrir, nous enchante et nous touche!
Ainsi disaient ces sœurs. Un orage soudain
Jette un secret remords dans leur profane sein.
Bacchus entre, et sa cour, confus et long cortége:
« Où sont, dit-il, ces sœurs à la main sacrilége?
Que Pallas les défende, et vienne en leur faveur
Opposer son égide à ma juste fureur:

Rien ne m'empêchera de punir leur offense.

Voyez et qu'on se rie après de ma puissance ! »

Il n'eut pas dit, qu'on vit trois monstres au plancher,
Ailés, noirs et velus, en un coin s'attacher.

On cherche les trois sœurs; on n'en voit nulle trace.
Leurs métiers sont brisés; on élève en leur place
Une chapelle au dieu, père du vrai nectar.
Pallas a bean se plaindre, elle a beau prendre part
Au destin de ces sœurs par elle protégées ;
Quand quelque dieu, voyant ses bontés négligées
Nous fait sentir son ire, un autre n'y peut rien:
L'Olympe s'entretient en paix par ce moyen.
Profitons, s'il se peut, d'un si fameux exemple.
Chômons: c'est faire assez qu'aller de temple en temple
Rendre à chaque immortel les vœux qui lui sont dus:
Les jours donnés aux dieux ne sont jamais perdus.

PYRAME ET THISBÉ.

L'aventure de Pyrame et Thisbé, très-populaire même dans le moyen âge, a été, à cette époque, souvent reproduite sur des monuments figurés, et plus particulièrement sur des tapisseries. Shakespeare l'a très-agréablement mise en scène, dans le ve acte du Songe d'une nuit d'été.

M. de Pongerville, dans les Amours mythologiques, a donné, d'après Ovide, une version de cette même aventure, que le lecteur nous saura gré de reproduire.

Des filles d'Orient Thisbé fut la plus belle;
Pyrame, jeune et beau, semblait croître pour elle.
Enfants, ils habitaient les superbes remparts
Qu'orna Sémiramis de la pompe des arts.

De ce couple charmant les jeux, le voisinage,
Font naître le penchant: l'amour devance l'àge.
Mais on brise les nœuds qu'il se plut à former :
On leur défend l'hymen ah! défend-on d'aimer?
Heureux de leur amour, ils s'aiment en silence.
D'inflexibles parents troipant la vigilance,

Un seul geste, un regard sont leurs doux confidents;
En secret renfermés leurs feux sont plus ardents.

Leurs maisons se touchaient; sous une voûte obscure
Le mur commun cachait une étroite ouverture;
Nul ne la découvrit dans le long cours des aus.
Que ne voit pas l'amour? sans cesse, heureux amants,
Interprètes du cœur, là, vos lèvres fixées
Murmuraient tendrement vos secrètes pensées !

Des deux côtés du mur ensemble se pressant,
Ils parlaient, respiraient leur souffle caressant.

.

A regret s'arrachant à cette douce ivresse,

De se revoir bientôt emportaient la promesse.
Mais dans leurs longs adieux, vingt fois ils revenaient
Échanger les baisers que leurs cœurs se donnaient.
Et puis le lendemain, la diligente aurore

A leur poste d'amour les retrouvait encore.
Un soir qu'ils prolongeaient leurs plaintifs entretiens,
Ils jurent de tromper d'inflexibles gardiens.

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