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Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée:

Le corps n'est tantôt (') plus que feuillage et que bois.
D'étonnement la troupe ainsi qu'eux perd la voix.
Même instant, même sort à leur fin les entraîne;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans.
Ah! si... Mais autre part j'ai porté mes présents.
Célébrons seulement cette métamorphose.
De fidèles témoins m'ayant conté la chose,
Clio me conseilla de l'étendre en ces vers,
Qui pourront quelque jour l'apprendre à l'univers.
Quelque jour on verra chez les races futures
Sous l'appui d'un grand nom passer ces aventures.
Vendôme, consentez au lôs (2) que j'en attends;
Faites-moi triompher de l'Envie et du Temps:
Enchaînez ces démons, que sur nous ils n'attentent,
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent.
Je voudrais pouvoir dire en un style assez haut
Qu'ayant mille vertus vous n'avez nul défaut.
Toutes les célébrer serait œuvre infinie;
L'entreprise demande un plus vaste génie :
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer?
Sans parler de celui qui force à vous aimer.

Vous joignez à ces dons l'amour des beaux ouvrages;
Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages ;
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présents

Que nous font à regret le travail et les ans.
Peu de gens élévés, peu d'autres encor même,

(1) Tantót synonyme de bientô!.

(2) Louange.

Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des dieux les possède, c'est vous;
Je l'ose dans ces vers soutenir devant tous.
Clio, sur son girón, à l'exemple d'Homère,
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire:
On dit qu'elle et ses sœurs, par l'ordre d'Apollon,
Transportent dans Anet (1) tout le sacré vallon;
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages!
Puissent-ils tout d'un coup élever leurs sourcils,
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis (2) !

(1) Anet, château célèbre que Henri II, en 1552, fit construire pour Diace de Poitiers, par Philibert Delorme, son architecte. Ce château, situé près de Dreux, appartenait alors au duc de Vendôme.

(2) Qui a été aussi Grec que La Fontaine dans Philémon el Baucis, dans certains passages de la Mort d'Adonis, ou de Psyché? Lui, le Champenois qui savai si peu de grec, je pense! (J. J. ANTÈRE.)

SUJET TIRÉ DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE

Je chante dans ces vers les filles de Minée,
Troupe aux arts de Pallas dès l'enfance adonnée,
Et de qui le travail fit entrer en courroux
Bacchus, à juste droit de ses honneurs jaloux.
Tout dieu veut aux humains se faire reconnaître :
On ne voit point les champs répondre aux soins du maître,
Si dans les jours sacrés, autour de ses guérets,

Il ne marche en triomphe à l'honneur de Cérès.

La Grèce était en jeux pour le fils de Sémèle.
Seules on vit trois sœurs condamner ce saint zèle:
Alcithoé, l'aînée, ayant pris ses fuseaux,

Dit aux autres : Quoi donc! toujours des dieux nouveaux!
L'Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,

Ni l'an fournir de jours assez pour tant de fêtes.
Je ne dis rien des vœux dus aux travaux divers
De ce dieu qui purgea de monstres l'univers :
Mais à quoi sert Bacchus, qu'à causer des querelles,
Affaiblir les plus sains, enlaidir les plus belles,
Souvent mener au Styx par de tristes chemins?
Et nous irons chômer la peste des humains!
Pour moi, j'ai résolu de poursuivre ma tâche.
Se donne qui voudra, ce jour-ci, du relâche;
Ces mains n'en prendront point. Je suis encor d'avis
Que nous rendions le temps moins long par des récits:
Toutes trois, tour à tour, racontons quelque histoire.
Je pourrais retrouver sans peine en ma mémoire

Du monarque des dieux les divers changements;
Mais, comme chacun sait tous ces événements,
Disons ce que l'Amour inspire à nos pareilles:
Non toutefois qu'il faille, en contant ces merveilles,
Accoutumer nos cœurs à goûter son poison;
Car, ainsi que Bacchus, il trouble la raison.
Récitons-nous les maux que ses biens nous attirent.
Alcithoé se tut, et ses sœurs applaudirent.
Après quelques moments, haussant un peu la voix :
Dans Thèbes, reprit-elle, on conte qu'autrefois (1)
Deux jeunes cœurs s'aimaient d'une égale tendresse:
Pyrame, c'est l'amant, eut Thisbé pour maîtresse.
Jamais couple ne fut si bien assorti qu'eux:
L'un bien fait, l'autre belle, agréables tous deux,
Tous deux dignes de plaire, ils s'aimèrent sans peine ;
D'autant plus tôt épris, qu'une invincible haine
Divisant leurs parents ces deux amants unit,
Et concourut aux traits dont l'Amour se servit.
Le hasard, non le choix, avait rendu voisines
Leurs maisons, où régnaient ces guerres intestines :
Ce fut un avantage à leurs désirs naissants.
Le cours en commença par des jeux innocents:
La première étincelle eut embrasé leur âme,
Qu'ils ignoraient encor ce que c'était que flamme.
Chacun favorisait leurs transports mutuels;
Mais c'était à l'insu de leurs parents cruels.

La défense est un charme : on dit qu'elle assaisonne
Les plaisirs, et surtout ceux que l'Amour nous donne.
D'un des logis à l'autre, elle instruisit du moins
Nos amants à se dire avec signes leurs soins.
Ce léger réconfort ne les put satisfaire;

Il fallut recourir à quelque autre mystèrc.
Un vieux mur entr'ouvert séparait leurs maisons:

(1) Voir la note à la fin de cette pièce.

Le temps avait miné ses antiques cloisons:
Là souvent de leurs maux ils déploraient la cause;
Les paroles passaient, maistait peu de chose.
Se plaignant d'un tel sort, Pyrame dit un jour :
« Chère Thisbé, le ciel veut qu'on s'aide en amour:
Nous avons à nous voir une peine infinie;
Fuyons de nos parents l'injuste tyrannie :

J'en ai d'autres en Grèce ; ils se tiendront heureux
Que vous daigniez chercher un asile chez eux;
Leur amitié, leur bien, leur pouvoir, tout m'invite
A prendre le parti dont je vous sollicite.
C'est votre seul repos qui me le fait choisir;
Car je n'ose parler, hélas! de mon désir.
Faut-il à votre gloire en faire un sacrifice?
De crainte des vains bruits faut-il que je languisse?
Ordonnez j'y consens; tout me semblera doux :
Je vous aime, Thisbé, moins pour moi que pour vous. —
J'en pourrais dire autant, lui repartit l'amante :
Votre amour étant pure, encor que véhémente,
Je vous suivrai partout; notre commun repos
Me doit mettre au-dessus de tous les vains propos :
Tant que de ma vertu je serai satisfaite,

Je rirai des discours d'une langue indiscrète,
Et m'abandonnerai sans crainte à votre ardeur,
Contente que je suis des soins de ma pudeur. »
Jugez ce que sentit Pyrame à ces paroles.
Je n'en fais point ici de peintures frivoles :
Suppléez au peu d'art que le ciel mit en moi;
Vous-mêmes peignez-vous cet amant hors de soi.
«< Demain, dit-il, il faut sortir avant l'aurore;
N'attendez point les traits que son char fait éclore.
Tenez-vous aux degrés du terme de Cérès;
Là, nous nous attendrons : le rivage est tout près,
Une barque est au bord; les rameurs, le vent même,
Tout pour notre départ montre une hâte extrême;
L'augure en est heureux, notre sort va changer;

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