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était de 22,000 francs) 1. Nous ne croyons pas qu'à aucune époque on ait jamais rien fait de plus somptueux ni de plus parfait; cependant ce n'était peut-être pas ce qu'il y avait de mieux dans la montre de cette maison. La pièce capitale, à notre avis, était un châle en dentelle de soie noire de 2", 25 carrés, magnifique spécimen de la fabrique de Chantilly; ce châle était à motifs nouveaux et d'un réseau d'une finesse extrême. On avait accumulé, en quelque sorte, toutes les difficultés qui peuvent se présenter et toutes ont été surmontées avec un rare bonheur et une grande habileté. Cet ou vrage fait le plus grand honneur à l'intelligence et au goût de MM. Videcoq et Simon. On ne pouvait rien faire de plus merveilleux en dentelle noire.

L'exposition de M. At Lefébure avait, comme celle de MM. Videcoq et Simon, le privilége de provoquer l'admiration générale.

Impossible d'étaler une collection aussi variée et plus splendide; tous les genres y étaient réunis : la dentelle de fil et celle de soie, les plus grandes pièces à côté de très-petits objets.

Il nous est difficile de citer tous ces chefs-d'œuvre; nous nous contenterons de mentionner les pièces principales :

1° Un dessus de lit en dentelle blanche aux fuseaux, de 3 mètres carrés; le pareil avait déjà figuré à l'Exposition française de 1849 et avait valu à M. A. Lefébure la plus haute récompense. C'est l'ouvrage de 34 ouvrières pendant plus d'un an.

2° Deux mantilles ternes (c'est-à-dire à trois pièces : voile, fond et tournante) en blonde; l'une blanche, à dessins trèschargés; l'autre noire, à ornements extra-riches; toutes deux étaient destinées à la consommation mexicaine et espagnole.

3° Plusieurs morceaux en dentelle noire, tels que châles, voiles, mantelets, écharpes, volants, cols, etc., tous d'une

1 Cette belle toilette a figuré dans la corbeille de mariage de S. M. l'Impératrice.

qualité supérieure. Un châle surtout présentait des progrès comme fabrication, pour la création des jours des points et la largeur des grillés, qui affluaient dans l'ensemble du dessin.

4° Une magnifique écharpe, point d'Alençon, et deux paires de barbes formant de riches coiffures; ces barbes, et surtout les armoiries royales qui s'y trouvaient intercalées, étaient d'une exécution parfaite.

5o La pièce la plus remarquable était une pointe en dentelle noire, qui se recommandait par la beauté du travail, la nouveauté du genre et la perfection de l'ensemble; le dessin, au lieu d'être à revers, se répétant quatre fois, comme cela se fait habituellement, était gradué et changeait à chaque partie de feston, ce qui a dû en rendre la fabrication compliquée et difficile.

Cette pointe de Bayeux était un vrai chef-d'œuvre, et M. A. Lefébure, qui occupe déjà une position si distinguée comme fabricant de dentelles, a trouvé, à l'occasion de l'Exposition universelle, le moyen de s'élever encore.

RÉSUMÉ.

En arrivant à la fin de ce travail, nous croyons utile d'ajouter, sous forme de résumé, quelques observations générales et certaines considérations morales sur l'industrie dentellière.

Nous aimons à le répéter, jamais la France n'avait exposé des produits aussi parfaits. Dans cet immense concours du monde industriel, les dentelles françaises brillaient entre toutes. Elles étaient l'objet de la curiosité et de l'admiration générales.

Comme comparaison, les produits similaires exposés par les fabrications étrangères étaient loin d'approcher des nôtres, excepté certains morceaux de la Belgique.

Nous sommes, dans celte industrie, d'une supériorité réelle. Cette supériorité ne tient pas seulement à l'habileté des ouvrières, à l'intelligence des fabricants, à la perfection et au

fini du travail; elle vient surtout de ce goût parfait qui caractérise les produits français et qui est un des plus grands éléments de notre richesse industrielle.

Comme on a pu le voir, la fabrication des dentelles a bien plus d'importance en France que partout ailleurs; elle occupe presque autant d'ouvrières dans nos fabriques que dans toutes celles des autres pays réunis.

Nos diverses manufactures occupent aussi beaucoup d'artistes; elles unissent l'art à l'industrie. Non-seulement nos progrès, ainsi que nos nouveautés, sont imités par les fabrications étrangères, mais nos dessinateurs leur fournissent les dessins et les patrons. C'est la dentelle qui favorise les modes nouvelles, en donnant à toutes les classes de la société le goût du beau et de l'élégance; elle inspire les industriès de luxe et développe ainsi l'exportation de nos articles de haute nouveauté dans une proportion considérable.

La France, à part deux ou trois genres spéciaux de la Belgique, produit toutes les différentes espèces qui se fabriquent : elle n'a pour ses articles fins aucune concurrence à redouter, elle peut se passer de la protection douanière. Ce qu'elle livre à la consommation est incontestablement supérieur à tous les produits similaires des autres nations.

Généralement, l'industrie dentellière est considérée comme peu importante et n'offrant qu'un faible développement commercial.

C'est une erreur.

Autrefois, lorsqu'on ne faisait que de la dentelle de grand prix, portée seulement par les classes riches, elle était déjà l'occasion d'un grand commerce, puisque, outre les produits de la fabrication française au commencement du xvi® siècle, nous avons établi qu'on en importait en France, en 1707, pour plus de 8 millions 1.

Aujourd'hui que le luxe est répandu dans toutes les classes de la société, que la dentelle est entrée dans la consommation

1 Voir page 16.

générale, qu'elle est d'un usage journalier et nous pouvons presque dire indispensable à nos mœurs, elle est devenue, on le comprend, l'occasion d'un commerce considérable.

Ce qu'il y a de certain, c'est que le nombre des dentellières n'a pas cessé d'augmenter depuis cinquante ans1, et que la production se développe tous les jours, non-seulement en France, mais aussi en Belgique, en Saxe, etc.

Nous nous sommes attaché à réunir tous les documents statistiques qu'il nous a été possible de nous procurer, afin d'établir approximativement l'importance industrielle de la fabrication des dentelles en France et à l'étranger.

Voici le résultat de nos recherches:

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1 Il est à remarquer que la fabrication des dentelles s'est développée avec plus de succès dans les pays agricoles que dans les grands centres manufacturiers.

XIX JURY.

6

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Nous nous sommes aussi livré à des recherches et à des études pour connaître le chiffre, même approximatif, du développement commercial qu'occasionne l'industrie dentellière, mais il est fort difficile d'arriver à une estimation à peu près exacte; nous croyons néanmoins rester bien au-dessous du véritable chiffre en l'estimant à 130 millions. La moitié au moins de ce chiffre peut être attribuée à la fabrication française.

Comme on le voit, cette industrie occupe en France de 235,000 à 240,000 ouvrières; elle procure une grande somme de travail pour un minime déboursé, la matière première n'entrant que pour 7 à 10 p. 0/0 au plus dans la valeur des produits. Le métier et l'outillage propre au travail de la dentelle appartiennent, en général, aux ouvrières, et n'exigent aucun capital préalable (le tout ne coûte pas 5 francs).

Quand on considère que la fabrication des dentelles est, en quelque sorte, la seule occupation lucrative de ces nombreuses ouvrières répandues plus encore dans les campagnes que dans les villes; qu'elle emploie avec succès les mains les plus débiles et jusqu'aux femmes très-âgées, infirmes ou souf

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