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son disciple, faire quelque comparaison avec celui qui vient de perdre huit cents pistoles en

une séance.

Une personne à la mode ressemble à une fleur bleue (1) qui croît de soi-même dans les sillons, où elle étouffe les épis, diminue la moisson, et tient la place de quelque chose de meilleur; qui n'a de prix et de beauté que ce qu'elle emprunte d'un caprice léger qui naît et qui tombe presque dans le même instant : aujourd'hui elle est courue, les femmes s'en parent; demain elle est négligée, et rendue au peuple.

Une personne de mérite au contraire est une fleur qu'on ne désigne pas par sa couleur, mais que l'on nomme par son nom, que l'on cultive par sa beauté ou par son odeur; l'une des graces de la nature, l'une de ces choses qui embellissent le monde, qui est de tous les temps, et d'une vogue ancienne et populaire; que nos pères ont estimée, et que nous estimons après nos pères; à qui le dégoût ou l'an

(1) Ces barbeaux qui croissent parmi les seigles furent, un été, à la mode dans Paris. Les dames en mettoient pour bouquet.

tipathie de quelques uns ne sauroit nuire; un lis, une rose.

L'on voit Eustrate assis dans sa nacelle, où il jouit d'un air pur et d'un ciel serein : il avance d'un bon vent et qui a toutes les apparences de devoir durer; mais il tombe tout d'un coup, le ciel se couvre, l'orage se déclare, un tourbillon enveloppe la nacelle, elle est submergée: on voit Eustrate revenir sur l'eau et faire quelques efforts, on espère qu'il pourra du moins se sauver et venir à bord; mais une vague l'enfonce, on le tient perdu : ́il paroît une seconde fois, et les espérances se réveillent, lorsqu'un flot survient et l'abyme, on ne le revoit plus, il est noyé.

Voiture et Sarrasin étoient nés pour leur siécle, et ils ont paru dans un temps où il semble qu'ils étoient attendus. S'ils s'étoient moins pressés de venir, ils arrivoient trop tard; et. j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd'hui qu'ils ont été alors : les conversations légères, les cercles, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l'on étoit admis seulement avec de l'esprit, tout a disparu. Et qu'on ne dise point qu'ils les feroient revivre ce que je puis faire en faveur de leur

esprit est de convenir que peut-être ils excelleroient dans un autre genre: mais les femmes sont, de nos jours, ou dévotes, ou coquettes, ou joueuses, ou ambitieuses, quelques unes même tout cela à-la-fois; le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs, ont pris la place, et la défendent contre les gens d'esprit.

Un homme fat (1) et ridicule porte un long chapeau, un pourpoint à ailerons, des chausses à aiguillettes, et des bottines: il rêve la veille par où et comment il pourra se faire remarquer le jour qui suit. Un philosophe se laisse habiller par son tailleur. Il y a autant de foiblesse à fuir la mode qu'à l'affecter.

L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommes en deux parties égales, en prend une tout entière pour le buste, et laisse l'autre pour le reste du corps : l'on condamne celle qui fait de la tête des femmes la base d'un édifice à plusieurs étages, dont l'ordre et la structure changent selon leurs caprices; qui éloigne les cheveux du visage, bien qu'ils ne croissent que pour l'accompagner; qui les relève et les hérisse à la manière des Bacchantes,

(1) De Bourlon.

et semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et audacieuse. On se récrie enfin contre une telle ou une telle mode, qui cependant, toute bizarre qu'elle est, pare et embellit pendant qu'elle dure, et dont l'on tire tout l'avantage qu'on en peut espérer, qui est de plaire. Il me paroît qu'on devroit seulement admirer l'inconstance et la légèreté des hommes, qui attachent successivement les agréments et la bienséance à des choses tout opposées, qui emploient pour le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave et d'ornements les plus sérieux; et que si peu de temps en fasse la dif

férence.

N... est riche, elle mange bien, elle dort bien: mais les coiffures changent; et lorsqu'elle y pense le moins, et qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode.

Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode; il regarde le sien, et en rougit, il ne se croit plus habillé : il étoit venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache: le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour. Il a la main douce, et il l'entretient avec une

pâte de senteur. Il a soin de rire pour montrer ses dents: il fait la petite bouche, et il n'y a guère de moments où il ne veuille sourire: il regarde ses jambes, il se voit au miroir; l'on ne peut être plus content de personne qu'il l'est de lui-même: il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras : il a un mouvement de tête, et je ne sais quel adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie de s'embellir: il a une démarche molle et le plus joli maintien qu'il est capable de se procurer: il met du rouge, mais rarement, il n'en fait pas habitude: il est vrai aussi qu'il porte des chausses et un chapeau, et qu'il n'a ni boucles d'oreilles ni collier de perles; aussi ne l'ai-je pas mis dans le chapitre des femmes.

pas

Ces mêmes modes que les hommes suivent si volontiers ils affectent

pour

leurs

personnes,

de les négliger dans leurs portraits, comme s'ils sentoient ou qu'ils prévissent l'indécence et le ridicule où elles peuvent tomber dès qu'elles auront perdu ce qu'on appelle la fleur ou l'agrément de la nouveauté: ils leur préfèrent une parure arbitraire, une draperie indifférente, fantaisies du peintre qui ne sont prises ni sur l'air ni sur le visage, qui ne rappellent

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