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que vous ne trouverez pas ailleurs : et là-dessus ses narines s'enflent, il cache avec peine sa joie et sa vanité par quelques dehors de modestie. O l'homme divin en effet ! homme qu'on ne peut jamais assez louer et admirer! homme dont il sera parlé dans plusieurs siècles! que je voie sa taille et son visage pendant qu'il vit; que j'observe les traits et la contenance d'un homme qui seul entre les mortels possède une telle prune!

Un troisième (1), que vous allez voir, vous parle des curieux ses confrères, et sur-tout de Diognéte. Je l'admire, dit-il, et je le comprends moins que jamais pensez-vous qu'il cherche à s'instruire par les médailles, et qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits, et des monuments fixes et indubitables de l'ancienne histoire? rien moins: vous croyez peutêtre que toute la peine qu'il se donne pour recouvrer une tête vient du plaisir qu'il se fait de ne voir pas une suite d'empereurs interrompue? c'est encore moins: Diognėte sait d'une médaille le fruste, le flou, et la fleur de coin; il a une tablette dont toutes les places sont garnies,

(1) Le P. Menestrier, jésuite.

à l'exception d'une seule; ce vide lui blesse la et c'est précisément, et à la lettre, pour le remplir, qu'il emploie son bien et sa vie.

vue,

Vous voulez, ajoute Démocède (1), voir mes estampes, et bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet qu'à tapisser un jour de fête le Petit-Pont ou la rue Neuve : il convient qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée; mais il assure qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée, que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée très cher, et qu'il ne la changeroit pas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-il, une sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estampes pour le reste de mes jours: j'ai tout Callot, hormis une seule qui n'est pas à la vérité de ses bons ouvrages, au contraire, c'est un des moindres, mais qui m'achèveroit Callot; je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir: cela est bien rude!

(1) De Guaignières, écuyer de mademoiselle de Guise; ou M. Beringhem, premier écuyer du roi.

Tel autre fait la satire de ces gens qui s'engagent par inquiétude ou par curiosité dans de longs voyages, qui ne font ni mémoires ni relations, qui ne portent point de tablettes, qui vont pour voir, et qui ne voient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu, qui desirent seulement de connoître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, et de passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine ni la Loire, qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être absents, qui veulent un jour être revenus de loin et ce satirique parle juste, et se fait écouter,

Mais quand il ajoute (1) que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir: je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison, où, dès l'escalier, je tombe en foiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'au

(1) Moret, conseiller.

tre, dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près qui sont peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'oeil s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa complaisance, et ne veux non plus que lui visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque.

Quelques uns (1), par une intempérance de savoir, et par ne pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte de connoissance, les embrassent toutes et r'en possèdent aucune. Ils aiment mieux savor beaucoup que de savoir bien, et être foibles et superficiels dans diverses sciences, que c'être sûrs et profonds dans une seule : ils trouvent en toutes rencontres celui qui est leur maître et qui les redresse; ils sont les dupes de leur vaine curiosité, et ne peuvent au plus, par de longs et pénibles efforts, que se tirer d'une ignorance crasse.

D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais ils passent leur vie à déchiffrer les langues orientales et les langues du nord,

(1) Thévenot et Lacroix

celles des deux Indes, celles des deux pôles, et celle qui se parle dans la lune. Les idiomes les plus inutiles avec les caractères les plus bizarres et les plus magiques sont précisément ce qui réveille leur passion et qui excite leur travail. Ils plaignent ceux qui se bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au plus la grecque et la latine. Ces gens lisent toutes les histoires et ignorent l'histoire : ils parcourent tous les livres, et ne profitent d'aucun: c'est en eux une stérilité de faits et de principes qui ne peut être plus grande, mais à la vérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots et de paroles qui puisse s'imaginer : ils plient sous le faix; leur mémoireen est accablée, pendant que leur esprit demeure vide.

Uu bourgeois (1) aime les bâtiments; il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche, et si orné, qu'il est inhabitable: le maître, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au galetas, où il achève sa vie, pendant l'enfilade et les planchers de rapport

que

(1) Amelot. Sa maison étoit dans la vieille rue du Temple.

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