Page images
PDF
EPUB

faire un grand homme. Louez ses vues et ses projets, admirez sa conduite, exagérez son habileté à se servir des moyens les plus propres et les plus courts pour parvenir à ses fins; si ses fins sont mauvaises, la prudence n'y a aucune part: et, où manque la prudence, trouvez la grandeur, si vous le pouvez.

Un ennemi est mort (1), qui étoit à la tête d'une armée formidable, destinée à passer le Rhin; il savoit la guerre, et son expérience pouvoit être secondée de la fortune: quels feux de joie a-t-on vus? quelle fête publique? Il y a des hommes au contraire naturellement odieux, et dont l'aversion devient populaire : ce n'est point précisément par les progrès qu'ils font, ni par la crainte de ceux qu'ils peuvent faire, que la voix du peuple (2) éclate à leur mort, et que tout tressaille, jusqu'aux enfants, dès que l'on murmure dans les places que la terre enfin en est délivrée.

O temps! ô mœurs! s'écrie Héraclite, ô mal

(1) Le duc Charles de Lorraine, beau-frère de l'empereur Léopold premier.

(2) Le faux bruit de la mort du prince d'Orange, qu'on croit avoir été tué au combat de la Boyne.

heureux siècle! siècle rempli de mauvais exemples, où la vertu souffre, où le crime domine, où il triomphe! Je veux être un Lycaon, un Égisthe, l'occasion ne peut être meilleure, ni les conjonctures plus favorables, si je desire du moins de fleurir et de prospérer. Un homme dit (1), Je passerai la mer, je dépouillerai mon père de son patrimoine, je le chasserai, lui, sa femme, son héritier, de ses terres et de ses états; et, comme il l'a dit, il l'a fait. Ce qu'il devoit appréhender, c'étoit le ressentiment de plusieurs rois qu'il outrage en la personne d'un seul roi mais ils tiennent pour lui; ils lui ont presque dit: Passez la mer, dépouillez votre père (2), montrez à tout l'univers qu'on peut chasser un roi de son royaume, ainsi qu'un petit seigneur de son château, ou un fermier de sa métairie qu'il n'y ait plus de différence entre de simples particuliers et nous, nous sommes las de ces distinctions: apprenez au monde que ces peuples que Dieu a mis sous nos pieds peuvent nous abandonner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à un

(1) Le prince d'Orange. (2) Le roi Jacques II.

étranger; et qu'ils ont moins à craindre de nous, que nous d'eux et de leur puissance. Qui pourroit voir des choses si tristes avec des yeux secs et une ame tranquille? Il n'y a point de charges qui n'aient leurs priviléges il n'y a aucun titulaire qui ne parle, qui ne plaide, qui ne s'agite pour les défendre : la dignité royale seule n'a plus de priviléges, les rois eux-mêmes y ont renoncé. Un seul, toujours bon (1) et magnanime, ouvre ses bras à une famille malheureuse. Tous les autres se liguent comme pour se venger de lui, et de l'appui qu'il donne à une cause qui leur est commune: l'esprit de pique et de jalousie prévaut chez eux à l'intérêt de l'honneur, de la religion, et de leur état; est-ce assez? à leur intérêt personnel et domestique; il y va, je de leur élection, mais de leur succession, de leurs droits commė héréditaires : enfin, dans tout, l'homme l'emporte sur le souverain. Un prince délivroit l'Europe (2), se délivroit lui-même, d'un fatal

je ne dis

pas

(1) Louis XIV, qui donna retraite à Jacques II et à toute sa famille, après qu'il eut été obligé de se retirer d'Angleterre.

(2) L'empereur.

ennemi, alloit jouir de la gloire d'avoir détruit un grand empire (1): il la néglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nés (2) arbitres et médiateurs temporisent; et lorsqu'ils pourroient avoir déja employé utilement leur médiation, ils la promettent. O pâtres, continue Héraclite, ô rustres qui habitez sous le chaume et dans les cabanes! si les événements ne vont

point jusqu'à vous, si vous n'avez point le cœur percé par la malice des hommes, si on ne parle plus d'hommes dans vos contrées, mais seulement de renards et de loups cerviers, recevezmoi parmi vous à manger votre pain noir, et à boire l'eau de vos citernes !

Petits hommes (3) hauts de six pieds, tout au plus de sept, qui vous enfermez aux foires comme géants, et comme des pièces rares dont il faut acheter la vue, dès que vous allez jusques à huit pieds; qui vous donnez sans pudeur de la hautesse et de l'éminence, qui est tout ce que l'on pourroit accorder à ces montagnes voisines du ciel, et qui voient les nuages se

(1) Le Turc.
(2) Innocent XI.
(3) Les Anglois.

former au-dessous d'elles; espèce d'animaux glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui qui ne faites pas même comparaison avec l'éléphant et la baleine, approchez, hommes, répondez un peu à Démocrite. Ne ditesvous pas en commun proverbe, « des loups ravissants, des lions furieux, malicieux comme << un singe»? et vous autres, qui êtes-vous? J'entends corner sans cesse à mes oreilles,

[ocr errors]
[ocr errors]

« l'homme est un animal raisonnable » : qui vous a passé cette définition? sont-ce les loups, les singes, et les lions; ou si vous vous l'êtes accordée à vous-mêmes? C'est déja une chose plaisante que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu'il y a de meilleur : laissez-les un peu se définir eux-mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront, et comme vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de leur nature mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un tiercelet de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix,

« PreviousContinue »