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ils n'oublient jamais de porter leur boîte (11) dans leur sein, et une liasse de papiers entre leurs mains vous les voyez dominer parmi de vils praticiens (12), à qui ils prêtent à usure, retirant chaque jour une obole et demie de chaque drachme (13); ensuite fréquenter les tavernes, parcourir les lieux où l'on débite le poisson frais ou salé, et consumer ainsi en bonne chère tout le profit qu'ils tirent de cette espèce de trafic. En un mot, ils sont querelleurs et difficiles, ont sans cesse la bouche ouverte à la calomnie, ont une voix étourdissante, et qu'ils font retentir dans les marchés et dans les boutiques.

(1) DE L'EFFRONterie.

NOTES.

(2) Le mot grec employé ici, et qui se retrouve encore à la fin du chapitre, signifie un homme qui se tient toujours sur le marché, et qui cherche à gagner de l'argent, soit par des dénonciations ou de faux témoignages dans les tribunaux, soit en achetant des denrées pour les revendre, métier odieux chez les anciens *.

(3) Sur le théâtre avec des farceurs. LA BRUYÈRE.

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(4) Cette danse, la plus déréglée de toutes, s'appeloit en grec CORDAX, parceque l'on s'y servoit d'une corde pour faire des postures. LA BRUYÈRE. Cette étymologie est inadmissible, car le terme grec d'où nous vient le mot de corde commence par une autre lettre que le mot cordax, et ne s'emploie que pour des cordes de boyau, telles que celles de la lyre et de l'arc. Casaubon n'a cru le cordax se dansoit avec une corde, que parceque que Aristophane dit quelque part « CORDACEM TRAHERE » peut-être parcequ'il se rappeloit que dans les Adelphes de Térence, act. IV, sc. 7, Demea demande « TU INTER « EAS RESTIM DUCTANS SALTABIS? » Mais quoique dans cette phrase la corde soit expressément nommée, Donatus pense qu'il n'y est question que de se donner la main; et c'est aussi tout ce qu'on peut conclure de l'expression d'Aristophane au sujet du cordax. M. Visconti, auquel je dois cette observation, s'en sert dans un mémoire inédit sur le bas-relief des danseuses de la villa Borghese pour éclaircir le passage célèbre de Tite-Live, l. XXVII, chap. 37, où, en parlant d'une danse sacrée, cet auteur se sert de l'expression «RESTIM DARE. »

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(5) Choses fort extraordinaires, telles qu'on en voit dans nos foires. LA BRUYÈRE.

(6) Le savant Coray a observé avec raison qu'il faut ajouter une négation à cette phrase. Je traduis: « A ceux << qui n'ont point de billet, et veulent jouir du spectacle << gratis. » Il est question ici de farces jouées en pleine rue, et dont par conséquent, sans la précaution de distribuer des billets à ceux qui ont payé, et d'employer quelqu'un

à quereller ceux qui n'en ont pas, tout le monde peut jouir. Cette observation, qui n'avoit pas encore été faite, contredit l'induction que le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis a tirée de ce passage dans le chap. 70 de cet ouvrage.

(7) La Bruyère désigne ordinairement par ce mot les riches financiers; ici il n'est question que d'un simple commis au port, ou de quelque autre employé subalterne de la ferme d'Athènes.

(8) Joueur de dés. Aristote donne une raison assez délicate du mal qu'il trouve dans un jeu intéressé : « On y << gagne, dit-il, l'argent de ses amis, envers lesquels on « doit au contraire se conduire avec générosité. »

(9) La loi de Solon, qui n'étoit en cela que la sanction de la loi de la nature et du sentiment, ordonnoit de nourrir ses parents sous peine d'infamie.

(10) Cette circonstance est ajoutée par La Bruyère; Théophraste ne parle que de l'impudence qu'il y a à continuer une harangue dans les rues, quoique personne n'y fasse attention, et que chaque phrase s'adresse à un public différent.

(11) Une petite boîte de cuivre fort légère, où les plaideurs mettoient leurs titres et les pièces de leurs procès. LA BRUYÈRE. C'étoit au contraire un grand vase de cuivre ou de terre cuite, placé sur la table des juges pour y déposer les pièces qu'on leur soumettoit ; et Théophraste ne

se sert ici de ce terme que pour plaisanter sur l'énorme quantité de papiers dont se chargent ces chicaneurs*.

(12) Ici le mot grec dont j'ai déja parlé dans la note 2 ne peut avoir d'autre signification que celle de petits marchands de comestibles auxquels l'effronté prête de l'argent, et chez lesquels il va ensuite en retirer les intérêts, en mettant cet argent dans la bouche, comme c'étoit l'usage parmi le bas peuple d'Athènes. Casaubon avoit fait sur ce dernier point une note aussi juste qu'érudite, et La Bruyère n'auroit pas dû s'écarter de l'explication de ce savant.

(13) Une obole étoit la sixième partie d'une drachme. LA BRUYÈRE. L'effronté prend donc un quart du capital par jour **.

*

Voyez le scol. d'Aristophane, Vesp. 1427, et la scolie sur ce passage de Théophraste donnée par Fischer.

** Voyez sur 'usure d'Athènes le Voyage du jeune Anacharsis, ch. 55.

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CHAPITRE VII.

Du grand Parleur (1).

CE que quelques uns appellent BABIL est proprement une intempérance de langue qui ne permet pas à un homme de se taire (2). Vous ne contez pas la chose comme elle est, dira quelqu'un de ces grands parleurs à quiconque veut l'entretenir de quelque affaire que ce soit : j'ai tout su; et si vous vous donnez la patience de m'écouter, je vous apprendrai tout. Et si cet autre continue de parler, Vous avez déja dit cela (3), songez, poursuit-il, à ne rien oublier. Fort bien; cela est ainsi, car vous m'avez heureusement remis dans le fait; voyez ce que c'est de s'entendre les uns les autres. que Et ensuite : Mais que veux-je dire? ah! j'oubliois une chose : oui, c'est cela même, et je voulois voir si vous tomberiez juste dans tout ce que j'en ai appris. C'est par de telles ou semblables interruptions qu'il ne donne pas le loisir à celui qui lui parle de respirer. Et lorsqu'il a comme

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