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trouve si souvent, dans les manuscrits, sans la suite, et toujours avec les mêmes imperfections.

Étant ainsi frustré de l'espoir d'expliquer ou de restituer les passages difficiles ou altérés, par le secours des manuscrits, j'ai tâché de les éclaircir par de nouvelles recherches sur la langue et sur la philosophie de Théophraste, sur l'histoire et sur les antiquités.

J'ose dire que ces recherches m'ont mis à même de lever une assez grande partie des difficultés qu'on trouvoit dans cet ouvrage, et de m'apercevoir que plusieurs passages qu'on croyoit suffisamment entendus admettent une explication plus précise que celle dont on s'étoit contenté jusqu'à présent.

Outre les matériaux rassemblés par les commentateurs plus anciens et par moi-même, M. Visconti, dont l'érudition, la sagacité, et la précision critique qu'il a su porter dans la science des antiquités, sont si connues et si distinguées, a eu la bonté de me fournir quelques notes précieuses sur les passages parallèles et sur les monuments qui peuvent éclaircir des traits de ces caractères.

Enfin j'ai fait précéder le discours de La Bruyère sur Théophraste d'un aperçu de l'histoire de la morale en Grèce avant lui.

Je regrette que l'éloignement ne m'ait pas permis de soumettre à mon père ce premier essai dans une

carrière dans laquelle il m'a introduit, et où je cherche à marcher sur ses traces. Mais j'ai eu le bonheur de pouvoir communiquer mon travail à plusieurs savants et littérateurs du premier ordre, et sur-tout à MM. d'Ansse de Villoison, Visconti, et Suard, qui ont bien voulu m'aider de leurs conseils et m'honorer de leurs encouragements,

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DE L'HISTOIRE DE LA MORALE, EN GRÈCE,

AVANT THÉOPHRASTE.

MALGRÉ les germes de civilisation que des colonies orientales avoient portés dans la Grèce à une époque très reculée, nous trouvons dans l'histoire de ce pays une première période où la vengeance suspendue sur la tête du criminel, le pouvoir arbitraire d'un chef, et l'indignation publique, tenoient lieu de justice et de morale.

Dans ce premier âge de la société, au lieu de philosophes moralistes, des guerriers généreux parcourent la Grèce pour atteindre et punir les coupables: des oracles et des devins attachent au crime une flétrissure qui nécessite des expiations religieuses, au défaut desquelles le criminel est menacé de la colère des dieux et proscrit parmi les hommes.

Bientôt des poëtes recueillent les faits héroïques et les événements remarquables, et les chantent en

mêlant à leurs récits des réflexions et des sentences qui deviennent des proverbes et des maximes. Ayant conçu l'idée de donner des formes humaines à ces divinités que les peuples de l'Asie représentoient par des allégories souvent bizarres, ils furent obli

gés de chercher dans la nature humaine ce qu'elle avoit de plus élevé, pour composer leurs tableaux des traits qui commandoient la plus grande admiration. Leurs brillantes fictions se ressentent des mœurs d'un siècle à demi barbare; mais elles traçoient du moins à leurs contemporains des modèles de grandeur et même de vertus, plus parfaits que la réalité.

Les idées que la tradition avoit fournies à ces chantres révérés, ou que leur vive imagination leur avoit fait découvrir, furent méditées, réunies, augmentées par des hommes supérieurs; en même temps que tous les membres de la société sentirent le besoin de sortir de cet état d'instabilité, de troubles et de malheurs.

Alors les héros furent remplacés par des législateurs, et les idées religieuses se fixèrent. Elles furent enseignées sur-tout dans ces célèbres mystères fondés par Eumolpe quelques générations avant la guerre de Troie, auxquels Cicéron (1) attribue la civilisation de l'Europe, et que la Grèce a regardés pendant une si longue suite de siècles comme la plus sacrée de ses institutions. Dans les initiations solennelles d'Éleusis, la morale étoit présentée avec la sanction imposante de peines et de récompenses dans une

(1) De Legib. 11, 14.

vie à venir, dont les notions, d'abord grossières et même immorales, s'épurèrent peu à peu.

Dans cette période, les hommes éclairés jouirent d'une vénération d'autant plus grande, que les lumières étoient plus rares; et les talents extraordinaires plaçoient presque toujours celui qui les possédoit à la tête du gouvernement. L'orateur philosophe que je viens de citer (1) observe que parmi les sept sages de la Grèce il n'y eut que Thalès qui ne fut pas chef de sa république ; et cette exception provint de ce que ce philosophe se livra presque exclusivement aux sciences physiques.

le

Pythagore seul se fraya une carrière différente. Exilé de sa patrie par la tyrannie de Polycrate, il demeura sans fonctions civiles; mais il fut l'ami et le conseil des chefs des républiques de la grande Grèce. En même temps, pour se créer une sphère d'activité plus vaste et plus indépendante, il fonda une école qui embrassoit à-la-fois les sciences physiques et les sciences morales, et une association secrète qui devoit réformer peu à peu tous les états de la Grèce, et substituer aux institutions qu'avoient fait naître la violence et les circonstances, des constitutions fondées sur les véritables bases du contrat social (2).

(1) De Oratore, III, 34.

(2) Voyez Meiners, Hist. des Sciences dans la Grèce, l. ш; et le Voyage du jeune Anacharsis, c. 75.

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