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facilité que de disposition à m'interrompre. Je vous demanderai plus volontiers, à qui me faites-vous succéder? à un homme qui avoit de la vertu.

Quelquefois, messieurs', il arrive que ceux qui vous doivent les louanges des illustres morts dont ils remplissent la place hésitent, partagés entre plusieurs choses qui méritent également qu'on les relève : vous aviez choisi en M. l'abbé de La Chambre un homme si pieux, si tendre, si charitable, si louable par le cœur, qui avoit des mœurs si sages et si chrétiennes, qui étoit si touché de religion, si attaché à ses devoirs, qu'une de ses moindres qualités étoit de bien écrire de solides vertus, qu'on voudroit célébrer, font passer légèrement sur son érudition ou sur son éloquence; on estime encore plus sa vie et sa conduite que ses ouvrages. Je préférerois en effet de prononcer le discours funébre de celui à qui je succède, plutôt que de me borner à un simple éloge de son esprit. Le mérite en lui n'étoit pas une chose acquise, mais un patrimoine, ùn bien héréditaire; si du moins il en faut juger par le choix de celui qui avoit livré son cœur, sa confiance, toute sa personne, à cette famille, qui l'avoit rendue

comme votre alliée, puisqu'on peut dire qu'il l'avoit adoptée et qu'il l'avoit mise avec l'Académie Françoise sous sa protection.

Je parle du chancelier Séguier: on s'en souvient comme de l'un des plus grands magistrats que la France ait nourris depuis ses commencements; il a laissé à douter en quoi il excelloit davantage, ou dans les belles-lettres, ou dans les affaires; il est vrai du moins, et on en convient, qu'il surpassoit en l'un et en l'autre tous ceux de son temps: homme grave et familier, profond dans les délibérations, quoique doux et facile dans le commerce, il a eu naturellement ce que tant d'autres veulent avoir et ne se donnent pas, ce qu'on n'a point par l'étude et par l'affectation, par les mots graves ou sentencieux, ce qui est plus rare que la science, et peut-être que la probité, je veux dire de la dignité; il ne la devoit pas à l'éminence de son poste; au contraire, il l'a ennobli : il a été grand et accrédité sans ministère, et on ne voit pas que ceux qui ont su tout réunir en leur personne l'aient effacé.

Vous le perdites il y a quelques années, ce grand protecteur vous jetâtes la vue autour de vous, vous promenâtes vos yeux sur tous

ceux qui s'offroient et qui se trouvoient honorés de vous recevoir; mais le sentiment de votre perte fut tel, que, dans les efforts que vous fites pour la réparer, vous osâtes penser à celui qui seul pouvoit vous la faire oublier et la tourner à votre gloire: avec quelle bonté, avec quelle humanité ce magnanime prince. vous a-t-il reçus! n'en soyons pas surpris; c'est son caractère, le même, messieurs, que l'on voit éclater dans toutes les actions de sa belle vie, mais les que surprenantes révolutions arrivées dans un royaume voisin et allié de la France ont mis dans le plus beau jour qu'il pouvoit jamais recevoir.

Quelle facilité est la nôtre, pour perdre tout d'un coup le sentiment et la mémoire des choses dont nous nous sommes vus le plus fortement imprimés! Souvenons-nous de ces jours tristes que nous avons passés dans l'agitation et dans le trouble; curieux, incertains quelle fortune auroient courue un grand roi, une grande reine, le prince leur fils, famille auguste, mais malheureuse, que la piété et la religion avoient poussée jusqu'aux dernières épreuves de l'adversité. Hélas! avoient-ils péri sur la mer ou par les mains de leurs ennemis? nous ne le savions

pas on s'interrogeoit, on se promettoit réciproquement les premières nouvelles qui viendroient sur un événement si lamentable: ce n'étoit plus une affaire publique, mais domestique; on n'en dormoit plus, on s'éveilloit les uns les autres pour s'annoncer ce qu'on en avoit appris. Et quand ces personnes royales, à qui l'on prenoit tant d'intérêt, eussent pu échapper à la mer ou à leur patrie, étoit-ce assez? Ne falloit-il pas une terre étrangère où ils pussent aborder, un roi également bon et puissant qui pût et qui voulût les recevoir? Je l'ai vue cette réception, spectacle tendre s'il en fut jamais! On y versoit des larmes d'admiration et de joie : ce prince n'a pas plus de grace, lorsqu'à la tête de ses camps et de ses armées il foudroie une ville qui lui résiste, ou qu'il dissipe les troupes ennemies, du seul bruit de son approche..

S'il soutient cette longue guerre, n'en doutons pas, c'est pour nous donner une paix heureuse, c'est pour l'avoir à des conditions qui soient justes et qui fassent honneur à la nation, qui ôtent pour toujours à l'ennemi l'espérance de nous troubler par de nouvelles hostilités. Que d'autres publient, exaltent ce

que ce grand roi a exécuté, ou par lui-même, ou par ses capitaines, durant le cours de ces mouvements dont toute l'Europe est ébranlée; ils ont un sujet vaste et qui les exercera longtemps. Que d'autres augurent, s'ils le peuvent, ce qu'il veut achever dans cette campagne. Je ne parle que de son cœur, que de la pureté et de la droiture de ses intentions; elles sont connues, elles lui échappent on le félicite sur des titres d'honneur dont il vient de gratifier quelques grands de son état; que dit-il? qu'il ne peut être content quand tous ne le sont pas, et qu'il lui est impossible que tous le soient comme il le voudroit. Il sait, messieurs, que la fortune d'un roi est de prendre des villes, de gagner des batailles, de reculer ses frontières, d'être craint de ses ennemis; mais que la gloire du souverain consiste à être aimé de ses peuples, en avoir le cœur, et par le cœur tout ce qu'ils possèdent. Provinces éloignées, provinces voisines, ce prince humain et bienfaisant, que les peintres et les statuaires nous défigurent, vous tend les bras, vous regarde avec des yeux tendres et pleins de douceur; c'est là son attitude : il veut voir vos habitants, vos bergers, danser au son d'une flûte cham

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