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gré si bien loués et si long-temps que chacun des autres académiciens, ils ont osé faire des applications délicates et dangereuses de l'endroit de ma harangue où, m'exposant seul à prendre le parti de toute la littérature contre leurs plus irréconciliables ennemis, gens pécunieux, que l'excès d'argent, ou qu'une fortune faite par de certaines voies, jointe à la faveur des grands qu'elle leur attire nécessairement, mène jusqu'à une froide insolence, je leur fais à la vérité à tous une vive apostrophe, mais qu'il n'est pas permis de détourner de dessus eux pour la rejeter sur un seul, et sur tout autre,

Ainsi en usent à mon égard, excités peut-être par les Théobaldes, ceux qui, se persuadant qu'un auteur écrit seulement la satire, les amuser par pour et point du tout pour les instruire par une saine morale, au lieu de prendre pour eux et de faire servir à la correction de leurs moeurs les divers traits qui sont semés dans un ouvrage, s'appliquent à découvrir, s'ils le peuvent, quels de leurs amis ou de leurs ennemis ces traits peuvent regarder, négligent dans un livre tout ce qui n'est que remarques solides ou sérieuses réflexions, quoiqu'en si grand nombre qu'elles le composent presque tout entier, pour ne s'arrêter qu'aux peintures ou aux caractères; et après les avoir expliqués à leur manière, et en avoir cru

trouver les originaux, donnent au public de longues listes, ou, comme ils les appellent, des clefs (1), et qui leur sont aussi inutiles qu'elles sont injurieuses aux personnes dont les noms s'y voient déchiffrés, et à l'écrivain qui en est la cause, quoique innocente.

J'avois pris la précaution de protester dans une préface contre toutes ces interprétations, que quelque connoissance que j'ai des hommes m'avoit fait prévoir, jusqu'à hésiter quelque temps si je devois rendre mon livre public, et à balancer entre le desir d'être utile à ma patrie par mes écrits, et la crainte de fournir à quelques uns de quoi exercer leur malignité. Mais puisque j'ai eu la foiblesse de publier ces Caractères, quelle digue élèverai-je contre ce déluge d'explications qui inonde la ville, et qui bientôt va gagner la cour? Dirai-je sérieusement, et protesterai-je avec d'horribles serments, que je ne suis ni auteur ni complice de ces clefs qui courent; que je n'en ai donné aucune, que mes plus familiers amis savent que je les leur ai toutes refusées; que sonnes les plus accréditées de la cour ont désespéré d'avoir mon secret? N'est-ce la même chose que si je me tourmentois beaucoup à soutenir que je ne suis pas un malhonnête homme, un homme sans

(1) Fausses clefs.

pas

les

per

pudeur, sans mœurs, sans conscience, tel enfin que les gazetiers dont je viens de parler ont voulu me représenter dans leur libelle diffamatoire?

Mais d'ailleurs comment aurois-je donné ces sortes de clefs, si je n'ai pu moi-même les forger telles qu'elles sont, et que je les ai vues? Étant presque toutes différentes entre elles, quel moyen de les faire servir à une même entrée, je veux dire à l'intelligence de mes remarques? Nommant des personnes de la cour et de la ville à qui je n'ai jamais parlé, que je ne connois point, peuvent-elles partir de moi, et être distribuées de ma main? Aurois-je donné celles qui se fabriquent à Romorentin, à Mortagne, et à Belesme, dont les différentes applications sont à la baillive, à la femme de l'assesseur, au président de l'élection, au prévôt de la maréchaussée, et au prévôt de la collégiale? Les noms y sont fort bien marqués, mais ils ne m'aident pas davantage à connoître les personnes. Qu'on me permette ici une vanité sur mon ouvrage : je suis presque disposé à croire qu'il faut que mes peintures expriment bien l'homme en général, puisqu'elles ressemblent à tant de particuliers, et que chacun y croit voir ceux de sa ville ou de sa province. J'ai peint à la vérité d'après nature, mais je n'ai pas toujours songé à peindre celui-ci ou celle-là dans mon livre des mœurs. Je ne

me suis point loué au public pour faire des portraits qui ne fussent que vrais et ressemblants, de peur que quelquefois ils ne fussent pas croyables, et ne parussent feints ou imaginés : me rendant plus difficile, je suis allé plus loin ; j'ai pris un trait d'un côté et un trait d'un autre ; et de ces divers traits, qui pouvoient convenir à une même personne, j'en ai fait des peintures vraisemblables, cherchant moins à réjouir les lecteurs par le caractère, ou, comme le disent les mécontents, par la satire de quelqu'un, qu'à leur proposer des défauts à éviter, et des modéles à suivre.

Il me semble donc que je dois être moins blâmé que plaint de ceux qui par hasard verroient leurs noms écrits dans ces insolentes listes que je désavoue et que je condamne autant qu'elles le méritent. J'ose même attendre d'eux cette justice, que, sans s'arrêter à un auteur moral qui n'a eu nulle intention de les offenser par son ouvrage, ils passeront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur est inexcusable. Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure que j'ai voulu dire; et je réponds encore moins de ce qu'on me fait dire et que je ne dis point. Je nomme nettement les personnes que je veux nommer, toujours dans la vue de louer leur vertu ou leur mérite: j'écris leurs noms en lettres capitales

afin qu'on les voie de loin, et que le lecteur ne coure pas risque de les manquer. Si j'avois voulu mettre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je me serois épargné le travail d'emprunter des noms de l'ancienne histoire, d'employer des lettres initiales qui n'ont qu'une signification vaine et incertaine, de trouver enfin mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me lisent, et les dégoûter des applications. Voilà la conduite que j'ai tenue dans la composition des Caractères.

Sur ce qui concerne la harangue, qui a paru longue et ennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effet pourquoi j'ai tenté de faire de ce remerciement à l'Académie Françoise un discours oratoire qui eût quelque force et quelque étendue : de zélés acadé miciens m'avoient déja frayé ce chemin; mais ils se sont trouvés en petit nombre, et leur zèle pour l'honneur et pour la réputation de l'Académie n'a eu que peu d'imitateurs. Je pouvois suivre l'exemple de ceux qui, postulant une place dans cette compagnie sans avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachent écrire, annoncent dédaigneusement, la veille de leur réception, qu'ils n'ont que deux mots à dire et qu'un moment à parler, quoique capables de parler long-temps, et de parler bien.

J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan

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