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y a quarante ans que je n'étois point, et qu'il n'étoit en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'être plus : j'ai donc commencé, et je continue d'être par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi; si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que c'est.

Peut-être que moi qui existe n'existe ainsi que par la force d'une nature universelle qui a toujours été telle que nous la voyons; en remontant jusques à l'infinité des temps (1). Mais cette nature, ou elle est seulement esprit, et c'est Dieu : ou elle est matière, et ne peut par conséquent avoir créé mon esprit : ou elle est un composé de matière et d'esprit; et alors ce qui est esprit dans la nature, je l'appelle Dieu.

Peut-être aussi ce que j'appelle mon esprit n'est qu'une portion de matière qui existe par la force d'une nature universelle qui est aussi matière, qui a toujours été, et qui sera toujours telle que nous la voyons, et qui n'est point Dieu (2): mais du moins faut-il m'accorder que

(1) Objection du système des libertins. (2) Supposition des incrédules.

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ce que j'appelle mon esprit, quelque chose que ce puisse être, est une chose qui pense ; et que, s'il est matière, il est nécessairement une matière qui pense: car l'on ne me persuadera point qu'il n'y ait pas en moi quelque chose qui pense pendant que je fais ce raisonnement. Or, ce quelque chose qui est en moi, et qui pense, s'il doit son être et sa conservation à une nature universelle qui a toujours été et qui sera toujours, laquelle il reconnoisse comme sa cause, il faut indispensablement que ce soit à une nature universelle, ou qui pense, ou qui soit plus noble et plus parfaite que ce qui pense; si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit encore conclure que c'est une matière universelle qui pense, ou qui est plus noble et plus parfaite que ce qui pense.

et,

Je continue, et je dis : cette matière, telle qu'elle vient d'être supposée, si elle n'est pas un être chimérique, mais réel, n'est pas aussi imperceptible à tous les sens; et, si elle ne se découvre pas par elle-même, on la connoît du moins dans le divers arrangement de ses parties, qui constitue les corps, et qui en fait la différence; elle est donc elle-même sous ces différents corps: et, comme elle est une ma

tière qui pense selon la supposition, ou qui vaut mieux que ce qui pense, il s'ensuit qu'elle est telle du moins selon quelques uns de ces : corps, et par une suite nécessaire selon tous ces corps, c'est-à-dire qu'elle pense dans les pierres, dans les métaux, dans les mers, dans la terre, dans moi-même qui ne suis qu'un corps, comme dans toutes les autres parties qui la composent: c'est donc à l'assemblage de ces parties si terrestres, si grossières, si corporelles, qui toutes ensemble sont la matière universelle ou ce monde visible, que je dois ce quelque chose qui est en moi, qui pense, et que j'appelle mon esprit; ce qui est absurde.

Si au contraire cette nature universelle, quelque chose que ce puisse être, ne peut pas être tous ces corps, ni aucun de ces corps, il suit de là qu'elle n'est point matière, ni perceptible par aucun des sens; si cependant elle pense, ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus encore qu'elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli que ce qui est esprit: si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moi, et que j'appelle mon esprit, que cette nature universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer sa première cause et

son unique origine, parcequ'il ne trouve point son principe en soi, et qu'il le trouve encore moins dans la matière, ainsi qu'il a été démontré, alors je ne dispute point des noms, mais cette source originaire de tout esprit, qui est esprit elle-même, et qui est plus excellente que tout esprit, je l'appelle Dieu.

En un mot, je pense; donc Dieu existe : car ce qui pense en moi, je ne le dois point à moimême, parcequ'il n'a pas plus dépendu de moi de me le donner une première fois qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul instant; je ne le dois point à un être qui soit audessus de moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la matière soit au-dessus de ce qui pense: je le dois donc à un être qui est audessus de moi, et qui n'est point matière; et c'est Dieu.

De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soi généralement tout ce qui est matière, il suit nécessairement qu'un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre en soi la moindre matière ; car, bien qu'un être universel qui pense renferme dans son idée infiniment plus de grandeur, de puissance, d'indépendance, et de capacité, qu'un être particulier

qui pense, il ne renferme pas néanmoins une plus grande exclusion de matière, puisque cette exclusion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande qu'elle peut être et comme infinie, et qu'il est autant impossible que ce qui pense en moi soit matière qu'il est inconcevaque Dieu soit matière: ainsi, comme Dieu est esprit, mon ame aussi est esprit.

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Je ne sais point si le chien choisit, s'il se ressouvient, s'il affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense quand donc l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passions, ni sentiment, mais l'effet naturel et nécessaire de la disposition de sa machine préparée par le divers arrangement des parties de la matière, je puis au moins acquiescer à cette doctrine. Mais je pense, et je suis certain que je pense : or, quelle proportion y a-t-il de tel ou de tel arrangement des parties de la matière, c'est-àdire d'une étendue selon toutes ses dimensions, qui est longue, large et profonde, et qui est divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense?

Si tout est matière, et si la pensée en moi, comme dans tous les autres hommes, n'est qu'un effet de l'arrangement des parties de la matière, qui a mis dans le monde toute autre

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