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même, toute campagne n'est pas agreste (1), et toute ville n'est pas polie. Il y a y a dans l'Europe un endroit d'une province maritime d'un grand royaume, où le villageois est doux et insinuant, le bourgeois au contraire et le magistrat grossiers, et dont la rusticité est héréditaire.

Avec un langage si pur, une si grande recherche dans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belles lois et un visage blanc, nous sommes barbares pour quelques peuples.

Si nous entendions dire des Orientaux qu'ils boivent ordinairement d'une liqueur qui leur monte à la tête, leur fait perdre la raison, et les fait vomir, nous dirions cela est bien barbare.

Ce prélat (2) se montre peu à la cour, il n'est de nul commerce, on ne le voit point avec des femmes, il ne joue ni à grande ni à petite prime, il n'assiste ni aux fêtes ni aux spectacles, il n'est point homme de cabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue: toujours dans son évêché,

(1) Ce terme s'entend ici métaphoriquement.

(2) M. de Noailles, ci-devant évêque de Châlons, ensuite archevêque de Paris.

où il fait une résidence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple par la parole, et à l'édifier par son exemple: il consume son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence; il n'a que l'esprit de régularité, et il est imitateur du zèle et de la piété des Apôtres. Les temps sont changés, et il est menacé sous ce règne d'un titre plus éminent.

Ne pourroit-on point faire comprendre aux personnes d'un certain caractère et d'une profession sérieuse, pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire d'eux qu'ils jouent, qu'ils chantent, et qu'ils badinent comme les autres hommes; et qu'à les voir si plaisants et si agréables, on ne croiroit point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers et si sévères? oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent par de telles manières de la politesse dont ils se piquent; qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors aux conditions, qu'elle évite le contraste, et de montrer le même homme des figures différentes, et qui font de lui un composé bizarre, ou un grotesque?

sous

Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure sur une seule et première vue : il y a un intérieur et un cœur qu'il

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faut approfondir : le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très petit nombre de connoisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer. Ce n'est que peu à peu, et forcés même par le temps et les occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à se déclarer.

FRAGMENT.

per

« Il disoit que l'esprit dans cette belle «sonne étoit un diamant bien mis en œuvre. <«< Et continuant de parler d'elle, c'est, ajoutoit-il, comme une nuance de raison et d'a«grément qui occupe les yeux et le cœur de «< ceux qui lui parlent; on ne sait si on l'aime « ou si on l'admire : il y a en elle de quoi faire « une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous << mener plus loin que l'amitié: trop jeune et « trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop

«

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modeste pour songer à plaire, elle ne tient

compte aux hommes que de leur mérite, et « ne croit avoir que des amis. Pleine de viva« cités et capable de sentiments, elle surprend

<< et elle intéresse; et sans rien ignorer de ce

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qui peut entrer de plus délicat et de plus fin

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<< dans les conversations, elle a encore ces sail*« lies heureuses qui, entre autres plaisirs qu'elles font, dispensent toujours de la réplique : elle « vous parle comme celle qui n'est pas savante, qui doute et qui cherche à s'éclaircir; et elle « vous écoute comme celle qui sait beaucoup, qui connoît le prix de ce que vous lui dites, « et auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui « vous échappe. Loin de s'appliquer à vous con<<< tredire avec esprit, et d'imiter Elvire, qui aime « mieux passer pour une femme vive que mar« quer du bon sens et de la justesse, elle s'ap

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proprie vos sentiments, elle les croit siens, «<elle les étend, elle les embellit ; vous êtes con<< tent de vous d'avoir pensé si bien, et d'avoir « mieux dit encore que vous n'aviez cru. Elle * est toujours au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle écrive: elle oublie les traits, « où il faut des raisons; elle a déja compris que « la simplicité est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de vous jeter dans les mêmes

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intérêts, laissant à Elvire les jolis discours et » les belles lettres qu'elle met à tous usages, « Artenice n'emploie auprès de vous que la sincérité, l'ardeur, l'empressement, et la per« suasion. Ce qui domine en elle, c'est le plaisir

"

« de la lecture, avec le goût des personnes de « nom et de réputation, moins pour en être « connue que pour les connoître. On peut la « louer d'avance de toute la sagesse qu'elle aura «< un jour, et de tout le mérite qu'elle se pré<< pare par les années, puisque avec une bonne << conduite elle a de meilleures intentions, des

"

principes sûrs, utiles à celles qui sont com* me elle exposées aux soins et à la flatterie; * et qu'étant assez particulière sans pourtant « être farouche, ayant même un peu de pen<< chant pour la retraite, il ne lui sauroit peut<< être manquer que les occasions, ou ce qu'on

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«

* appelle un grand théâtre, pour y faire briller

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toutes ses vertus. »

Une belle femme est aimable dans son naturel; elle ne perd rien à être négligée, et sans autre parure que celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse : une grace naïve éclate sur son visage, anime ses moindres actions; il y auroit moins de péril à la voir avec tout l'attirail de l'ajustement et de la mode. De même un homme de bien est respectable par lui-même, et indépendamment de tous les dehors dont il voudroit s'aider pour rendre sa personne plus

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