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Ovide et Catulle achevoient de décider des mariages et des testaments, et venoient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles. Le sacré et le profane ne se quittoient point; ils s'étoient glissés ensemble jusque dans la chaire: saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucréce, parloient alternativement: les poëtes étoient de l'avis de saint Augustin et de tous les Pères on parloit latin et long-temps devant des femmes et des marguilliers; on a parlé grec il falloit savoir prodigieusement pour prêcher si mal. Autre temps, autre usage : le texte ést encore latin, tout le discours est françois, et d'un beau françois; l'Évangile même n'est pas cité: il faut savoir aujourd'hui très peu de chose pour bien prêcher.

L'on a enfin banni la scholastique de toutes les chaires des grandes villes, et on l'a reléguée dans les bourgs et dans les villages pour l'instruction et pour le salut du laboureur ou du vigneron.

C'est avoir de l'esprit (1) que de plaire au

(1) L'abbé Fléchier, depuis évêque de Nimes, a fait quantité de beaux panégyriques; ou bien le P. Senault, La Roche, et autres.

peuple dans un sermon par un style fleuri, une morale enjouée, des figures réitérées, des traits brillants, et de vives descriptions; mais ce n'est point en avoir assez. Un meilleur esprit (1) néglige ces ornements étrangers, indignes de servir à l'Évangile; il prêche simplement, fortement, chrétiennement.

L'orateur (2) fait de si belles images de certains désordres, y fait entrer des circonstances si délicates, 'met tant d'esprit, de tour et de raffinement dans celui qui péche, que, si je n'ai pas de pente à vouloir ressembler à ses portraits, j'ai besoin du moins que quelque apôtre, avec un style plus chrétien, me dégoûte des vices dont l'on m'avoit fait une peinture si agréable.

Un beau sermon (3) est un discours oratoire qui est dans toutes ses règles, purgé de tous

(1) Le P. Soanen, grand prédicateur, prêtre de l'Oratoire, ensuite évêque de Senez.

(2) L'abbé Bouin, grand faiseur de portraits en chaire, habile prédicateur, et grand joueur; ce qui l'a empêché de parvenir aux dignités ecclésiastiques, où il auroit eu bonne part.

(3) Le P. Gonnelieu, jésuite.

ses défauts, conforme aux préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les ornements de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n'en perdent pas le moindre trait ni une seule pensée; ils suivent sans peine l'orateur dans toutes les énumérations où il se promène, comme dans toutes les élévations où il se jette: ce n'est une énigme que pour le peuple.

Le solide et l'admirable (1) discours que celui qu'on vient d'entendre! Les points de religion. les plus essentiels, comme les plus pressants motifs de conversion, y ont été traités; quel grand effet n'a-t-il pas dû faire sur l'esprit et dans l'ame de tous les auditeurs! Les voilà rendus; ils en sont émus et touchés au point de résoudre dans leur cœur, sur ce sermon de Théodore, qu'il est encore plus beau que le dernier qu'il a prêché.

La morale douce (2) et relâchée tombe avec celui qui la prêche : elle n'a rien qui réveille et qui pique la curiosité d'un homme du monde, qui craint moins qu'on ne pense une doctrine sévère, et qui l'aime même dans celui qui fait

(1) Le P. Bourdaloue.

(2) L'abbé Boileau, et Fléchier.

son devoir en l'annonçant. Il semble donc qu'il y ait dans l'église comme deux états qui doivent la partager celui de dire la vérité dans toute son étendue, sans égards, sans déguisement; celui de l'écouter avidement, avec goût, avec admiration, avec éloges, et de n'en faire cependant ni pis ni mieux.

L'on peut faire (1) ce reproche à l'héroïque vertu des grands hommes, qu'elle a corrompu l'éloquence, ou du moins amolli le style de la plupart des prédicateurs: au lieu de s'unir seulement avec les peuples pour bénir le ciel de si rares présents qui en sont venus, ils ont entré en société avec les auteurs et les poëtes; et, devenus comme eux panégyristes, ils ont enchéri sur les épîtres dédicatoires, sur les stances et sur les prologues; ils ont changé la parole sainte en un tissu de louanges, justes à la vérité, mais mal placées, intéressées, que personne n'exige d'eux, et qui ne conviennent point à leur caractère. On est heureux, si, à l'occasion du héros qu'ils célébrent jusque dans le sanctuaire, ils disent un mot de Dieu et du mystère qu'ils devoient prêcher il s'en est

(1) Contre les oraisons funèbres.

trouvé quelques uns (1) qui, ayant assujetti le saint Évangile, qui doit être commun à tous, à la présence d'un seul auditeur, se sont vus déconcertés par des hasards qui le retenoient ailleurs, n'ont pu prononcer devant des chrétiens un discours chrétien qui n'étoit pas fait pour eux, et ont été suppléés par d'autres orateurs qui n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermon précipité.

Théodule (2) a moins réussi que quelques uns de ses auditeurs ne l'appréhendoient; ils sont contents de lui et de son discours : il a mieux fait à leur gré que de charmer l'esprit et les oreilles, qui est de flatter leur jalousie.

Le métier de la parole ressemble en une chose à celui de la guerre : il y a plus de risques qu'ailleurs, mais la fortune y est plus rapide.

(1) L'abbé de Roquette, neveu de l'évêque d'Autun, ayant à prêcher devant le roi un jour de jeudi saint, avoit préparé un beau discours, rempli des louanges du roi, qui s'y devoit trouver; mais le roi ne l'ayant pu, à cause de quelques affaires qui lui survinrent, il n'osa monter en chaire, n'ayant plus d'occasion de débiter son discours

(2) Fléchier, évêque de Nîmes.

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