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blent les admettre tous, ou les nier tous, paroît un égal inconvénient; et j'ose dire qu'en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à trouver entre les ames crédules et les esprits forts.

que

L'on ne peut guère charger l'enfance de la connoissance de trop de langues, et il me semble l'on devroit mettre toute son application à l'en instruire: elles sont utiles à toutes les conditions des hommes, et elles leur ouvrent également l'entrée ou à une profonde ou à une facile et agréable érudition. Si l'on remet cette étude si pénible à un âge un peu plus avancé, et qu'on appelle la jeunesse, ou l'on n'a pas la force de l'embrasser par choix, ou l'on n'a pas celle d'y persévérer; et, si l'on y persévère, c'est consumer à la recherche des langues le même temps qui est consacré à l'usage que l'on en doit faire; c'est borner à la science des mots un âge qui veut déja aller plus loin, et qui demande des choses; c'est au moins avoir perdu les premières et les plus belles années de sa vie. Un si grand fonds ne se peut bien faire que lorsque tout s'imprime dans l'ame naturellement et profondément;

que la mémoire est neuve, prompte, et fidèle; que l'esprit et le cœur sont encore vides de pas

sions, de soins, et de desirs, et que l'on est déterminé à de longs travaux par ceux de qui l'on dépend. Je suis persuadé que le petit nombre d'habiles, ou le grand nombre de gens superficiels, vient de l'oubli de cette pratique.

L'étude des textes ne peut jamais être assez recommandée; c'est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d'érudition : ayez les choses de la première main, puisez à la source; maniez, remaniez le texte, apprenez-le de mémoire, citez-le dans les occasions, songez sur-tout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses circonstances; conciliez un auteur original, ajustez ses principes, tirez vous-même les conclusions. Les premiers commentateurs se sont trouvés dans le cas où je desire que vous soyez : n'empruntez leurs lumières, et ne suivez leurs vues, qu'où les vôtres seroient trop courtes; leurs explications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous échapper. Vos observations, au contraire, naissent de votre esprit, et y demeurent; vous les retrouvez plus ordinairement dans la conversation, dans la con

par

sultation, et dans la dispute: ayez le plaisir de voir que vous n'êtes arrêté dans la lecture que les difficultés qui sont invincibles, où les commentateurs et les scholiastes eux-mêmes demeurent court, si fertiles d'ailleurs, si abondants, et si chargés d'une vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui ne font de peine ni à eux ni aux autres : achevez ainsi de vous convaincre, par cette méthode d'étudier, que c'est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu'à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires; et qu'elle a en cela agi contre soi-même et contre ses plus chers intérêts en multipliant les lectures, les recherches, et le travail qu'elle cherchoit à éviter.

Qui règle les hommes (1) dans leur manière de vivre et d'user des aliments? la santé et le régime? Cela est douteux. Une nation entière mange les viandes après les fruits; une autre fait tout le contraire. Quelques uns commencent leurs repas par de certains fruits, et les finissent par d'autres est-ce raison? est-ce

(1) Les François et les Espagnols.

usage? Est-ce par un soin de leur santé que les hommes s'habillent jusqu'au menton, portent des fraises et des collets, eux qui ont eu si longtemps la poitrine découverte? Est-ce par bienséance, sur-tout dans un temps où ils avoient trouvé le secret de paroître nus tout habillés? Et d'ailleurs, les femmes, qui montrent leur gorge et leurs épaules, sont-elles d'une complexion moins délicate que les hommes, ou moins sujettes qu'eux aux bienséances? Quelle est la pudeur qui engage celles-ci à couvrir leurs jambes et presque leurs pieds, et qui leur permet d'avoir les bras nus au-dessus du coude? Qui avoit mis autrefois dans l'esprit des hommes qu'on étoit à la guerre ou pour se défendre ou pour attaquer, et qui leur avoit insinué l'usage des armes offensives et des défensives? Qui les oblige aujourd'hui de renoncer à cellesci, et, pendant qu'ils se bottent pour aller au bal, de soutenir sans armes et en pourpoint des travailleurs exposés à tout le feu d'une contrescarpe? Nos pères, qui ne jugeoient pas une telle conduite utile au prince et à la patrie, étoient-ils sages ou insensés? Et nousmêmes, quels héros célébrons-nous dans notre histoire? Un Guesclin, un Clisson, un Foix,

un Boucicaut, qui tous ont porté l'armet et endossé une cuirasse?

Qui pourroit rendre raison de la fortune de certains mots, et de la proscription de quelques autres? Ains a péri: la voyelle qui le commence, et si propre pour l'élision, n'a pu le sauver; il a cédé à un autre monosyllabe mais, et qui n'est au plus que son anagramme. Certes est beau dans sa vieillesse, et a encore de la force sur son déclin : la poésie le réclame, et notre langue doit beaucoup aux écrivains qui le disent en prose, et qui se commettent pour lui dans leurs ouvrages. Maint est un mot qu'on ne devoit jamais abandonner, et par la facilité qu'il y avoit à le couler dans le style, et par son origine, qui est françoise. Moult, quoique latin, étoit dans son temps d'un même mérite; et je ne vois pas par où beaucoup l'emporte sur lui. Quelle persécution le car n'a-t-il pas essuyée! et, s'il n'eût trouvé de la protection parmi les gens polis, n'étoit-il pas banni honteusement d'une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu'on sût quel mot lui substituer? Cil a été dans ses beaux jours le plus joli mot de la langue françoise; il est douloureux pour les poëtes qu'il ait vieilli. Douloureux ne vient

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