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<«<lors les peuples seroient heureux, si l'empe« reur philosophoit, ou si le philosophe, ou «<le grimaud, venoit à l'empire! »>

Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences, et rien davantage : le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes; mais si elles sont grossières ou polies, si les livres qu'elles ont formés sont d'un bon ou d'un mauvais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine: seroit-on pédant, quelques siécles après qu'on ne la parleroit plus, pour lire Molière ou La Fontaine?

Je nomme Euripile, et vous dites, c'est un bel esprit : vous dites aussi de celui qui travaille une poutre, il est charpentier; et de celui qui refait un mur, il est maçon. Je vous demande quel est l'atelier où travaille cet homme de métier, ce bel esprit? quelle est son enseigne? à quel habit le reconnoît-on? quels sont ses outils? est-ce le coin? sont-ce le marteau ou l'enclume? où fend-il, où cogne-t-il son ouvrage? où l'expose-t-il en vente? Un ouvrier se pique d'être ouvrier; Euripile se pique-t-il d'être bel esprit? s'il est tel, vous me peignez un fat qui

met l'esprit en roture, une ame vile et mécanique à qui ni ce qui est beau ni ce qui est esprit ne sauroient s'appliquer sérieusement; et s'il est vrai qu'il ne se pique de rien, je vous entends, c'est un homme sage et qui a de l'esprit. Ne dites-vous pas encore du savantasse, il est bel esprit, et ainsi du mauvais poëte? Mais vous-même vous croyez-vous sans aucun esprit? et si vous en avez, c'est sans doute de celui qui est beau et convenable; vous voilà donc un bel esprit: ou s'il s'en faut peu que vous ne preniez ce nom pour une injure, continuez, j'y consens, de le donner à Euripile, et d'employer cette ironie comme les sots sans le moindre discernement, ou comme les ignorants qu'elle console d'une certaine culture qui leur manque, et qu'ils ne voient que dans les au

tres.

Qu'on ne me parle jamais d'encre, de papier, de plume, de style, d'imprimeur, d'imprimerie; qu'on ne se hasarde plus de me dire : vous écrivez si bien, Antisthène ! continuez d'écrire : ne verrons-nous point de vous un in-folio? traitez de toutes les vertus et de tous les vices dans un ouvrage suivi, méthodique, qui n'ait point de fin; ils devroient ajouter et nul cours. Je

renonce à tout ce qui a été, qui est, et qui sera libre. Bérylle (1) tombe en syncope à la vue d'un chat, et moi à la vue d'un livre. Suis-je mieux nourri et plus lourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à l'abri du nord, ai-je un lit de plumes après vingt ans entiers qu'on me débite dans la place? J'ai un grand nom, ditesvous, et beaucoup de gloire; dites que j'ai beaucoup de vent qui ne sert à rien : ai-je un grain de ce métal qui procure toutes choses? Le vil praticien grossit son mémoire, se fait rembourser des frais qu'il n'avance pas, et il a pour gendre un comte ou un magistrat. Un homme rouge (2) ou feuille-morte devient commis, et bientôt plus riche que son maître; il le laisse dans la roture, et avec de l'argent il devient noble. B** (3) s'enrichit à montrer dans un cercle des marionnettes; BB** (4) à vendre en bouteilles l'eau de la rivière. Un autre charla

(1) L'abbé de Rubec, frère de M. de Valancé. (2) M. Le Normand, ou M. d'Apoigni.

(3) Benoît, qui a amassé du bien en montrant des figures de cire.

(4) Barbereau, qui a amassé du bien en vendant de l'eau de la rivière de Seine pour des eaux minérales.

tán (1) arrive ici de delà les monts avec une malle; il n'est pas déchargé que les pensions courent; et il est près de retourner d'où il arrive avec des mulets et des fourgons. Mercure (2) est Mercure, et rien davantage, et l'or ne peut payer sés médiations et ses intrigues on y ajoute la faveur et les distinctions. Et sans parler que des gains licites, on paie au tuilier sa tuile, et à l'ouvrier son temps et son ouvrage : paie-t-on à un auteur ce qu'il pense et ce qu'il écrit? et s'il pense très bien, le paie-t-on très largement? se meuble-t-il, s'anoblit-il à force de penser et d'écrire juste? il faut que les hommes soient habillés, qu'ils soient rasés ; il faut que, retirés dans leurs maisons, ils aient une porte qui ferme bien est-il nécessaire qu'ils soient instruits? Folie, simplicité, imbécillité, continue Antisthène, de mettre l'enseigne d'auteur ou de philosophe! avoir, s'il se peut, un office lucratif, qui rende la vie aimable, qui fasse prêter à ses amis, et donner à ceux qui ne peuvent rendre écrire alors par jeu, par

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(1) Caretti, qui a gagné du bien par quelques secrets qu'il vendoit fort cher.

(2) Bontemps.

oisiveté, et comme Tityre siffle ou joue de la flûte; cela, ou rien: j'écris à ces conditions, et je cède ainsi à la violence de ceux qui me prennent à la gorge, et me disent, vous écrirez. Ils liront pour titre de mon nouveau livre: Du beau, du bon, du vrai, des idées, du premier principe, par Antisthéne, vendeur de marée.

Si les ambassadeurs (1) des princes étrangers étoient des singes instruits à marcher sur leurs pieds de derrière, et à se faire entendre par interprète, nous ne pourrions pas marquer un plus grand étonnement que celui que nous donnent la justesse de leurs réponses, et le bon sens qui paroît quelquefois dans leurs discours. La prévention du pays, jointe à l'orgueil de la nation, nous fait oublier que la raison est de tous les climats, et que l'on pense juste par-tout où il y a des hommes. Nous n'aimerions pas à être traités ainsi de ceux que nous appelons barbares ; et s'il y a en nous quelque barbarie, elle consiste à être épouvantés de voir d'autres peuples raisonner comme nous.

Tous les étrangers ne sont pas barbares, et tous nos compatriotes ne sont pas civilisés : de

(1) Ceux de Siam, qui vinrent à Paris dans ce temps-là.

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