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qui a la complexion foible, et sauver un coupable qui est né robuste.

Un coupable puni est un exemple pour la canaille, un innocent condamné (1) est l'affaire de tous les honnêtes gens.

Je dirai presque de moi: Je ne serai pas voleur ou meurtrier : je ne serai pas un jour puni comme tel, c'est parler bien hardiment.

Une condition lamentable est celle d'un homme innocent à qui la précipitation et la procédure ont trouvé un crime; celle même de son juge peut-elle l'être davantage?

Si l'on me racontoit (2) qu'il s'est trouvé autrefois un prévôt, ou l'un de ces magistrats créés pour poursuivre les voleurs et les exter

(1) Le marquis de Langlade, innocent, condamné aux galères, où il est mort. Le Brun, appliqué à la question, où il est mort. Le premier avoit été accusé d'un vol fait à M. de Montgommery; et le voleur, qui étoit son aumônier, fut trouvé depuis, et pendu. Le second fut accusé d'avoir assassiné madame Mazel, et pour cela mis à la question. L'assassin, nommé Berri, qui étoit fils naturel de ladite dame Mazel, parut depuis, et fut puni.

(2) De Grand-Maison, grand-prévôt de l'hôtel, a fait rendre à M. de Saint-Pouange une boucle de diamants qui lui avoit été dérobée à l'Opéra.

miner, qui les connoissoit tous depuis longtemps de nom et de visage, savoit leurs vols, j'entends l'espèce, le nombre et la quantité, pénétroit si avant dans toutes ces profondeurs, et étoit si initié dans tous ces affreux mystères, qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou qu'on lui avoit pris dans la foule au sortir d'une assemblée, et dont il étoit sur le point de faire de l'éclat; que le parlement intervint dans cette affaire, et fit le procès à cet officier; je regarderois cet événement comme l'une de ces choses dont l'histoire se charge, et à qui le temps ôte la croyance: comment donc pourrois-je croire qu'on doive présumer par des faits récents, connus et circonstanciés, qu'une connivence si pernicieuse dure encore, qu'elle ait même tourné en jeu et passé en coutume?

Combien d'hommes (1) qui sont forts contre les foibles, fermes et inflexibles aux sollicitations du simple peuple, sans nuls égards pour les petits, rigides et sévères dans les minuties, qui refusent les petits présents, qui n'écoutent ni leurs parents ni leurs amis, et que les femmes seules peuvent corrompre !

(1) Le président de Mesme et le lieutenant civil.

a

Il n'est pas absolument impossible qu'une personne qui se trouve dans une grande faveur perde un procès.

Les mourants qui parlent dans leurs testaments peuvent s'attendre à être écoutés comme des oracles: chacun les tire de son côté, et les interprète à sa manière, je veux dire selon ses desirs ou ses intérêts.

Il est vrai (1) qu'il y a des hommes dont on peut dire que la mort fixe moins la dernière volonté qu'elle ne leur ôte avec la vie l'irrésolution et l'inquiétude. Un dépit pendant qu'ils vivent les fait tester; ils s'apaisent et déchirent leur minute, la voilà en cendre. Ils n'ont pas moins de testaments dans leur cassette que d'almanachs sur leur table; ils les comptent par les années: un second se trouve détruit par un troisième, qui est anéanti lui-même par un autre mieux digéré, et celui-ci encore par un cinquième olographe. Mais si le moment, ou la malice, ou l'autorité, manquent à celui qui a intérêt de le supprimer, il faut qu'il en essuie les clauses et les conditions: car appert-il mieux des dispositions des hommes les plus in

(1) L'abbé de La Rivière, évêque de Langres.

constants que par un dernier acte, signé de leur main, et après lequel ils n'ont pas du moins eu le loisir de vouloir tout le contraire?

S'il n'y avoit (1) point de testaments pour gler le droit des héritiers, je ne sais si l'on auroit besoin de tribunaux pour régler les différents des hommes. Les juges seroient presque réduits à la triste fonction d'envoyer au gibet les voleurs et les incendiaires. Qui voit-on dans les lanternes des chambres, au parquet, à la porte ou dans la salle du magistrat? des héritiers ab intestat? Non, les lois ont pourvu à leurs partages: on y voit les testamentaires qui plaident en explication d'une clause ou d'un article; les personnes exhérédées; ceux qui se plaignent d'un testament fait avec loisir, avec maturité, par un homme grave, habile, consciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil; d'un acte où le praticien n'a rien omis de son jargon et de ses finesses ordinaires ; il est signé du testateur et des témoins publics, il est paraphé; et c'est en cet état qu'il est cassé et déclaré nul.

(1) La princesse de Carignan, le président Larché.

Titius (1) assiste à la lecture d'un testament avec deux yeux rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont il espère recueillir la succession: un article lui donne la charge, un autre les rentes de la ville, un troisième le rend maître d'une terre à la campagne; il y a une clause qui, bien entendue, lui accorde une maison située au milieu de Paris, comme elle se trouve, et avec les meubles; son affliction augmente; les larmes lui coulent des yeux; le moyen de les contenir? il se voit officier, logé aux champs et à la ville, meublé de même, il se voit une bonne table et un carrosse : << Y avoit-il au monde un plus honnête homme

(1) Hennequin, procureur-général au grand-conseil, avoit été fait légataire universel par le testament de madame Valentin, femme de l'avocat au conseil, qui n'avoit fait faire ce testament au profit du sieur Hennequin que dans la vue qu'il remettroit les biens, comme étant un fidéicommis. Mais le sieur Hennequin ne l'ayant pas pris sur ce ton, et voulant s'approprier les biens mêmes, ayant pris le deuil et fait habiller tous ses domestiques, M. Valentin fit paroître un autre testament en faveur de M. de Bragelonne, qui révoquoit le premier, et qui a été confirmé, celui-ci ayant mieux entendu l'intention de la défunte.

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