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leure. Celui-ci, par la suppression d'une syllabe (1), fait de son nom obscur un nom illustre : celui-là, par le changement d'une lettre en une autre, se travestit, et de Syrus devient Cyrus. Plusieurs suppriment leurs noms (2), qu'ils pourroient conserver sans honte, pour en adopter de plus beaux, où ils n'ont qu'à perdre par la comparaison que l'on fait toujours d'eux qui les portent avec les grands hommes qui les ont portés. Il s'en trouve enfin (3) qui, nés à l'ombre des clochers de Paris, veulent être Flamands ou Italiens, comme si la roture n'étoit pas de tout pays; allongent leurs noms françois d'une terminaison étrangère, et croient que venir de bon lieu c'est venir de loin.

Le besoin d'argent a réconcilié la noblesse avec la roture, et a fait évanouir la preuve des quatre quartiers.

(1) Deltrieux, qui se faisoit nommer de Rieux. (2) Langlois, fils de Langlois receveur aux confiscations du châtelet, qui se faisoit appeler d'Imbercourt.

(3) Sonnin, fils de Sonnin receveur de Paris, qui se faisoit nommer de Sonningen.

A combien d'enfants seroit utile la loi qui décideroit que c'est le ventre qui anoblit! mais à combien d'autres seroit-elle contraire!

Il y a peu de familles dans le monde qui ne touchent aux plus grands princes par une extrémité, et par l'autre au simple peuple.

Il n'y a rien (1) à perdre à être noble : franchises, immunités, exemptions, priviléges; que manque-t-il à ceux qui ont un titre? Croyezvous que ce soit pour la noblesse que des solitaires (2) se sont faits nobles? Ils ne sont pas si vains: c'est pour le profit qu'ils en reçoivent. Cela ne leur sied-il pas mieux que d'entrer dans les gabelles? je ne dis ne dis pas à chacun en particulier, leurs vœux s'y opposent, je dis même à la communauté.

Je le déclare nettement, afin que l'on s'y prépare, et que personne un jour n'en soit surpris : s'il arrive jamais que quelque grand me trouve digne de ses soins, si je fais enfin

(1) Les jésuites, ou les célestins. Ces derniers jouissoient des mêmes privilèges que les secrétaires du roi.

(2) Maison religieuse qui, pour jouir des privilèges et franchises accordés à la noblesse, avoit acquis une charge de secrétaire du roi.

une belle fortune, il y a un Geoffroy de La Bruyère que toutes les chroniques rangent au nombre des plus grands seigneurs de France qui suivirent Godefroy de Bouillon à la conquête de la Terre-Sainte: voilà alors de qui je descends en ligne directe.

Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout ce qui n'est pas vertueux ; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose.

Il y a des choses qui, ramenées à leurs principes et à leur première institution, sont étonnantes et incompréhensibles. Qui peut concevoir en effet que certains abbés à qui il ne manque rien de l'ajustement, de la mollesse et de la vanité des sexes et des conditions, qui entrent auprès des femmes en concurrence avec le marquis et le financier, et qui l'emportent sur tous les deux, qu'eux-mêmes soient originairement, et dans l'étymologie de leur nom, les pères et les chefs de saints moines et d'humbles solitaires, et qu'ils en devroient être l'exemple? Quelle force, quel empire, quelle tyrannie de l'usage! Et sans parler de plus grands désordres, ne doit-on pas craindre de voir un jour un simple abbé en velours gris et à ramages comme une éminence, ou avec

des mouches et du rouge comme une femme?

Que les saletés des dieux, la Vénus, le Ganymède, et les autres nudités du Carache aient été faites pour des princes de l'église, et qui se disent successeurs des apôtres, le palais Farnése en est la preuve.

Les belles choses le sont moins hors de leur place : les bienséances mettent la perfection, et la raison met les bienséances. Ainsi l'on n'entend point une gigue à la chapelle, ni dans un sermon des tons de théâtre; l'on ne voit point d'images profanes (1) dans les temples, un Christ, par exemple, et le jugement de Pâris dans le même sanctuaire, ni à des personnes consacrées à l'église le train et l'équipage d'un cavalier.

Déclarerai-je donc ce que je pense de ce qu'on appelle dans le monde un beau salut, la décoration souvent profane, les places retenues et payées, des livres (2) distribués comme au théâtre, les entrevues et les rendez-vous fréquents, le murmure et les causeries étour

(1) Tapisseries.

(2) Le motet, traduit en vers françois par L. L**.

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dissantes, quelqu'un monté sur une tribune (1) qui y parle familièrement, sèchement, et sans autre zèle que de rassembler le peuple, l'amuser, jusqu'à ce qu'un orchestre, le dirai-je? et des voix qui concertent depuis long-temps se fassent entendre? Est-ce à moi à m'écrier que le zėle de la maison du Seigneur me consume, et à tirer le voile léger qui couvre les mystères, témoins d'une telle indécence? Quoi! parcequ'on ne danse pas encore aux Théatins, me forcera-t-on d'appeler tout ce spectacle office d'église?

L'on ne voit point faire de vœux ni de pélerinages pour obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux, l'ame plus reconnoissante; d'être plus équitable, et moins malfaisant; d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude, et de la mauvaise raillerie.

Quelle idée plus bizarre que de se représen

ter une foule de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, qui se rassemblent à certains jours dans une salle, pour y applaudir à une troupe d'ex

(1) Allusion aux saluts des PP. théatins, composés par Laurentani, Italien, qui a été depuis maître de la musique du pape Innocent XII.

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