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saint chrême qu'on accusait les Latins de faire avec de l'eau de rivière. Il est vrai que, dans le missel romain, il y a des prières pour la bénédiction de l'agneau pascal. Mais on ne l'offrait pas à l'autel avec le corps de Jésus-Christ, qui est notre vraie pâque et l'agneau qui efface les péchés.

Sur la sixième question, touchant la primauté du Pape, Énée cite principalement le concile de Sardique, ainsi que les décrétales des papes saint Gélase et saint Léon. Enfin il ajoute: Après que l'empereur Constantin eut embrassé le christianisme, il quitta Rome, disant qu'il n'était pas convenable que deux empereurs, l'un prince de la terre, l'autre de l'Église, gouvernassent dans une même ville; c'est pourquoi il établit sa résidence à Constantinople, et soumit Rome et une grande partie des diverses provinces au Siége apostolique. Il laissa au Pontife romain l'autorité royale, et en fit écrire l'acte authentique, qui fut dès lors répandu par tout le monde 1. On voit bien qu'il entend la donation de Constantin, dont nous avons déjà parlé, et que les Grecs tiennent pour authentique, puisqu'ils l'ont insérée dans leur droit-canon. Ce n'était donc pas raisonner mal que de la leur opposer.

L'ouvrage de Ratram ou Ratramne est fait avec beaucoup d'exactitude, d'érudition, de force et de bon goût. Il est divisé en quatre livres, dont les trois premiers sont employés à établir la procession du Saint-Esprit comme procédant du Père et du Fils. C'était le point le plus important de la dispute et le seul qui concernât la foi. Ratram crut donc, avec justice, qu'il demandait une discussion plus particulière. Il prouve le sentiment de l'Église latine sur ce point, d'abord par les passages de l'Écriture, à quoi il emploie tout le premier livre, ensuite par l'autorité des conciles et des Pères, tant grecs que latins. C'est ce qui fait la matière du second et du troisième livre. L'auteur y fait surtout valoir l'autorité de saint Athanase, de saint Grégoire de Nazianze et de Didyme. On en sent la raison. Il cite, sous le nom du premier, le symbole Quicumque et sous le nom de Gennade, patriarche de Constantinople le traité des Dogmes ecclésiastiques, qu'on sait être de Gennade, prêtre de Marseille. Ratram avait quelques écrits de certains Pères latins, qu'il cite plus entiers que nous ne les avons aujourd'hui.

Il se plaint, au commencement du premier livre, que des empereurs se mêlent de disputer des dogmes et des cérémonies de la religion; car Photius avait mis ses calomnies sous le nom des empereurs Michel et Basile. Leur devoir, dit Ratram, est d'apprendre dans l'É

1 D'Acheri, Spicileg., in-fol., t. 1, p. 113-148.

glise et non pas d'y enseigner. Ils sont chargés de la chose publique et des lois du siècle; qu'ils se tiennent dans leurs bornes, sans entreprendre sur le ministère des évêques. Pourquoi ces nouveaux docteurs reprennent-ils maintenant ce que leurs prédécesseurs ont toujours respecté ? L'Église romaine n'enseigne ni ne pratique rien de

nouveau.

Entrant en matière, il prouve, par l'Écriture, que le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père. Jésus-Christ dit à ses disciples: Quand le Consolateur que je vous enverrai de la part du Père sera venu; l'Esprit de vérité qui procède du Père. Vous insistez, dit-il, sur ces paroles: Qui procède du Père, et vous ne voulez pas écouter celles-ci: Que je vous enverrai de la part du Père. Dites, comment le Saint-Esprit est-il envoyé par le Fils? Si vous ne dites pas que cette mission est une procession, dites donc que c'est un service, et faites, comme Arius, le Saint-Esprit moindre que le Fils. Assurément, en disant qu'il l'envoie, il dit qu'il procède de lui. Peut-être direz-vous qu'il ne dit pas simplement : Je l'enverrai, mais qu'il ajoute : De la part du Père. Les ariens ont fait les premiers cette objection, voulant établir des degrés dans la Trinité; mais le Fils dit qu'il envoie le Saint-Esprit de la part du Père, parce qu'il tient du Père, que le SaintEsprit procède de lui. Au reste, en disant qu'il procède du Père, il ne nie pas qu'il ne procède aussi de lui. Au contraire, il ajoute : Il me glorifiera, parce qu'il prendra du mien et vous l'annoncera. Qu'estce que le Saint-Esprit prendra du Fils, si ce n'est la même substance, en procédant de lui? Aussi ajoute-t-il : Tout ce qu'a le Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra du mien et vous l'annoncera. Si tout ce qui est au Père est au Fils, l'Esprit du Père est aussi l'Esprit du Fils: or, il n'est ni à l'un ni à l'autre, comme moindre, ni comme sujet ; c'est donc comme procédant de l'un et de l'autre. Aussi est-il appelé l'Esprit de vérité : et le Fils est la vérité, comme il dit lui-même. Et saint Paul dit: Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs. Il ne dit pas son Esprit, mais l'Esprit de son Fils: l'Esprit du Fils est-il autre que l'Esprit du Père ! Or, si c'est l'Esprit de l'un et de l'autre, il procède de l'un et de l'autre. Ratram rapporte plusieurs autres passages où le Saint-Esprit est nommé l'Esprit de JésusChrist, l'Esprit de Jésus, et où il est dit qu'il a répandu le Saint-Esprit sur les fidèles.

Dans le second livre, il rapporte les autorités des Pères, et premièrement du concile de Nicée. Il dit simplement dans son symbole : Nous croyons aussi au Saint-Esprit. Que devient donc la règle que vous nous opposez, de ne rien ajouter au symbole, puisque vous y avez ajouté: Qui procède du Père ? Nous l'avons fait, dites-vous,

par l'autorité du concile de Constantinople, à cause des questions survenues touchant le Saint-Esprit. Mais pourquoi l'Église romaine n'a-t-elle pas eu aussi l'autorité d'ajouter: Et du Fils, suivant l'Écriture sainte, pour prévenir d'autres questions? Si vous dites que l'Écriture ne dit pas en termes formels, que le Saint-Esprit procède du Fils, quoiqu'il le dise en substance, montrez-nous où il dit en termes formels, que le Saint-Esprit doit être adoré et glorifié avec le Père et le Fils, et qu'il a parlé par les prophètes, comme porte le concile de Constantinople. Or, il a été nécessaire de dire expressément que le Saint-Esprit procède du Fils, pour condamner ceux qui disaient que, ne procédant que du Père, il était un autre Fils et non pas l'Esprit du Fils.

Comme, parmi les Pères, Ratram cite principalement les Pères latins, il montre que les Grecs ne peuvent les accuser şans se déclarer schismatiques, en prétendant que l'Église n'est que chez eux. Saint Ambroise dit nettement que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Saint Augustin, expliquant l'Évangile de saint Jean, traite expressément la question et décide que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, puisqu'il est l'Esprit de l'un et de l'autre ; au lieu que le Fils n'est Fils que du Père, et que le Père n'est Père que du Fils. Pourquoi donc le Fils dit-il simplement que le Saint-Esprit procède du Père ? C'est parce qu'il rapporte tout à celui dont il vient lui-même, comme quand il dit : Ma doctrine n'est pas à moi, mais à celui qui m'a envoyé. Saint Augustin répète la même chose dans l'ouvrage de la Trinité, où il l'explique plus à fond.

Dans le quatrième livre, Ratram traite des neuf autres reproches que les Grecs faisaient aux Latins. On aurait pu les passer sous silence, dit-il, puisqu'ils ne regardent point la foi, si ce n'était le péril de scandaliser les faibles. Il ne s'agit que des coutumes des églises qui ont toujours été différentes et ne peuvent être uniformes. Dès le commencement, dans l'église de Jérusalein, les biens étaient en commun; mais on n'obligeait pas les autres églises à l'imiter. Ratram rapporte ensuite le passage de Socrate, touchant les différents usages des églises.

Venant au détail, il commence par le jeûne du samedi, et soutient que la plupart des églises d'Occident ne l'observent pas, et que celle d'Alexandrie l'observe comme l'Église romaine. Au fond, cette pratique est de soi indifférente. Sur quoi il cite une lettre de saint Augustin, et ajoute que, dans la Grande-Bretagne, on jeûnait tous les vendredis, et dans les monastères d'Hibernie, toute l'année, hors les dimanches et les fêtes. Il est étonnant, dit-il, que les Grecs nous reprochent le jeûne du samedi, eux qui ne trouvent point mauvais que

par tout l'Orient, on jeûne le mercredi et le vendredi, quoique ces jeûnes ne soient point d'obligation à Constantinople. Ils nous reprennent de ce que nous n'observons point, avant Pâques, l'abstinence de chair pendant huit semaines, et pendant sept semaines l'abstinence des œufs et du fromage: comme si leur coutume, à eux, était générale, au lieu que plusieurs ne jeûnent que six semaines avant Pâques, d'autres sept, d'autres huit, et quelques-uns jusqu'à neuf. Et ceux qui en jeûnent sept ou huit ne se contentent pas, comme les Grecs, d'une simple abstinence dans le temps qui précède la sixième. Les Grecs sont bien au-dessous de ceux qui, pendant tout le carême, ne mangent rien de cuit, ou ne vivent que de pain ou d'herbes sans pain, ou ne mangent qu'une ou deux fois la semaine. Tous conviennent que le jeûne pascal doit être de quarante jours; mais les uns jeûnent six semaines entières hors les dimanches, et quatre jours de la septième, comme l'Église romaine et tout l'Occident; les autres ne jeûnent point les samedis, non plus que les dimanches; d'autres retranchent aussi les jeudis, et remontent jusqu'à huit ou neuf semaines pour trouver les quarante jours.

Tondre ou raser la barbe et les cheveux, sont pratiques indifférentes qui ne méritent pas d'être relevées. Le célibat des prêtres est plus important. Il y a de quoi s'étonner, dit-il, si les Grecs ne comprennent pas que les Romains sont louables sur cet article ; et, s'ils le comprennent, il faut s'affliger de ce qu'ils parlent contre leur conscience. Si c'est condamner le mariage que de s'en abstenir, il a donc été condamné par tous les saints qui ont gardé le célibat, et par Jésus-Christ même, qui, toutefois, l'a autorisé, assistant à des noces. Les Romains en usent de même, puisque chez eux on célèbre des mariages. Mais les prêtres suivent le conseil de saint Paul, d'y renoncer, pour être dégagés des soins de la vie et plus libres pour prier et exercer leur ministère.

Il n'y a que les évêques qui doivent faire aux baptisés l'onction du saint chrême sur le front, pour leur donner le Saint-Esprit. Outre la tradition de l'Église, nous avons l'autorité de l'Écriture dans les Actes des apôtres, où il est dit que saint Pierre et saint Jean furent envoyés à Samarie pour communiquer le Saint-Esprit par l'imposition des mains. Ratram cite ici la décrétale du pape saint Innocent à Décentius. Quant à ce que disaient les Grecs, que les Latins faisaient le saint chrême avec de l'eau, c'est, dit-il, une imposture; nous le faisons, comme tous les autres, avec du baume et de l'huile. Il est également faux que, chez nous, on consacre un agneau, et que l'on ordonne évêques des diacres, sans avoir reçu l'ordre de prêtrise. Mais les Grecs, qui nous font ce reproche, ordonnent évêques de purs laïques.

Ratram finit par la primauté de l'Église, que les Grecs prétendaient avoir passé de Rome à Constantinople avec l'empire. Mais, dit-il, ils auraient dû se souvenir que c'est le Christ le chef de toute l'Église, que c'est à lui que le Père a dit par le Prophète : Demandemoi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour domaine les confins de la terre. Ils auraient dû se souvenir que c'est lui cette pierre détachée de la montagne sans main d'homme, qui a brisé et réduit en poudre tous les royaumes du monde. Ils auraient dû se souvenir que c'est lui qui a dit à Pierre: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle; et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. C'est ce Pierre qui, avec Paul, est venu à Rome; l'a illustrée par son sang, sa mémoire, son sépulcre et sa doctrine, afin que, comme cette ville avait subjugué l'univers par la puissance impériale, elle présidât de même, par le faîte de la religion et par la dignité de l'apostolat, à tous les royaumes du monde. Qu'il en soit ainsi, toute l'antiquité le prouve. Ainsi l'historien Socrate, parlant d'un concile d'Antioche, et des prélats ariens qui l'avaient assemblé, ajoute : Mais Jules, évêque de Rome, n'y était point, ni personne pour lui, quoique la loi ecclésiastique défende de tenir des conciles sans le consentement du Pontife romain. C'est un historien grec; et cependant il ne dit pas que Constantinople ait la même autorité que Rome, puisqu'il atteste que, sans l'assentiment ou sans l'ordre du Pontife romain, on ne peut célébrer aucun concile.

Ces paroles de Ratram sont très-justes. Bien comprises, elles décident sans appel plusieurs questions des plus importantes. On y voit que, d'après une loi ecclésiastique des premiers siècles, on ne peut tenir aucun concile sans l'assentiment exprès ou tacite du Pontife romain. D'où il suit que, sans l'assentiment exprès ou tacite du Pontife romain, on ne peut terminer dans l'Église aucune affaire majeure, juger définitivement aucun évêque. Et Ratram le prouve, non par une fausse décrétale, mais par le témoignage non suspect d'un historien grec. Si Fleury et d'autres avaient voulu ne pas oublier une chose aussi simple, ils auraient pu nous épargner leurs interminables lamentations sur les fausses décrétales d'Isidore.

Ratram continue : Dans le concile de Sardique, on reconnaît solennellement que tout évêque déposé peut appeler à l'évêque de Rome. Tous les conciles qui ont été tenus, soit en Orient, soit en Afrique, ou ont été présidés par les légats du Pape, ou leurs décrets ont été confirmés par l'autorité de ses lettres. Ainsi le concile de Nicée a été présidé par l'évêque Osius et par les prètres

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