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ennemis, qu'il pardonne le mal, soulage et même chérit le coupable? Pour arriver à cette hauteur, l'esprit est nécessaire.

Si cette détermination des facultés de l'esprit semble hardie ou nouvelle, c'est que l'on a oublié les grandes vues et l'admirable profondeur de la psychologie de Descartes. En n'attribuant à l'âme que « la pensée pure », il rejetait dans le corps et les organes toutes ces facultés intermédiaires qui ont pénétré dans l'esprit avec l'école écossaise et la psychologie moderne. Leibniz a fait exactement la même chose, et le premier fondateur de la psychologie et de la métaphysique, Aristote, n'a déclaré impassible et impérissable que le sens intime. « Qnant à l'intelligence, elle semble être dans l'âme comme une sorte de substance et ne pas pouvoir être détruite. Ce qui paraît devoir la détruire, c'est l'allanguissement qui flétrit l'homme dans sa vieillesse... Mais la vieillesse de l'intelligence vient, non pas de quelque modification de l'âme, mais de la modification du corps dans lequel elle est, comme il arrive d'ailleurs dans les ivresses et les maladies: la pensée, la réflexion se flétrissent parce que quelque chose vient à se flétrir à l'intérieur du corps: mais le principe même est impassible. » Nous ne pouvions mieux finir que par ce passage du grand précepteur du genre humain, où se trouve prévue et réfutée, dès l'origine, une des objections principales que l'on dirige contre le spiritualisme.

. Enfin, l'école de Comte et de M. Littré a une dernière objection, qui pourrait être regardée comme la première de toutes. Elle dit que l'on ne peut connaître un esprit-substance, ni par conséquent en parler, parce qu'une telle substance, ainsi que tout ce dont s'occupe la métaphysique, n'étant pas vérifiable par l'expérience, est comme non avenue. Cette fin de non-recevoir peut diminuer le champ de la connaissance humaine, mais ne supprime pas ce dont on ne veut pas parler. Une non-acceptation (car cette école, qui s'exprime avec réserve, dit qu'elle ne nie ni n'affirme; elle entend qu'on ne sait pas), ne fait pas disparaître la nécessité d'une cause première, ni même le désir que nous avons invinciblement de nous connaître nous-mêmes et de connaître celui qui nous a créés. On a vu que M. Bernard admet un côté idéal dans la nature, et dit qu'il y a « une unité de plan de création et de construction pour l'organisme.» Cela ne suppose-t-il pas évidemment un constructeur et un architecte? Et, en vérité, il est puéril de venir nous dire que nous devons nous abstenir de « regarder au-dessus de nous. » On aura beau vouloir mettre des entraves à la pensée, elle s'échappera toujours vers ce qu'elle ignore, c'est-à-dire vers l'idéal. Tous

1 Traité de l'Ame, d'Aristote. (Liv. Ier, chap. IV, paragr. 13, 14.)

les savants eux-mêmes n'ont pas d'autre but après qu'ils ont rassemblé les détails de leurs travaux. A mesure que leur esprit grandit et s'élève, ils font de la philosophie et de la métaphysique, même lorsque dans la forme ils paraissent manquer de respect pour elles. Tout cela ne pèse donc en rien dans la question, et n'a aucune force si, d'ailleurs, et malgré tout, Dieu et l'esprit existent. Or, en ce qui concerne l'esprit, nous convenons que sa présence dans l'homme ne se démontre pas comme les vérités mathématiques et quelques autres. Son existence se prouve parce que l'on est dans l'obligation de l'admettre, pour comprendre l'entendement humain et pour expliquer la différence qui est entre l'animal et l'homme. Nous terminerons par une dernière considération.

Aujourd'hui que la physiologie se répand au dehors, ceux qui ne la cultivent pas croient peut-être que la conformation et la structure du cerveau et des lobes cérébraux de l'homme rendent compte des différences de manifestations mentales qui se voient entre les animaux et nous. Puisque tant d'esprits éminents attribuent au cerveau la production de la raison et de la pensée, et que, pour soutenir cet avis, ils s'appuient sur la gradation qui existe dans les diverses classes du règne animal, dont nous ne sommes que le dernier échelon, il faut croire, sans doute, que l'on a trouvé des différences majeures entre notre cerveau et ceux des animaux les plus élevés. Il n'en est absolument rien. Il est vrai qu'il y a un développement croissant, en allant des vertébrés inférieurs à l'homme. Mais ce développement porte sur l'ensemble, sur la masse, sur le volume. La distribution des substances nerveuses, grise et blanche, est la même; la composition chimique et la structure anatomique sont les mêmes, à ce point que les micrographes, pour faire une étude du tissu cérébral, s'adressent aussi bien au cerveau d'un animal qu'au cerveau humain. Et encore, pour ce qui est des proportions, y a-t-il des exceptions à la règle d'accroissement. Ainsi, des animaux tels que la baleine, les grands dauphins, l'éléphant ont, d'une manière absolue, le cerveau plus volumineux que l'homme. Chez l'éléphant, le volume est trois fois plus grand. Dans quelques singes (le saï, le saïmri), le poids du cerveau, comparé à celui du corps, est plus grand que chez l'homme. Les circonvolutions, qui sont regardées par la plupart des physiologistes comme le siége et le signe des facultés mentales les plus élevées, ont des proportions variées. Elles manquent chez les sarigues, les édentés. Elles sont peu visibles chez l'écureuil, le loir et les rongeurs en général. Les premières circonvolutions apparaissent dans le lièvre, la marmotte, le porc-épic. Elles sont considérables chez les ruminants, les pachydermes, les carnassiers, et vont en augmentant chez les singes et l'homme. Le

mouton les a très développées, plus que le chien, le chat, le renard. On se rappelle le plaisir que s'est donné souvent l'ingénieux et savant docteur Leuret vers la fin de sa vie. « Plusieurs fois, dit-il, il m'est arrivé en montrant une collection de cerveaux à des phrénologistes, de leur présenter en même temps un cerveau de chien de berger et un cerveau de mouton, leur disant des deux animaux porteurs des cerveaux que vous voyez, l'un conduit l'autre ; montrez-moi le conducteur. Tous, sans hésiter, ont désigné le cerveau du mouton'. » Dans les singes supérieurs (chimpanzé, orang-outang), toutes les parties du cerveau sont les mêmes que dans l'homme, et il y a, d'après les recherches de Gratiolet, très peu de différence entre leurs circonvolutions. En somme, ainsi que le reconnaît M. le docteur Vulpian, « les différences réelles qui existent entre l'encéphale de l'homme et celui des singes sont fort minimes. Il ne faut pas se faire illusion à cet égard. »

Cela étant ainsi, il y a deux partis à prendre ou il faut montrer que les facultés de l'homme et des animaux sont pareilles, ou à peu près, comme leurs cerveaux; ou bien, si elles sont différentes, il faudra croire et admettre que l'homme a quelque chose de plus; qu'il a en lui une lumière ou un principe indépendant du cerveau. L'une ou l'autre de ces deux conclusions étant inévitable, ceux qui veulent arriver à la première sont nombreux aujourd'hui. D'abord, ils rappellent que tous les animaux ont de l'instinct; ils disent que l'instinct est «< une intelligence innée» et que les animaux supérieurs ont une vraie intelligence, une « intelligence consciente >> ; que si, entre les facultés de l'homme et celles des animaux, il n'y a pas « identité absolue », elles ne diffèrent « que par le degré »> (Vulpian). Puis, un moment arrêtés par les travaux concordants de la métaphysique, qui attribue à l'homme des facultés qui n'existent pas chez les animaux, ils s'interrogent, examinent et répondent: Que, d'abord, il est « difficile de refuser certaines idées abstraites, au moins en partie, aux animaux supérieurs »; que la réflexion, ou pensée réfléchie, est plutôt un perfectionnement de l'intelligence qu'elle n'est un caractère fondamental; que, d'ailleurs, cette réflexion n'appartient « qu'à l'état le plus civilisé de l'homme et n'est l'apanage que d'un petit nombre d'individus, comparativement à la masse de ceux qui ne s'occupent point des processus intellectuels dont le cerveau est le théâtre » (docteur Vulpian). Ils continuent. L'homme a le don d'inventer; « mais on peut se demander si les animaux n'ont pas quelques rudiments de la faculté d'invention. >>

1 Leuret. Anat. comp. du Syst. nerv. dans ses rapp. avec l'Intellig. 1839. Tome Ier, page 555.

Enfin, les animaux ont-ils la liberté ?... « D'autre part, l'homme n'est peut-être pas aussi libre qu'il voudrait bien se le persuader. » (Vulpian). Voilà les réponses. Et, en effet, beaucoup soutiennent aujourd'hui que l'homme n'est pas libre.

Ainsi, d'un côté, on trouve peu de différences entre le cerveau humain et celui des animaux; de l'autre côté, comme certaines facultés humaines sont gênantes et empêchent d'établir une vraie assimilation, on défait l'ancienne psychologie et on en refait une nouvelle, croyant en avoir acquis le droit pour avoir mesuré et pesé tous les cerveaux de l'échelle zoologique. N'est-ce pas là la manière de procéder de la physiologie actuelle?

Au fond cependant, puisque toutes ces démonstrations sont incomplètes et insuffisantes, il ne peut sembler surprenant à personne que l'on préfère la seconde conclusion, car, en définitive, les preuves en sa faveur sont encore les plus fortes. Il faut bien une cause pour expliquer comment il se fait que l'animal tourne dans un cercle infranchissable de besoins et d'instincts, tandis que l'homme, par sa vie morale, industrielle et mentale, donne l'admirable tableau mobile et grandissant que chacun connaît; et l'esprit seul est capable d'expliquer une telle différence, qui non-seulement a existé toujours, mais sera durable comme le monde. A la vérité, l'esprit n'est pas palpable et vérifiable à la manière des objets externes on le nie ou on l'accepte, suivant la philosophie générale à laquelle on obéit, sans le savoir ou le vouloir; mais, lors même. qu'une partie de la science moderne le nie ou le passe sous silence, on peut affirmer qu'aucune science n'a réellement démontré à ceux qui l'adoptent qu'ils se trompent.

Dr DEBRO U.

LE GÉNÉRAL GRANT

DIX-HUITIÈME PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

L'homme distingué, actuellement chef du pouvoir exécutif de la grande République nord-américaine, est une des figures les plus caractéristiques du XIXe siècle, et son accession au pouvoir est à peine moins remarquable que l'élévation de Napoléon ou de Cromwell à la plus haute fortune. Dans le court espace de trois ans et demi, un officier subalterne obscur, après avoir quitté le service des EtatsUnis, est parvenu à la direction suprême des armées nationales, et a eu cette chance merveilleuse de mettre fin à la plus épouvantable guerre civile dont l'histoire ait gardé le souvenir. Le même personnage, à un moment de crise politique, a été appelé à la plus haute position civile de son pays. Il serait prématuré de déterminer au

Les dix-sept premiers présidents sont : Washington (1789-1797), John Adams (17971801), Jefferson (1801-1809), - Madison (1809-1817), - Monroe (1817-1825), John Quincy Adams (1825-1829), Jackson (1829-1837), Van Buren (1837-1841), Harrison (1841), Tyler (1841-1845), Polk (1815-1819), Taylor (1849-1850), - Fillmore (1850-1853), Pierce (1853-1857), Buchanan (1857-1861), — Lincoln (1861-1865, Johnson (1865-1869).

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