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CHAPITRE V

DERNIÈRE SESSION DE BORDEAUX

(1 janvier 1472. — Mai 1472.)

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Personnel de la

Instruction commencée contre les auteurs de l'empoisonnement du Duc. Cour. Élection d'un Conseiller. Procès civils. Le Receveur des exploits et amendes. Le Greffier de la sénéchaussée de Guyenne. Les Maire et Jurats de Bordeaux. L'Archevêque de Tours. - Procès criminels. - Faux monnayeur espagnol. Fin du Registre et de la mission des Grands Jours. - Agitation de la Guyenne. Louis XI reprend possession de cette province. Le Parlement ramené à Bordeaux.

Rentrée dans la capitale du duché, la Cour des Grands Jours ne pouvait rester inactive en présence des soupçons qui circulaient hautement contre les auteurs présumés de l'empoisonnement du Duc. Louis XI avait successivement. attiré à lui, par la crainte ou par des promesses, la plupart des serviteurs de son frère (1). Malicorne, le favori du Duc, avait été gagné par le don de la baronie du Médoc. Son premier ministre, Oddet Daydie lui-même, avait été soupçonné d'une complicité secrète, bien qu'il eût fait arrêter, dès les premiers moments du crime, l'abbé de Saint-Jean d'Angély et Henri de la Roche, officier de bouche du Duc.

La Cour dut aussitôt évoquer l'affaire, et Jean de Chassaignes, son second président, fut commis pour commencer l'instruction, qui, pour des causes faciles à deviner, ne devait pas aboutir. Officiellement reprises dix-huit mois après la mort du Duc, par la nomination que fit Louis XI de commissaires spéciaux pour juger l'abbé de Saint-Jean d'Angély (22 novembre 1473), ces poursuites ou plutôt ces semblants de poursuites devaient rester sans résultats, bien que, d'après Duclos (2), « le Roi voulut que tout se fist avec

() V. Bouchet, p. 276 et suiv. (V. Duclos, t. II, p. 347-351.

» éclat, et que Jean de Chassaignes, qui avait commencé > le procès, et le vicaire de l'archevêque, fussent en» tendus. >>

L'impuissance des magistrats, en pareil cas, ne s'explique que trop, et la Cour des Grands Jours dut en faire la pénible expérience.

Cependant, on la voit se remettre à l'oeuvre avec un redoublement d'activité. Peu de jours après sa rentrée à Bordeaux, elle eut même à faire acte de vitalité, pour ainsi dire, en se complétant suivant les formes alors en usage. -Le conseiller Jean Maynard, qui siégeait encore à l'audience du 13 janvier, était frappé de mort quelques jours après à Mont-de-Marsan, ainsi que le constate, à la date du 29 janvier, cette mention mise en marge du Registre : « Decessit Maynardi in Monte-Marsano, misericors sit Deus. Amen. »

La Cour pourvut sur-le-champ à son remplacement de la façon suivante :

«La Court, apres le deces et trespas de maistre Jehan » Meynard, par le temps qu'il vivait conseiller en icelle, en » suivant les ordonnances anciennes accoustumees estant » observces et gardees es Courts souveraines, a eslu et >> nomme Mes Henri de Ferraigues, Jehan du Fouguier et >> Pierre Lobat, en l'office de conseiller, au lieu dit Meynard, » et faicte ladite election, la Court l'a envoyee et a escrit » sur ce a Monseigneur, pour estre fait a son bon plaisir. »

Comme on le voit, la Cour se conformait par là à d'anciennes traditions de la magistrature française (1), traditions

↑ Jusqu'à la fin du vive siècle, la nomination des membres du Parlement avait été faite par le Roi, en son conseil. (V. Pasquier, liv. IV, ch. XVII. Mais peu à peu le Parlement était arrivé à se recruter luimême, en dehors de l'autorité royale, lorsque, par une sorte de compromis, l'ordonnance du 28 octobre 1446 permit au Parlement, dans

qui devaient bientôt disparaître devant l'invasion de la vénalité des offices, en même temps que sous le coup des entreprises du pouvoir royal.

Un seul des trois candidats nous est déjà connu, c'est le premier, Me Henri de Ferraigues. Il était certainement l'un des hommes les plus considérables de Bordeaux à cette époque. Conseiller au Parlement jusqu'à l'avènement du duc Charles, il avait été fait par ce prince lieutenant du sénéchal de Guyenne (1). Il devait rentrer, plus tard, au Parlement après 1472 (2). Pour le moment, rien ne constate qu'il ait figuré dans les rangs de la Cour des Grands Jours, et il y a tout lieu de croire que sa présentation n'aboutit pas.

Ce n'était guère, en effet, le cas de compléter, et surtout d'augmenter un corps dont les jours étaient comptés. Aussi n'y voit-on faire aucune adjonction de nouveaux membres. L'un des anciens seulement, le conseiller Jacques Loup, est qualifié, pour la première fois, à l'audience du 22 mars 1471/72, de Président des enquestes. Ce titre ferait supposer l'organisation d'une nouvelle chambre, dont rien d'ailleurs ne révèle l'existence. L'audience du 22 mars elle-même n'indique aucun nom nouveau. Ce sont :

Messeigneurs et maîtres :

Jacques LOUP, président

des Enquêtes.

Pierre GUITARD.

Pons DE SALAIGNAC.

Antoine DE NOAILLES.

Jacques DUVERGIER.

Guille DE MONTGAILLARD.

Aymeric LABORIE.

le cas d'une vacance, de désigner, par voie d'élection, un certain nombre de candidats entre lesquels le Roi se réservait de choisir. (1) V. Darnal, p. 186.

(*) En 1482, il était encore conseiller. Cependant, d'après Darnal, il aurait été clerc de ville dès 1480; mais il ne figure comme tel que dans un arrêt du 10 mai 1486, le Parlement siégeant à Périgueux. Henri de Ferraigues aurait-il encore une fois déserté cette compagnie, quand elle quitta momentanément Bordeaux, en 1485?

L'un de ces magistrats, Antoine de Noailles, présentait, à quelques jours de là, le 26 mars 1471/72, au Chapitre de Saint-André, « nominationein suam quam habet ab Univer>> sitate Tholosana (1) super canonicatum et prebendam » Ecclesie Burdegale. » Et, en conséquence, il demandait son admission; mais le Chapitre lui répondit : « Tanquam >> vult hanc nominationem valere vigore Pragmatice Sanc»cionis, non acceptamus, quia Pragmatica est extincta : » nunc magister provideat mandatis apostolicis (2). »

Par là, le Chapitre de Saint-André, aussi fidèle aux doctrines qu'au souvenir de Pey-Berland, montrait son attachement pour les anciens errements des élections ecclésiastiques confirmées par le Pape: pratiques où s'étaient glissés de grands abus que la Pragmatique de Charles VII avait détruits par la base; mais dès 1469, en dépit des remontrances du Parlement de Paris (3), Louis XI, plus soucieux, avant tout, d'enlever aux seigneurs l'influence scandaleuse qu'ils exerçaient dans les collations de bénéfices (*), avait aboli cette Pragmatique, à la grande satisfaction du pape Pie II.

Voyons maintenant quelques-unes des dernières affaires portées devant la Cour, en commençant par les procès civils.

L'un des premiers de cette session fut celui qu'intentait à Mathurin Baudoin Me Jean Bachereau, secrétaire du Duc qui lui avait fait don de l'office de receveur des exploits et amendes de la Cour des Grands Jours. — Baudoin résistait.

(') Les anciens droits des ecclésiastiques gradués dans les universités avaient été conservés par la Pragmatique de Charles VII: de trois bénéfices vacants, ils pouvaient en postuler un. (V. Voltaire, Histoire du Parlement, chap. XV, p. 613.

(2) V. Reg. capit., 26 mars 1472.

(3) V. Voltaire, Histoire du Parlement, chap. XI, p. 605. (*) V. Michelet, Précis, p. 169.

La Cour lui donna un délai de trois semaines pour produire, et, en attendant, commit Bachereau à l'exercice de cet office, pour en jouir par provision et jusqu'à ce qu'il fût autrement ordonné (7 janvier 1471/72). Rien ne nous apprend ce qui fut plus tard décidé à cet égard, rien, pas même le procès fait, à quelques semaines de là, au receveur des exploits et amendes de la Cour (sans désignation de nom) par Janicot Decheverry, qui exposait à la Cour que, bien qu'un arrêt de congé rendu contre lui (1) eût été plus tard rabattu, le receveur voulait le contraindre à payer l'amende en laquelle il avait été condamné comme appelant du sénéchal des « Lannes, » et qu'il avait même saisi plusieurs de ses biens. La Cour ordonna la remise des biens saisis, moyennant par Decheverry de payer au receveur le salaire qui pourrait lui être dû, et fit défense à ce dernier de ne rien exiger pour raison de l'amende dont il s'agit jusqu'à ce qu'il fût autrement ordonné (23 mars 1471-72).

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Le greffier de la sénéchaussée de Guyenne eut aussi vers la même époque à rendre compte de la résistance qu'il mettait à restituer les pièces d'un procès important qui devait être porté quelques mois plus tard devant le Parlement revenu à Bordeaux (2). Dans ce procès, le conseiller Jacques Loup, chanoine et sous-chantre de l'église métropolitaine de Bordeaux, requérait congé contre messire Géraud Duc, faute par lui d'avoir rapporté les pièces du procès, lesquelles étaient restées devers le sénéchal de Guyenne, de la sentence de qui Géraud Duc était appelant. Ce dernier, par l'organe de Me Bonneau, son procureur, affirmait qu'il avait fait toute diligence contre le greffier de la sénéchaussée de Guyenne qu'il avait même ajourné à cet effet devant

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(Et au profit d'habitants de la paroisse de Ruche (24 janv. 1471,72). 2) V. Arrêts du Parlement, Reg. aud., B, 3.

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