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Chercher les influences que le rétablissement progressif et l'organisation systématique des corporations, durant l'empire romain, ont exercées sur les modifications de la société, principalement dans l'occident de l'Europe, tel est le sujet que je me suis proposé de traiter aujourd'hui (1).

On sait comment et pour quelles raisons politiques la République et Jules César avaient été forcés de prendre des mesures qui restreignaient les associations, les colléges et les corporations (2).

Le dictateur avait dissout tous les colléges, sauf ceux dont

(') Les inconvénients que peut présenter l'exposition du résultat de mes études, avec le dogmatisme qui est la conséquence des limites imposées à cette communication, ne m'ont pas arrêté, parce que je conserve l'espoir de prouver un jour scientifiquement, par une discussion approfondie, les conclusions que je vais donner.

(*) Moi-même, il y a six années, au mois de février 1861, j'ai essayé d'éclaircir ce point historique, dans le Journal général de l'Instruction publique.

la constitution était antique (1). Parmi ces derniers, se trouvaient nécessairement ceux qui remontaient à l'origine de Rome et dont la fondation était attribuée à Numa, c'est-à-dire les colléges religieux d'abord, puis certaines corporations, comme les musiciens, les ouvriers travaillant l'or, le bois, la pierre, l'airain, le cuivre et le fer, l'argile et le cuir, ou s'occupant de teindre et de dégraisser les étoffes. On conservait aussi les associations que la volonté d'assurer aux vainqueurs les fruits de leur victoire, et que les besoins de la République avaient fait créer pour le commerce de terre et de mer, pour l'exploitation des mines, des carrières et des salines, surtout pour la levée et la translation des impôts dont chaque province était redevable, en argent ou en denrées, afin d'approvisionner la ville et les armées.

D'ailleurs, la prohibition du dictateur ne préjugeait pas l'avenir; car César a laissé une loi qui remettait à l'appréciation du Sénat le droit d'autoriser la formation des colléges nouveaux (2), et il a promulgué un sénatus-consulte permettant le libre exercice de la religion juive (3).

Aussi, dans la façon dont Suétone exprime les mesures prises par Auguste, remarque-t-on une désignation qu'il n'a pas employée en parlant de César : « Auguste, dit-il, a dissout les colléges, excepté les antiques et ceux qui sont établis conformément aux lois » (4). D'ailleurs, cet empereur a tourné au profit de son autorité la passion qu'inspiraient aux Romains leurs assemblées et leurs fêtes de quartiers. La restauration de ces sodalités, en l'an 8 avant J.-C., fut le point de départ de l'institution des Augustaux dans les provinces (5).

(1) Suét., C. J. Cæsar, xlii.

(2) Henzen, Orell. coll., 6097.

(3) Joseph., Antiq. jud., XIV, xvii.

(") Suét., Oct. Aug., xxxii.

5) Egger, Recherches sur les Augustales.

L'abolition des comices en 27 après J.-C., la défense des cérémonies extérieures et des cultes égyptiens ou juifs, l'expulsion de Rome ordonnée contre tous les sectateurs de ces religions ou d'autres semblables ('), sont le complément des restrictions imposées aux corporations par les Césars successeurs d'Auguste. Pour mieux atteindre les colléges, Claude prohibe les banquets et interdit jusqu'à la vente de la viande cuite et de l'eau chaude (2). On prétend donc, malgré la différence qui existe entre détruire les corporations et les obliger à se munir préalablement d'une autorisation du Sénat, ou à s'abstenir de banquets communs, que ce prince a dû abolir même les antiques colléges (3), respectés par César et par Auguste. Conséquemment, c'est au principat de Claude, et non à celui d'Auguste, que nous reportons le sénatus-consulte signalé par M. Mommsen, en tête de la loi du collège de Diane et d'Antinous; car, effectivement, il se borne à permettre des réunions mensuelles, qui n'auront d'autre objet que de recueillir des cotisations en vue de former un fonds commun de funérailles (4). Ces prohibitions furent continuées par celles de Néron. Peut-être n'y eut-il donc plus alors de conservées, à la condition que les membres ne s'en réuniraient pas pour des festins, que les associations nécessaires à l'annone romaine, les sociétés funéraires et les colléges de la religion de l'État. Néron, qui était comme ses prédécesseurs souverain pontife, a pris sur ses monnaies le titre de prêtre élu dans tous les colléges (5); mais beaucoup d'associations avaient dû, pour échapper à la loi, accepter le déguisement de sociétés funéraires, et les cultes proscrits, 1) Suét., Tib., xxxvi.

(*) Dion, confirmé par un passage de Philon. (Éd. de Ff., 1691, p. 965.) (3) Wallon. Hist. de l'Esclav., t. III, p. 103. () Atti d. Acad. Pontif. II. Ratti, 1825.

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Th. Mommsen, De Coll.

Henzen, Orell. coll., 6086.

refusant d'admettre l'Empereur pour leur prêtre, formaient des hétairies ou des fraternités secrètes.

La réaction contre ces restrictions commence à Dioclétien, qui non seulement a fondé ou réorganisé, en faveur des lettrés et des artistes, les colléges de Minerve et de Jupiter capitolin, mais qui même, en place des distributions de sportules ordonnées par Claude et par Néron, a rétabli les festins (1). A cette époque, les corporations ont pu traverser un état transitoire où leurs administrateurs fussent choisis au sort, et où elles fussent composées de membres acceptés par le gouvernement.

Du moins est-ce la situation où nous les trouvons sous Trajan. La correspondance de Pline-le-Jeune avec l'Empereur fournit des traces évidentes des répugnances que les corporations inspiraient en Orient, où les progrès du christianisme avaient été rapides. A l'arrivée de Pline en Asie-Mineure, les temples étaient désertés et les victimes restaient sans acquéreur; aussi Trajan refusa de laisser le proconsul instituer à Nicomédie un corps de cent cinquante ouvriers tous choisis, et dont les services ne seraient requis qu'à l'occasion des incendies (2).

Cependant, les craintes qu'elles faisaient naître deviennent moins systématiques. L'intérêt public, comme l'Empire le comprend, commence à servir de règle à leur égard, et tout en croyant devoir empêcher l'établissement d'un collége d'ouvriers à Nicomédie, Trajan fondait à Rome et organisait le corps des boulangers, pour assurer le service perpétuel de l'annone (3).

Son successeur alla plus loin. Adrien a développé l'influence orientale qu'a subie Rome depuis la conquête de Carthage,

(1) Suét., Domit., iv et vii.

(2) Pline, Epist., X, xcvii, xlii, xliii. (3) S. Aurel. Victor., De Cæsaribus.

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