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dix, quinze ou vingt ans après. L'étude des épidémies bordelaises nous ferait voir, au contraire, cette cité jouissant du malheureux privilége d'avoir, pour ainsi dire, la peste à l'état endémique pendant trois siècles, ou, si l'on aime mieux, frappée environ 35 fois en trois cents ans, c'est à dire, en moyenne, tous les huit ans. On pourrait ranger Bordeaux sur le même rang que les contrées les plus malheureuses, celles où la peste se développe spontanément : Smyrne, Le Caire, Alexandrie, Constantinople, etc. Nous ne pouvons donc admettre que la vraie peste ait exercé ses ravages pendant un si long espace de temps et d'une manière si persistante. Sans aucun doute, Bordeaux a été frappé à plusieurs reprises de la peste vraie; l'épidémie de 1599, décrite par Briet, celles de 1629 et de 1648, et peut-être quelques autres, s'y rapportent; quant aux autres que nous avons énumérées, les renseignements que nous possédons sont trop incomplets pour oser les y rattacher.

A quelle maladie peut-on rapporter ces épidémies à caractères contagieux, avec des charbons, des bubons, et quelquefois des parotides et des pétéchies? Ne pourrait-on pas les rapprocher du charbon et de la pustule maligne? Pour notre part, il ne nous répugnerait point d'expliquer ainsi certaines pestes qui ont fait un nombre limité de victimes. Rappelonsnous, d'ailleurs, que les chroniques ont signalé quelquefois la coexistence de maladies contagieuses chez les ani

maux.

Pour résumer notre opinion sur ces épidémies en général, nous dirons que, pendant les XV, XVI et XVIIe siècles, Bordeaux a eu un certain nombre de vraies pestes, peut-être quelques épidémies de charbon et de pustules malignes, et, enfin, des épidémies d'une nature indéterminée; quant aux fièvres intermittentes pernicieuses qu'on a voulu y reconnaitre, les quelques symptômes décrits par les documents que

nous avons rapportés, et surtout le caractère éminemment. contagieux du mal, nous obligent à en rejeter l'existence.

Réflexions pratiques sur les mesures hygiéniques
propres à combattre les épidémies.

La méditation des faits que nous avons reproduits nous a amené à faire certaines réflexions qui ne sont pas sans valeur, et qui ont leur enseignement. La question des quarantaines vient d'être de nouveau agitée à propos des épidémies de choléra que nous venons de traverser; le Gouvernement s'est ému, et une Commission internationale a étudié les moyens à mettre en pratique pour arrêter la marche du fléau, et empêcher même sa naissance. Ne serait-ce pas le moment de jeter ses regards sur le passé? Les mesures hygiéniques préconisées par nos pères, et qui avaient pour but d'empêcher les communications, soit avec les pays infects, soit avec les malades eux-mêmes, n'indiquent-elles pas la connaissance du caractère contagieux du mal et la prudence des magistrats qui avaient établi ces rigoureux, mais sages règlements? Les malades étaient renfermés dans un hôpital spécial; bien mieux encore, lorsqu'ils en sortaient convalescents, ils passaient dans un nouvel asile pour faire quarantaine; il fallait avoir prouvé jusqu'à l'évidence que l'on était incapable de transmettre le mal avant d'avoir la faculté de reprendre sa liberté.

Les maisons ou échoppes avec jardins séparés, qui constituaient l'hôpital de la Peste de Bordeaux, n'avaient-elles pas pour but évident, en dispersant les malades, d'empêcher les résultats désastreux de l'encombrement, et ces huttes en planches, construites contre les murs de l'hôpital, et si peu faites à première vue pour renfermer des malades, croit-on que le besoin de faire des économies en a seul conseillé la

construction? Non; nous aimons mieux y voir la réalisation d'une grande idée hygiénique, féconde en applications, et qui semble trop oubliée de nos jours.

Cependant, l'histoire des cholériques transportés de la Dobruscha à Gallipoli, en 1854, et abandonnés sur la terre nue, par l'impossibilité où l'on était de les admettre dans les hôpitaux qui étaient pleins, cette histoire, dis-je, est venue faire voir que le renouvellement de l'air joue le plus grand rôle dans la thérapeutique hygiénique des épidémies. Ces malheureux, en effet, dont on plaignait le sort, virent leur état s'améliorer, et la mortalité fut modérée. Ce fut un grand enseignement; on évacua l'hôpital, et on plaça les malades sous des tentes, et, dès le lendemain, la mortalité tomba de 125 à 50.

On a le tort, de nos jours, de croire que notre siècle est supérieur en tout à tous ceux qui l'ont précédé. Pour ce qui regarde la médecine et l'hygiène que nous avons principalement en vue en ce moment, nous sommes loin de nier les immenses progrès accomplis à notre époque; mais nous croyons qu'il y a beaucoup à apprendre dans l'étude des temps antérieurs à nous, et nous pensons que si on méditait avec soin les diverses mesures hygiéniques employées au Moyen-Age, et leur raison d'être, on y trouverait de sages et utiles enseignements.

Qu'il nous soit permis, en terminant ce travail, d'offrir nos chaleureux remercîments à M. Detcheverry, archiviste de la ville, pour l'empressement qu'il a mis à nous communiquer les précieux documents dont il est conservateur.

DU FRANC-ALLEU

DANS LA DUCHÉ DE GUIENNE

ET DANS LE PAYS BORDELAIS EN PARTICULIER

PAR GRAGNON-LACOSTE

Membre correspondant.

Mémoire inséré dans les Actes, par décision de l'Académie, en date du 14 février 1867.

Habemus libertates plenarias quæ, tàm circà personas, quàm circà res consistunt.

(Déclaration de 1273.)

AVERTISSEMENT.

Le mot alleu dérive de deux mots germaniques: all (tout), leud ou lod (propriété); en français, terre libre (1). L'origine des alleux remonte à l'établissement des Francs dans les Gaules. Après la conquête, les terres conquises furent partagées le roi n'eut que sa portion en particulier, et le reste fut laissé aux peuples vaincus et assigné aux soldats victorieux de l'armée de Clovis, en pleine propriété. Ces terres devinrent des propriétés patrimoniales, héréditaires, s'appartenant à elles-mêmes, en un mot, des alleux (aloys).

Sous le système féodal, on connut deux sortes d'alleux : l'alleu noble, qui avait justice annexée avec censive; l'alleu roturier, n'ayant ni justice, ni mouvance.

(1) Les bourgeois de Bordeaux, au rapport de la Chronique et des Coutumes, donnaient au mot alleu une singulière étymologie: Inde dictum est allodium, ut antiqui nostri referunt, quasi sine sermone.

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