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de Corinthe et de Pergame, et depuis la destruction récente de Jérusalem. Les premiers Césars s'étaient jalousement efforcés de l'écarter de l'empire; mais, après Adrien, elle a des effets chaque jour moins contestables.

Bien des circonstances préparaient l'empereur à cette politique. Nourri dans les idées et dans les lettres orientales (1), il écrivait en grec les brouillons de ses discours et de ses ordonnances; il accordait des marques d'estime et d'honneur aux chrétiens (2), et il prenait l'Orient pour modèle en reconstituant l'empire (3). C'est ainsi que ce que les Grecs appelaient liturgie, fut mis plus que jamais en pratique par l'État.

Les riches se virent astreints aux charges; ceux qui avaient gagné une fortune en négociant ne furent plus dispensés des fonctions publiques par les priviléges des corporations auxquelles ils appartenaient (4). Dans les nombreux voyages qu'Adrien fit à pied à travers les provinces, en compagnie d'une véritable armée, formée par les employés de ses quatre chancelleries, où il posait les fondements de la hiérarchie palatine, et par les artistes et les ouvriers en bâtiment, dont il se servait pour reconstruire ou pour embellir les villes (5), ce prince s'était déjà mis à enrégimenter les métiers. Les travailleurs des métaux, de la pierre, du bois et de l'argile; les ingénieurs, les architectes et leurs aides, il les avait organisés à l'instar des légions, et en avait formé des décuries et des centuries (6). Même il avait augmenté les ressources des villes en y laissant des corps tout formés. C'est là probablement ce qui a fait dire qu'il s'était proposé

() S. A. Victor., De Vita et Morib. Imper.: Spartian., Adrian, i.

(*) Xiphilin.

(3) S. A. Victor., De Cæsarib.

(*) Callistr., Dig., L., vi, 5, 8 8.

(5) S. A. Victor., De Vita et Mor. Imper.

( Id. ibid.

Numa pour modèle (1). Mais principalement son voyage en Égypte lui a laissé une impression profonde. Dans une lettre écrite par lui au consul Servianus (134 de J.-C., 887 de Rome), nous trouvons, malgré plusieurs sarcasmes, les preuves de l'admiration qu'avait excitée en lui cette laborieuse Alexandrie, comparée à Rome la fainéante. « Dans cette ville. riche et féconde, écrit-il, on ne rencontre pas un oisif; chacun y exerce un métier; on y a de l'occupation déterminée même pour les aveugles, même pour ceux que la goutte empêche d'employer leurs pieds ou leurs mains » (2). Nécessairement, Adrien a dû en rapporter le projet d'une organisation pareille à celle de l'Égypte, et, si les quatre années qui lui restaient à vivre ne lui ont pas suffi pour le mettre à exécution, l'histoire, en parlant de lui, a cependant des expressions qui ne permettent pas de douter qu'au moins il l'a essayé. Cet empereur, dit-elle, a maintenu avec une égale sévérité le service civil et le service militaire (3), et il a laissé les emplois de l'État et de l'administration, ainsi que ceux de l'armée, à peu près organisés comme ils l'ont été après Constantin (4).

Antonin le Pieux augmenta la portée des dispositions par lesquelles on avait, au moins depuis le premier siècle avant J.-C., borné au service de l'annone les priviléges des naviculaires ou armateurs (5), et il étendit ces mesures à toutes les corporations. Les colléges n'étant institués qu'en vue de l'utilité publique, depuis Adrien, les membres qui en faisaient partie n'en eurent plus les immunités que s'ils y travaillaient. réellement, que s'ils étaient d'âge, de force et de santé, à y

(') Spartian., Adrian, ii. S. A. Victor., De Cæsar.

) Fl. Vopisc., IV., Tyr., viii.

(3) Spartian., Adrian., xxii.

(*) S. A. Victor., De Vita et Mor. Imp.

(5) Callistr., Dig., L. vi, 5, 8 5 et 9. Scævola, Dig., L. iv, 5 et L. v, 3.

rendre des services effectifs, et tant qu'ils n'y auraient pas gagné assez d'opulence pour suffire à leur part des charges de leurs cités (1). Enfin, Antonin poursuivait impitoyablement la fainéantise et retranchait les salaires aux oisifs, parce qu'il ne connaissait rien de plus cruel, disait-il, que de voir la République grugée par des hommes qui ne lui produisaient rien (2).

Les deux fils adoptifs et successeurs d'Antonin, Marc Aurèle et Verus, et plus tard Pertinax, ont rédigé leurs rescrits en grec (3).

Un autre symptôme tend à une modification différente, mais tout aussi remarquable: c'est l'introduction des Germains, par Marc Aurèle, dans les provinces, et même en Italie et dans l'armée (*).

Nous allons voir ces deux séries de faits, relatifs les uns aux corporations et les autres à la composition de l'armée, se développer d'une façon continue et parallèle, jusqu'aux seconds Flaviens.

D'un côté, Septime Sévère augmente la paie des soldats; de l'autre, il admire les institutions égyptiennes (5), et il étend à l'Italie et aux provinces la permission, dont n'avaient jamais cessé de jouir les pauvres à Rome, de se réunir une fois par mois, afin de rassembler les cotisations qui les missent à même de former des colléges funéraires (6). Ce pouvait être un moyen de s'attacher les païens, tandis que les défaites de Niger et d'Albinus donnaient l'occasion de persécuter les partisans de ces chefs, sous les prétextes du judaïsme ou du christianisme.

1) Callistr., Dig., L. vi, 5, 2 12.
Capitolin., Antonin., vii.

3) Dig., L. vi, 5, 2 5 et 2.

Capitol., Marc. Aurel., xxii.

5 Xiphilin et Spartian., Sept. Sev., xvii,

Marcian., Dig., XLVII, xxii, 1.

Caracalla augmente de 280,000,000 de sesterces la solde militaire, et, prenant pour modèle Alexandre le Grand (1), lève, le premier, une phalange composée de seize mille hommes, originaires de Macédoine, et il leur donne des armes pareilles à celles qu'avaient leurs ancêtres sous le règne du Conquérant (2).

L'extension du droit de cité à tous ceux qui vivaient dans les limites de l'Empire peut être attribuée à Caracalla ou à Marc Aurèle. Ce qu'il importe, c'est que ce changement, auquel a contribué la ruine de la noblesse, classe absorbée par l'unité démocratique, soit considéré comme un fait naturel et nécessaire. La fin du second siècle ou le commencement du troisième a vu les municipes et les cités de l'Occident remplacés par une nation de plus en plus ressemblant à celles qui, depuis un temps immémorial, existaient en Asie.

Un des contemporains de ces événements, le jurisconsulte Gaïus, constate l'altération profonde que vient de subir la société romaine (3). D'après lui, toutes les sociétés, hormis encore celles que formaient les esclaves du fisc et des municipes, ont dès lors le droit de la personne, la cause perpétuelle; en un mot, sont devenues des colléges.

Aussi, après la victoire pour la première fois remportée à Immæ sur l'Occident; après l'orgie du triomphant orientalisme personnifié dans le Syrien, prêtre du soleil, qui s'appelle Héliogabal, et dont la tentative, pour mêler ses pratiques et ses idées à celles des Européens, excita tant de scandale (1) Spartian., Caracall., ii.

(2) Xiphilin.

(s)

« Ceux, dit-il, qui ont eu la permission d'avoir un corps de collége, de société, ou quel que soit le nom qu'il porte, ont de droit, à l'instar de l'État, des fonds communs, une caisse commune et un agent, syndic, ou d'autre dénomination, qui agit comme dans une République, et fait, au nom de la communauté, ce qui doit être fait » (a). (a) Gaius, Dig., III, iv, 1.

chez les Romains, ne faut-il pas s'étonner si, le pouvoir étant passé à un esprit plus modéré, l'Empire romain accomplit la métamorphose à laquelle tout le préparait.

Alexandre Sévère, qui parlait à peine le latin et ne l'aimait point (1), n'apercevait le gouvernement qu'à travers le modèle qu'il prenait aussi dans Alexandre le Grand. Au lieu de la phalange de seize mille hommes que s'était donnée Caracalla, le nouvel Alexandre s'en fit une de trente mille hommes divisés en six légions, où étaient des argyraspides et des chrysaspides (2). De plus, il acheva la révolution sociale commencée par Adrien. Tous les métiers, même ceux des détaillants, marchands de vin, de légumes ou de chaussures, il les organisa en corporations, et leur donna des règlements ainsi que des avocats et des juges (3).

Y a-t-il quelque raison politique par laquelle on puisse expliquer ces transformations? Pour ne pas en voir, il faut fermer les yeux. Déjà Caracalla, malgré les confiscations que lui procura le massacre des vingt mille prétendus amis de Géta, avait été obligé, dit-on, de frapper de la fausse monnaie pour faire face à ses dépenses. Et cependant Alexandre, même après les profusions d'Héliogabal, avait réduit l'impôt du 20o au 30o. Or, par suite de la déplorable habitude que, sous l'influence des plus anciens usages, et pour essayer d'éviter les émeutes, le gouvernement avait prise de subvenir à tous les besoins des fainéants dont se composait le peupleroi; avec une dépopulation qui, de proche en proche, s'étendait du cœur de l'empire aux extrémités; avec un immense État, qui achetait beaucoup et ne vendait guère, et où la consommation dépassait la production d'une façon effrayante, l'Empereur se trouvait bien obligé de chercher à faire tra

(1) Lampr. Alex. Sever., iii.

(2) Id. ibid., xlix.

(3) Id. ibid., xxi, xxxii.

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