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simplicité des moeurs de Philoclès faisait qu'il n'avait, en sortant, aucun besoin de fermer sa porte. Une natte de joncs grossiers lui servait de lit; il se nourissait, pendant l'été, de fruits nouvellement cueillis, et, en hiver, de dattes et de figues sèches... Pour la sculpture, il ne s'y appliquait que pour fuir l'oisiveté, etc. Puis, il ajoute : Le naturel ardent et austère de Philoclès; et, plus loin, lorsque Hégésippe veut faire changer Philoclès de manière de vivre, et le ramener à Salente, Fénélon dit: Philoclès, qui avait d'abord été attendri en reconnaissant Hégésippe, reprit son air austère, etc.; et, ailleurs, après avoir parlé de la conduite de Philoclès : Philoclès veut, par l'éclat d'une vertu austere, s'ouvrir le chemin à la royauté.

Le maître : Expliquez-moi quelles sont les rai

sons pour lesquelles vous ajoutez :

Et la sévérité dans celle de penser.

L'élève :

J'ai fait ces réflexions en lisant

les phrases suivantes : Aceste nous demanda, d'un ton sévère... nous prenant pour des étrangers qui cachaient leurs desseins, etc. Cupidon n'osait approcher de Mentor dont la sévérité l'épouvantait. Aceste avait une mauvaise opinión de Télémaque et de Mentor; c'était sa manière de penser à leur égard. La manière de penser de Mentor est bien connue d'après les conseils qu'il donne à Télémaque. J'ai remarqué que Fénélon appelle cette manière de penser sévérité, comme il appelle manière de vivre de Philoclès austérité; et je l'ai dit.

Ne perdez pas le temps à faire lire à vos élèves les ouvrages des autres. Exigez d'eux qu'ils fassent eux-mêmes, et surtout qu'ils montrent dans leur Épitome ce qu'ils ont écrit. Vous savez que la répétition perpétuelle de ce qu'ils savent peut seule les conduire à ce résultat.

L'abbé Girard a fait des synonymes: pour

quoi n'en ferions-nous pas? Il a remarqué les différentes circonstances où les mots sont employés dans nos meilleurs écrivains, et il a dit les ressemblances et les différences. Je puis comme lui, faire mes remarques, et, si je sais le français, je pourrai les communiquer aux Français. Si l'abbé Girard n'a pas suivi cette route, son livre est mauvais; il a inventé la signification des mots; il en a créé de nouvelles, et je dois bien me garder de croire ce qu'il dit. Recommandez à vos élèves de se défier de cet esprit créateur. Point de génie! Regardons au contraire, regardons bien, afin ne rien inventer, et disons ce que nous avons vu le plus exactement qu'il nous sera possible.

Quoique l'abbé Girard soit un excellent auteur, ne vous en rapportez pas arbitrairement à lui sur la signification de tel ou tel mot. Personne ne doit voir pour votre élève. Il faut simplement citer l'abbé Girard comme un modèle de patience et d'attention. Il ne faut pas même que votre élève vous croie sur parole; il faut qu'il vérifie par lui-même si les éloges que vous donnez à l'écrivain sont fondés. Vous ferez donc vérifier quelques synonymes dans Télémaque. Tout est dans tout.

Voilà un exercice nouveau: La vérification. Rien n'aide plus la mémoire que cet exercice. Je ne puis oublier ce que j'ai une fois retrouvé dans mon livre, puisque mon livre ne sortira pas de ma mémoire.

L'exercice que je propose, résultant de la maxime Tout est dans tout, doit durer toute la vie. C'est le moyen de continuer son éducation sans maître, d'après les habitudes contractées dans l'enfance; tandis que nous devons, pour ainsi dire, oublier la route ancienne, pour nous en faire une autre, quand nous sommes sortis des écoles ordinaires, où l'on donne les réflexions toutes faites, avec cette maxime encourageante : C'est monsieur un tel qui l'a dit. Retenez-le bien; car, si vous l'oubliez, vous ne serez plus capables de le retrouver. Du reste, on ne répète rien; par conséquent, on retient peu de chose de ce qu'on a étudié pendant long-temps.

Ne vous y méprenez pas : ceci ressemble à la critique de ce qui se fait. Je n'ai cependant pas l'intention de faire changer auçun usage. C'est un écueil que je signale dans l'intérêt des professeurs de notre méthode. Les autres ne doivent rien comprendre à tout cela. Un petit auteur de dix ans est un monstre à leurs yeux. Ils se dé

fient des fruits précoces, et ne répéteront point notre expérience. Le monde va comme il allait et comme il ira. Je serais fou si je pensais réformer le genre humain.

L'homme est libre, mais l'espèce ne l'est pas : elle est soumise à des lois fixes et invariables. Chaque homme a le pouvoir en lui d'enfreindre ces lois de société, et de faire mieux ou plus mal que son semblable; mais l'espèce d'aujourd'hui est l'espèce d'autrefois, ni meilleure, ni pire elle restera ce qu'elle est jusqu'à la consommation des siècles.

C'est donc à vous que je m'adresse, à vous seuls, qui avez reçu l'éducation que vous vous êtes chargés de transmettre. Vous trahiriez la confiance des parens si vous n'étiez pas exacts à faire faire tous les exercices dont vous avez vu l'efficacité. Vous seriez aussi coupables que le serait l'homme de la vieille méthode, dont le résultat est certain pour lui après sept ans, s'il entreprenait de vous imiter sans avoir la conviction du succès.

Puissé-je être aussi sûr de la constance de l'un que je suis sûr de l'opiniâtreté de l'autre !

Cependant, je ne parle que de l'espèce, et jamais des individus. Le plus âgé des savans à

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