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livre, il n'en connaît pas les mots et les sions.

pour

expres

Le mot principal en latin est le verbe; c'est cela qu'il s'appelle verbum par excellence; en français, c'est le substantif abstrait qui contribue le plus à former ce qu'on appelle le style. Exemple: Le premier ÉCUEIL de notre INNOCENCE, c'est le PLAISIR; les autres PASSIONS, plus tardives, ne se développent et ne mûrissent, pour ainsi dire, qu'avec la RAISON. Celle-ci la prévient, et nous nous trouvons corrompus avant presque de savoir ce que nous sommes. Ce PENCHANT infortuné, qui prend toujours sa SOURCE dans les premières MOEURS, souille tout LE COURS DE LA VIE des hommes. C'est le premier TRAIT empoisonné qui blesse L'AME; c'est lui qui efface sa première BEAUTÉ, et c'est de lui que coulent ensuite tous nos autres

VICES.

Le style est dans les mots soulignés. Remplacez-les, il n'y aura plus de style. Le sentiment ne sera-t-il plus communiqué? Je ne dis pas cela; je dis qu'il n'y aura plus de style. Rappelez-vous les livres dont on vante le style: vous y trouverez ces substantifs abstraits. La conversation familière ne paraît relevée que par l'usage qu'on fait de cette espèce de mots. Ce style n'est pas

le beau; le beau est de tous les temps et de tous les pays: c'est un usage français. Tout cela ne fait pas la pensée; mais c'est sa parure à la mode. L'habit ne fait pas l'homme; mais l'habit habillé lui donne de l'importance aux yeux des gens qui se laissent séduire par l'appa

rence.

Cet emploi des substantifs abstraits se fait remarquer dans toute espèce de composition: tragédies, poëmes, poésies légères, etc. Vérifiez, et si vous trouvez l'observation exacte, ayez soin d'en faire l'application quand vous écrirez. Le verbe est le mot de mode en latin; cela n'est pas étonnant : il est beaucoup plus complet dans cette langue qu'en français, où il manque de la voie passive. Nous ne pouvons parler passivement en français qu'avec plusieurs

mots.

Que les substantifs abstraits forment, ou non, la partie principale et distinctive de ce qu'on appelle style, peu importe; et cette opinion, pas plus que toute autre, n'est de l'Enseignement universel. Sachez un livre; puis voyez, examinez, regardez sous toutes les faces: voilà notre méthode. Encore une fois, je n'énonce mes opinions que par forme d'exemple: si quelqu'un

prenait la plume pour les réfuter, je préviens que je ne répondrai point; mais je vous invite à lire la critique, non pas pour y croire, mais pour achever de vous convaincre, par ces nouveaux exemples, que ce conseil est le seul vraiment utile. Regardez toujours, et vous verrez toujours quelque chose de plus, d'égal, de semblable, de différent, de contraire même. La moisson se fait ainsi peu à peu, et on acquiert insensiblement la conviction que le sol est inépuisable: cela rend modeste et attentif à ce que disent les autres. Nous parcourons tous un pays inconnu et immense; la relation de chaque voyageur doit être comptée; l'homme qui s'élève comme l'aigle au-dessus des nues, peut embrasser d'un coup-d'oeil toute l'étendue du vaste domaine des sciences; mais l'éloignement où il se trouve de chaque partie ne lui permet pas d'en observer tous les détails. Ce n'est pas parce qu'on critique mes opinions qu'on a tort; c'est parce qu'on veut leur substituer d'autres opinions qu'il faudrait se contenter d'y ajouter. Aucune science n'est complète; aucune ne le sera jamais. Aristote n'a pas eu tort de dire autre chose que Platon; c'est sa prétention de dire absolument le contraire qui l'a perdu. Je

prédis à ceux qui suivront cet exemple qu'ils tomberont tous comme il est tombé.

Lorsqu'on étudie dans La Harpe ou dans Quintilien les règles de l'art oratoire, on s'attache à retenir par cœur ce qu'ils ont dit; on le récite sous mille formes différentes dans la conversation; on l'écrit, on s'en sert comme de raisons sans réplique. On suit ainsi, jusqu'à la fin de ses jours, la vieille méthode, la méthode un tel a dit. Faites précisément le contraire : commencez par apprendre un auteur, répétez-le sans cesse, rapportez-y toutes vos autres lectures, vérifiez les remarques des grammairiens et des rhéteurs; mais finissez par cette vérification, et votre instruction se fera rapidement et plus sûrement. Voilà ce que j'avance: ceci n'est pas une opinion, c'est un fait. Qu'on répète ou non l'expérience, peu m'importe: je crois d'avance qu'on n'en fera rien. L'espèce humaine n'entend pas : les petites espèces, c'est-à-dire, les corporations, sont de la même nature. Je m'occupe d'un individu, je lui offre mes services, et voilà tout. C'est un beau précepte que celui d'aimer son prochain comme soi-même, quoiqu'il soit bien difficile de l'observer! On le peut; mais il n'est pas dit: Aimez le genre humain comme vous

même; cela n'aurait aucun sens. Le genre humain n'a besoin d'aucun individu; et, quelles que soient nos prétentions, elles ne vont pas jusqu'à l'orgueil d'instruire le plus petit des corps savans. Ces êtres abstraits ont des habitudes, des préjugés invariables. Ils ont un idiôme à part qu'on appelle la langue de la république des lettres, qui ne ressemble en rien à la langue de la république romaine. Je pense que c'est la dernière qu'il faut étudier, sauf à lire les commentateurs dans l'idiôme, si vous en avez le temps.

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