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BENJAMIN CONSTANT.

(1767-1830.)

Henri-Benjamin CONSTANT DE REBECQUE naquit à Lausanne, d'une famille protestante et ancienne, réfugiée en Suisse. Sous la révolution, il se fit connaître par des brochures en faveur de l'ordre et de la liberté. Nommé membre du tribunat, il fut bientôt éliminé, puis exilé avec madame de Staël, son amie. Rentré en France à l'époque de la restauration, il se montra un des défenseurs les plus fermes des libertés publiques dans les journaux et à la tribune de la chambre des députés.

Benjamin Constant a laissé, outre ses Discours et ses Mélanges politiques et littéraires, un Cours de politique constitutionnelle; un roman fort spirituel et fort triste, intitulé: Adolphe; un grand ouvrage sur la Religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements, qui est un des livres les plus importants de notre époque. Son style se distingue par la finesse, l'urbanité, l'élégance, par une abondance ingénieuse et par une clarté presque voltairienne,

On a dit que Benjamin Constant était l'homme qui avait eu le plus d'esprit depuis Voltaire. Cela pouvait être vrai de sa conversation; mais ses ouvrages ne donnent pas de lui une aussi haute idée

La terreur n'a point sauvé la France.

Le régime affreux qu'on a nommé la Terreur n'a point contribué au salut de la France; la France a été sauvée malgré ce régime. Il a créé la plupart des obstacles dont on lui attribue le renversement; ceux qu'il n'a pas créés auraient été surmontés d'une manière plus facile et plus durable par un gouvernement juste. Telles sont les vérités que je veux démontrer.

Lorsqu'on veut faire l'apologie de cette époque, on

tombe dans un abus de mots: on confond la terreur avec les mesures qui ont existé à côté de la terreur. On ne considère pas que dans les gouvernements les plus tyranniques il y a une partie légale, répressiye et corrective, qui leur est commune avec les gouvernements les plus équitables, par une raison bien simple: c'est que cette partie est la base de l'existence de tout gouvernement.

Ainsi l'on dit que ce fut la terreur qui fit marcher les Français aux frontières, qui rétablit la discipline dans les armées, qui frappa d'épouvante ceux qui conspiraient, qui réduisit à l'impuissance toutes les factions.

Tout cela est faux. Les hommes qui opérèrent toutes ces choses furent, en effet, les mêmes hommes qui faisaient peser la terreur sur la France; mais ce ne fut point par la terreur qu'ils les opérèrent. Il y eut, dans l'exercice de leur autorité, deux parties: la partie gouvernante et la partie atroce. C'est à l'une qu'il faut attribuer leurs succès, à l'autre leurs dévastations et leurs crimes.

Que si l'on dit que l'une aida l'autre, et que l'effroi qu'inspira l'autorité par sa partie atroce redoubla la soumission à sa partie légitime, on dit une chose évidente et commune; mais il n'en résulte pas que ce redoublement d'effroi fût nécessaire, et que le gouvernement n'eût pas eu par la justice les moyens suffisants pour forcer l'obéissance.

Le gouvernement avait le droit d'envoyer les citoyens repousser les ennemis, et d'attacher la peine la plus sévère au refus de partir pour les armées, à la désertion

à la fuite des soldats. Mais ce n'est pas là ce que firent les hommes qui se vantaient d'organiser la terreur. Ils décimèrent des armées obéissantes et courageuses; ils abolirent toutes les formes de jugements, mème militaires; ils revètirent leurs instruments de pouvoirs illimités; ils remirent le sort des individus au caprice, et le sort de la guerre à la frénésie. Ces horreurs ne servirent de rien à la république. Lors même que des proconsuls n'eussent pas fait périr des milliers d'innocents à l'armée du Rhin, l'armée eût-elle moins bien combattu? Ne flétrissons pas nos triomphes dans leur source, et songeons qu'on ne peut attribuer ni à des fureurs proconsulaires ni à des échafauds permanents les victoires d'Arcole et de Rivoli.

Le gouvernement avait le droit de scruter sévèrement la conduite de ses généraux, victorieux ou vaincus, et de faire juger sans indulgence les traîtres ou les lâches. Mais les décemvirs livrèrent à des bourreaux ceux qu'ils haïssaient ou soupçonnaient; ils versèrent le sang de guerriers irréprochables. Ces meurtres n'étaient d'aucune nécessité, puisqu'il faut examiner la nécessité des

meurtres.

Le gouvernement avait le droit de surveiller, de poursuivre, de traduire devant les tribunaux ceux qui conspiraient; mais des tribunaux sans formes, sans appel assassinèrent sans jugement soixante victimes par jour.

On a prétendu que ces atrocités n'étaient pas sans fruit, et que, la mort ne choisissant pas, tout tremblait. Oui, tout tremblait sans doute; mais il eût suffi que les coupables tremblassent, et le supplice de vieillards octo

génaires et d'accusés non interrogés ne pouvait étre nécessaire pour effrayer les conspirateurs.

Le gouvernement avait le droit de réprimer ceux des ministres de la religion qui, ne se renfermant point dans leurs fonctions spirituelles, troublaient l'État par des suggestions factieuses. Mais la terreur proscrivit, assassina, voulut anéantir tous les prètres.....

Ce qui trompe sur ses effets, c'est qu'on lui a fait un mérite du dévouement de nos citoyens et de nos soldats. Tandis que des tyrans dévastaient leur patrie, ils persistaient à la servir et à mourir pour elle. Menacés de l'assassinat, ils n'en marchaient pas moins à la victoire.

Ce qui trompe encore, c'est qu'on admire la terreur d'avoir renversé les obstacles qu'elle-même avait créés; mais ce dont on l'admire, on devrait l'en accuser.

En effet, le crime nécessite le crime. La férocité du comité de salut public ayant soulevé tous les esprits, tous s'égarèrent dans ce soulèvement, et la terreur fut nécessaire pour les comprimer; mais avec la justice le soulèvement n'eût pas existé, et l'on n'eût pas eu besoin, pour prévenir de grands dangers, de recourir à d'affreux remèdes.

Ce régime abominable n'a point, comme on l'a dit, préparé le peuple à la liberté : il l'a préparé à subir un joug quelconque; il a courbé les tètes, mais en dégradant les esprits, en flétrissant les cœurs; il a servi, pendant sa durée, les amis de l'anarchie, et son souvenir sert maintenant les amis de l'esclavage et de l'avilissement de l'espèce humaine. (Mélanges de littérature.)

MADAME DE STAEL.

(1766-1817.)

Germaine Necker, baronne DE STAEL, naquit à Paris; elle était fille de Necker, banquier génevois, qui devint ministre de Louis XVI. Elle recut une éducation forte, et commença à écrire de bonne heure. Ses Premiers essais, des Lettres sur J. J. Rousseau, des Réflexions sur le procès de la reine et sur la paix, des Nouvelles, un livre sur les Fictions, un autre de l'Influence des passions sur le bonheur, qu'elle publia de vingt à trente ans, annoncent des facultés extraordinaires dans une femme aussi jeune.

En 1801, madame de Staël se fit connaitre par son ouvrage de la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, exposition du système de la perfectibilité appliqué à l'histoire de la littérature. Ce livre fut le prospectus du romantisme : l'auteur réclame dans la littérature la place qui doit appartenir à l'élément chrétien et à l'élément du Nord, trop effacés par la renaissance classique du xvi° siècle. Deux ans après, parut Delphine, roman écrit avec une verve facile et abondante, portrait d'une femme supérieure dominée par ses affections, qui ne peut s'astreindre à suivre les voies régulières que l'opinion lui trace, et qui dévient malheureuse pour s'en être écartée. Il fut suivi de Corinne, chef-d'œuvre littéraire de l'auteur, qui sut encadrer les ingénieux incidents d'un roman dans une brillante peinture de l'Italie, de ses coutumes, de ses arts et de sa littérature. Tout y respire l'enthousiasme; mais cet enthousiasme sent trop souvent la déclamation. En 1813, madame de Staël publia le livre de l'Allemagne, où elle révélait à la France les doctrines littéraires et les mœurs de l'Allemagne, qui devaient exercer une grande influence sur notre littérature, et puissamment contribuer à pousser les esprits dans des routes nouvelles.

Nous avons encore de madame de Staël Dix Années d'exil, où elle raconte avec une vivacité, un naturel charmant ses démêlés avec Napoléon, qu'elle juge avec trop peu de justice; et des Considérations sur la révolution française, suite de réflexions et de jugements sur les événements et les principaux personnages de la révolution, entremêlés de détails intéressants dans le genre des mémoires.

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