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GEORGE SAND.

(1804.)

Madame DUDEVANT, si célèbre sous le pseudonyme de GEORGE SAND, est née à Madrid. Elle est fille du colonel Dupin, qui avait eu pour mère une fille naturelle du maréchal de Saxe. Orpheline de bonne heure, on lui fit épouser, sans consulter son cœur, le baron Dudevant, ancien militaire de l'empire. Cette union fut malheureuse, et les deux époux se séparèrent. Devenue libre, madame Dudevant sc vit exposéc à toutes les vicissitudes, tous les dangers de la vie d'artiste. Peu après la révolution de 1830, elle écrivit, pour avoir du pain, un roman qui eut un succès prodigieux, et qui lui révéla son génie. Depuis, elle a publié une foule d'ouvrages qui lui ont valu une grande célébrité. On y remarque une âme enthousiaste, une imagination riche et brillante, une facilité ferme, une poésie de langage, un talent naturel de raconter et de peindre qui lui assurent la première place parmi les romanciers contemporains et un rang très-élevé dans notre litté

rature.

Madame Sand, après avoir longtemps attaqué le mariage ou plutôt le despotisme des maris, s'est faite le champion du radicalisme le plus ardent. Elle traite dans ses romans les questions politiques, sociales et religieuses. On y déplore souvent cet abus, commun aux écoles socia listes, qui consiste à dépouiller les mots de leur sens élevé, moral et chrétien, pour les faire servir à exprimer des idées toutes contraires. Tout homme philanthrope devient un Christ, toute passion est divine, de coupables égarements sont innocents, si le cœur est bien épris. On regrette qu'un si beau talent de style s'emploie à propager, en les rendant agréables, de si funestes erreurs.

Les Lettres d'un voyageur sont un des plus beaux livres sortis de la plume de madaine Sand. Ce sont des révélations intimes, remplies de poésie, de douleurs amères, de riantes pensées. Souvent on croit lire les Confessions ou les Réveries d'un promeneur solitaire.

Quelques pièces de théâtre, d'un romanesque honnête, ont valu, dans ces derniers temps, à madame Sand des succès qui rappellent ceux de Sédaine et une gloire que leur aurait enviéc Berquin,

Marguerite Lecomte et Watelet.

Il m'importe peu de vieillir; il m'importerait beaucoup de ne pas vieillir seul. Mais je n'ai pas rencontré d'ètre avec lequel j'aurais voulu vivre et mourir, ou, si je l'ai rencontré, je n'ai pas su le garder. Écoute une histoire, et pleure.

Il y avait un bon artiste qu'on appelait Watelet, et qui gravait à l'eau-forte mieux qu'aucun homme de son temps. Il aima Marguerite Lecomte, et lui apprit à graver à l'eau-forte aussi bien que lui. Elle quitta sa famille, ses biens et son pays pour aller vivre avec Watelet. Le monde les maudit; puis, comme ils étaient pauvres et modestes, on les oublia. Quarante ans après, on découvrit aux environs de Paris, dans une maisonnette appelée Moulin-Joli, un vieux homme qui gravait à l'eau-forte et une vieille femme qu'il appelait sa meunière, et qui gravait à l'eau-forte à la même table. Le premier oisif qui découvrit cette merveille l'annonça aux autres, et le beau monde courut en foule à MoulinJoli pour voir le phénomène. Un amour de quarante ans, un travail toujours assidu et toujours aimé, deux beaux talents jumeaux, Philémon et Baucis du vivant de mesdames de Pompadour et du Barry, cela fit époque; et le couple miraculeux cut ses flatteurs, ses amis, ses poëtes, ses admirateurs. Heureusement le couple mourut de vieillesse peu de jours après, car le monde eût tout gâté. Le dernier dessin qu'ils gravèrent représentait le Moulin-Joli, la maison de Marguerite, avec cette

devise Cur valle permutem Sabina divitias operosiores?

Il est encadré dans ma chambre, au-dessus d'un portrait dont personne ici n'a vu l'original. Pendant un an, l'ètre qui m'a légué ce portrait s'est assis avec moi toutes les nuits à une petite table, et il a vécu du mème travail que moi... Au lever du jour, nous nous consultions sur notre œuvre, et nous soupions à la même petite table, tout en causant d'art, de sentiment et d'avenir. L'avenir nous a manqué de parole. Prie pour moi, ô Marguerite Lecomte! (Lettres d'un voyageur.)

La campagne à six heures du matin.

J'ai quitté ma chambre au jour naissant, pour fuir la fatigue, qui commençait à alourdir mes paupières. J'ai passé mon panier à mon bras, j'y ai mis mon portefeuille, mon encrier, un morceau de pain et des cigarrettes, et j'ai pris le chemin des Couperies. Me voici sur la hauteur culminante. La matinée est délicieuse, l'air est rempli du parfum des jeunes pommiers. Les prairies, rapidement inclinées sous mes pieds, se déroulent là-bas avec mollesse; elles étendent dans le vallon leurs tapis, que blanchit encore la rosée glacée du matin. Les arbres qui pressent les rives de l'Indre dessinent sur les prés des méandres d'un vert éclatant que le soleil commence à dorer au faîte. Je me suis assis sur la dernière pierre de la colline, et j'ai salué en face de moi, au revers du ravin, ta blanche maisonnette, ta pépinière et le toit

moussu de ton ajoupa'. Pourquoi as-tu quitté cet heureux nid, et tes petits enfants, et ta vieille mère, et cette vallée charmante, et ton ami le bohémien? Hirondelle voyageuse, tu as été chercher en Afrique le printemps, qui n'arrivait pas assez vite à ton gré! Ingrat! ne faitil pas toujours assez beau aux lieux où l'on est aimé? Que fais-tu à cette heure? Tu es levé sans doute; tu es seul, sans un ami, sans un chien. Les arbres qui t'abritent n'ont pas été plantés par toi ; le sol que tu foules ne te doit pas les fleurs qui le parent. Peut-être supportes-tu les feux d'un soleil ardent, tandis que le froid d'une matinée humide engourdit encore la main qui t'écrit. Sans doute tu ne devines pas que je suis là, veillant sur ta pépinière, sur tes terrasses, sur les trésors que tu délaisses! Peut-être, endormi au seuil d'une mosquée, crois-tu voir en songe les quatre murs blancs où tu as tant travaillé, tant étudié, tant rêvé, tant vieilli... Peut-être es-tu au sommet de l'Atlas... Ah! ce mot seul efface toute la beauté du paysage que j'ai sous les yeux. Les jolis myosotis 2 sur lesquels je suis assis, la haie d'aubépine qui s'accroche à mes cheveux, la rivière qui murmure à mes pieds sous son voile de vapeurs matinales, qu'est-ce que tout cela auprès de l'Atlas?

On vient d'ouvrir l'écluse de la rivière. Un bruit de cascade, qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes, s'élève dans le silence. Mille voix d'oiseaux s'éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du

Espèce de hutte portée sur des pieux,

2 Fleur connue sous le nom vulgaire de ne m'oubliez pas.

rossignol; là, dans le buisson, le cri moqueur de la fauvette; là-haut, dans les airs, l'hymne de l'alouette ravie qui monte avec le soleil ; l'astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s'empare de moi, de ma tète humide, de mon papier. Il me semble que j'écris sur une table de métal ardent... Tout s'embrase, tout chante, les coqs s'éveillent mutuellement et s'appellent d'une chaumière à l'autre ; la cloche du village sonne l'angelus; un paysan qui recèpe sa vigne audessous de moi pose ses outils et fait le signe de la croix... A genoux, Malgache! où que tu sois, à genoux! Prie pour ton frère qui prie pour toi.

(Lettres d'un voyageur.)

Un rêve.

Je t'ai raconté bien des fois un rève que je fais souvent, et qui m'a toujours laissé, après le sommeil, une impression de bonheur et de mélancolie. Au commencement de ce rève, je me vois assis sur une rive déserte, et une barque, pleine d'amis qui chantent des airs délicieux, vient à moi sur le fleuve rapide. Ils m'appellent, ils me tendent les bras, et je m'élance avec eux dans la barque. Ils me disent: «Nous allons à... (ils nomment un pays inconnu), hâtons-nous d'y arriver. » On laisse les instruments, on interrompt les chants. Chacun prend la rame. Nous abordons... à quelle rive enchantée? Il me serait impossible de la décrire; mais je l'ai vue vingt fois, je la connais; elle doit exister quelque part sur la

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