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et sur la littérature, recueil d'articles sur la musique, l'architecture, la peinture, qui avaient paru d'abord dans les journaux et les revues et dont le plus remarquable est la Vie de Le Sueur, modèle de biographie touchante et de haute critique; et une série de scènes historiques intitulées les États d'Orléans, les Barricades, les États de Blois et la Mort de Henri III, dont on peut dire qu'elles sont plus vraies que l'histoire; car ce sont les personnages eux-mêmes qui nous apprennent ce qu'ils ont fait.

Derniers travaux et mort de Le Sueur.

Un riche magistrat, M. Lambert de Thorigny, s'étant fait construire, sur le quai de l'île Notre-Dame, un hôtel, ou plutôt un petit palais, voulut le décorer à l'italienne, et, à l'exemple des Augustin Chigi et autres seigneurs romains, c'est à l'artiste le plus en vogue, c'est-à-dire à Lebrun, qu'il s'adressa pour exécuter les peintures. Mais Lebrun ne voulut se charger que de la galerie où devaient être tracées l'histoire d'Hercule et son apothéose. M. de Thorigny eut alors l'idée de proposer à Le Sueur les autres appartements. Le Sueur consentit, bien qu'il lui fallût sortir de ses études ordinaires, des habitudes de son talent et des inclinations de son esprit, pour suivre son adversaire dans un genre où celui-ci prétendait exceller, dans le champ de la fable et de l'allégorie. Rien ne peut donner une plus juste idée de l'admirable organisation de Le Sueur, rien ne fait mieux connaître la souplesse de son esprit et son aptitude à percevoir la beauté sous toutes ses formes que les charmantes et si nombreuses compositions créées par lui pour cet hôtel Lambert. Son imagination presque dévote accepta sans restriction, quoique avec une chaste réserve, toutes les

données de la mythologie: il semblait qu'il voulût frayer la route à Fénelon pour passer du cloître dans l'Olympe en lui apprenant comment on peut mêler au plus sévère parfum d'antiquité cette tendresse d'expression et cette sensibilité pénétrante qui n'appartient qu'aux âmes chrétiennes. Aussi vous ne trouvez dans ses figures de dieux et de déesses ni les sévérités de la statuaire antique ni les mignardises des danseuses de ballet; c'est un type à part, une forme qu'il a trouvée et qui n'a pas seulement l'attrait de la nouveauté, mais le charme d'une douce pureté de lignes, constamment unie à la grâce de l'expression.

Il était bien difficile qu'on restât insensible à de si séduisantes créations. Les partisans les plus outrés des lois académiques ne pouvaient nier que, si les peintures dérogeaient au grand style, elles étaient d'une élégance, d'une légèreté ravissantes. Aussi, quand le président de Thorigny ouvrit sa maison au public, la foule, qui suit son plaisir et s'arrête à ce qui la charme, ne fit que glisser dans la Galerie d'Hercule, quoique le luxe des dorures rehaussât l'éclat des peintures de Lebrun; et ce fut dans le Cabinet des Muses, dans le Salon de l'Amour, dans la Salle des Bains qu'on se porta de préférence, parce que les yeux et l'esprit s'y trouvaient doucement attirés.....

L'exécution de ces peintures avait demandé à Le Sueur trois années d'un travail d'autant plus fatigant que, tout en se livrant à d'opiniâtres études pour donner à son pinceau cette direction nouvelle, il avait dû terminer plusieurs tableaux de piété, promis par lui à l'église

Saint-Germain l'Auxerrois, à l'église Saint-Gervais, à l'abbaye de Marmoutier. Ne consultant pas ses forces, se livrant sans mesure à l'amour immodéré de son art, il passait les nuits à dessiner, les journées à peindre; et ce qui l'encourageait à dévorer ainsi sa vie, c'est que son talent semblait gagner tout ce que perdait sa santé. Ces tableaux, composés au milieu de l'agitation et de la fièvre du travail, sont assurément ses chefs-d'œuvre. C'est cette Messe miraculeuse de saint Martin, esquisse qui est elle-même un miracle, et qui semble éclairée par je ne sais quels rayons divins tombant de cette hostie lumineuse; c'est l'Apparition de sainte Scolastique à saint Benoit, angélique tableau où la vie du ciel nous semble révélée sous les traits de cette sainte, dont le geste modeste et la physionomie virginale n'ont pu être conçus que par une sorte de vision du génie; c'est encore le Jésus traînant sa croix devant sainte Véronique avec une si sublime humilité, et cette admirable Descente de croix, qui, parmi les mille et mille tableaux de tous les temps et de tous les pays que cette sainte page de l'Écriture a inspirés, se distingue par un caractère si particulier d'onction, de tendresse et d'ascétique douleur. Où trouver une émotion plus vraie, un désespoir plus déchirant? Et cependant quelle douce pureté, surtout dans ces figures de femmes! quel calme dans leurs draperies, quelle simplicité de moyens pour un si grand effet! C'est la suavité de contours d'un bas-relief antique, vivifiée par le feu intérieur de la foi. Enfin, n'oublions pas que c'est à cette même époque qu'il peignit son Martyre de saint Gervais et de saint Protais,

cette grande composition historique, où les tètes sublimes des deux jeunes saints font oublier ce qu'il y a peut-être d'un peu conventionnel dans le reste du tableau.

Tant de fatigues, tant d'efforts épuisèrent ce qui lui restait de vie; le chagrin acheva de l'accabler. Il eut la douleur de voir mourir sa femme; et cette perte le jeta dans un tel abattement qu'il ne se sentit jamais le courage d'achever son dernier plafond à l'hôtel Lambert. Il ne toucha plus à ses pinceaux que pour ébaucher un autre trait de la vie de saint Gervais et de saint Frotais, qui devait faire pendant à son grand tableau. Mais bientôt ses forces l'abandonnèrent; il fut saisi du sentiment de sa fin prochaine, et sa ferveur religieuse lui fit chercher un asile chez les Chartreux: il les avait émerveillés par ses œuvres, il venait les édifier par sa mort. Ce fut dans les bras du prieur qu'il rendit l'âme, vers les premiers jours de mai 1655; il entrait dans sa trentehuitième année.

Le Sueur était du nombre de ces hommes dont la mort prématurée est en quelque sorte écrite au front de leur génie. Il y a dans presque toutes ses œuvres, comme dans celles de Raphaël, comme dans les accords de Mozart, je ne sais quelle teinte mélancolique qui semble un lugubre avertissement. Il avait sans doute assez vécu pour rester immortel parmi les hommes, pas assez pour avoir Ajoui de sa gloire. Ses plus belles journées furent des demitriomphes ceux qui le louèrent le plus ne le comprenaient qu'à moitié; et comment d'intimes souffrances n'auraient-elles pas quelquefois attristé son cœur d'artiste quand on pense qu'il mourut sans avoir jamais

reçu, je ne dis pas de son roi (il était si jeune), mais de la cour, la moindre faveur, on pourrait presque dire le moindre travail? Trois figures allégoriques dont on lui demanda par hasard le dessin, voilà l'aumône royale que reçut le grand peintre. Il mourut regretté comme homme de bien, estimé comme artiste, mais à peu près au même titre que ses onze confrères d'Académie; et le jour où son génie fut enlevé aux arts, personne dans tout le royaume ne mesura la perte que venait de faire la France. (Vie d'Eustache Le Sueur.)

ALEXANDRE DUMAS.

(1803.)

M. Alexandre DUMAS est né à Villers-Cotterets, petite ville du département de l'Aisne. Il eut pour père le général Dumas, né à SaintDomingue et fils naturel d'une négresse et du marquis de La Pailleterie, A vingt ans, il alla chercher fortune à Paris, et obtint une place dans le secrétariat du duc d'Orléans. En 1829, il débuta dans la littérature par le drame de Henri III, qui cut un immense succès. Depuis, M. Dumas a publié plus de deux cents volumes de drames, de comédies, de romans, de chroniques, d'histoires, de voyages, etc. Tout ce qu'il écrit est bien accueilli du public, et lu avec avidité. La plupart des lecteurs ne cherchent que l'amusement, et M. Dumas excelle a les amuser. A une verve intarissable il joint un talent prodigieux pour conduire l'intrigue d'un drame ou d'un roman et pour piquer la curiosité en ménageant l'intérêt; il a un style naturel, vif, animé, comme celui d'un improvisateur. Mais la précipitation de son travail est peu compatible avec les qualités des ouvrages qui durent. Sa diction manque de

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