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outragea plus d'une fois l'enthousiasme militaire; osons ici le venger.

La guerre, cette maladie ancienne, et malheureusement nécessaire, qui travaille toutes les sociétés; ce fléau dont il est si facile de déplorer les effets et si facile d'extirper la cause, la guerre elle-même n'est pas sans utilité pour les nations. Elle rend une nouvelle énergie aux vieilles sociétés; elle rapproche les grands peuples longtemps ennemis, qui apprennent à s'estimer sur le champ de bataille; elle remue et féconde les esprits par des spectacles extraordinaires; elle instruit surtout le siècle et l'avenir, quand elle produit un de ces génies rares faits pour tout changer.

Mais pour que la guerre ait de tels avantages, il ne faut pas qu'elle soit trop prolongée, ou des maux irréparables en sont la suite. Les champs et les ateliers se dépeuplent, les écoles où se forment l'esprit et les mœurs sont abandonnées, la barbarie s'approche, et les générations, ravagées dans leur fleur, voient périr avec elles les espérances du genre humain.

Le Corps législatif et le peuple français bénissent le grand prince qui finit la guerre avant qu'elle ait pu nous faire éprouver d'aussi désastreuses influences, et lorsqu'elle nous porte, au contraire, tant de nouveaux moyens de force, de richesses et de population. La guerre, qui épuise tout, a renouvelé nos finances et nos armées. Les peuples vaincus nous donnent des subsides, et la France trouve des soldats dignes d'elle chez les peuples alliés.

Nos yeux ont vu les plus grandes choses. Quelques années ont suffi pour renouveler la face du monde. Un

homme a parcouru l'Europe en ôtant et en donnant des diadèmes. Il déplace, il resserre, il étend à son choix les frontières des empires: tout est entraîné par son ascendant. Eh bien! cet homme, couvert de tant de gloire, nous promet plus encore: paisible et désarmé, il prouvera que cette force invincible qui renversa en courant les trônes et les empires est au-dessous de cette sagesse vraiment royale qui les conserve par la paix, les enrichit par l'agriculture et l'industrie, les décore par les chefsd'œuvre des arts, et les fonde éternellement sur le double appui de la morale et des lois.

JOUBERT.

(1754-1824.)

Joseph JOUBERT, moraliste et critique, ami intime de Chateaubriand et de Fontanes, naquit à Montignac, petite ville du Périgord. Sous l'empire, il devint inspecteur général, puis conseiller de l'Université. Joubert passa sa vie à lire, à causer, à méditer, à rêver; mais il écrivit pcu. Pendant cinquante ans, il tint une espèce de journal, où il consignait ses réflexions, ses maximes, l'analyse de ses lectures et les événe. ments de sa vie. Ce journal, publié depuis sa mort, lui assure une place dans la famille de la Bruyère et de Vauvenargues. Joubert était un homme passionné pour le beau idéal, d'un goût pur et délicat. Mais à force de viser à une exquise délicatesse, il tombe quelquefois dans la recherche et la subtilité.

On a publié aussi une partie de la Correspondance de Joubert. Il avait à un degré éminent la facilité, l'enjouement et l'urbanité, qui sont, suivant lui, le vrai caractère du style épistolaire.

Voltaire.

Voltaire a répandu dans le langage une élégance qui en bannit la bonhomie. Rousseau a ôté la sagesse aux àmes, en leur parlant de la vertu. Buffon remplit l'esprit d'emphase. Montesquieu est le plus sage; mais il semble enseigner l'art de faire les empires: on croit l'apprendre en l'écoutant, et toutes les fois qu'on le lit, on est tenté d'en construire un.

Voltaire était un esprit habile, adroit; faisait tout ce qu'il voulait, le faisait bien, le faisait vite; mais incapable de se maintenir dans l'excellent. Il avait le talent de la plaisanterie, mais il n'en avait pas la science; il ne sut jamais de quelles choses il faut rire, et de quelles il ne faut pas. C'est un écrivain dont on doit éviter avec soin l'extrême élégance, ou l'on ne pensera jamais rien de sérieux. A la fois actif et brillant, il occupait la région placée entre la folie et le bon sens, et il allait perpétuellement de l'une à l'autre. Il avait beaucoup de ce bon sens qui sert à la satire, c'est-à-dire une grande pénétration pour découvrir les maux et les défauts de la société; mais il n'en cherchait point le remède. On eût dit qu'ils n'existaient que pour sa bile ou sa bonne humeur; car il en riait et s'en irritait, sans s'arrêter jamais à les plaindre.

Voltaire connut la clarté, et se joua dans la lumière, mais pour l'éparpiller et en briser tous les rayons, comme un méchant. C'est un farfadet, que ses évolutions font quelquefois paraître un génie grave.

Il avait le jugement droit, l'imagination riche, l'esprit agile, le goût vif et le sens moral détruit.

Mépriser et décrier, comme Voltaire, les temps dont on parle, c'est ôter tout intérêt à l'histoire qu'on écrit. Cette autorité oratoire dont parlent les anciens, on la trouve dans Bossuet plus que dans tous les autres; et, après lui, dans Pascal, dans la Bruyère, dans J. J. Rousseau même; mais jamais dans Voltaire.

Voltaire eut l'art du style familier. 11 lui donna toutes les formes, tout l'agrément, toute la beauté même dont il est susceptible; et parce qu'il y fit entrer tous les genres, son siècle abusé crut qu'il avait excellé dans tous. Ceux qui le louent de son goût confondent perpétuellement le goût et l'agrément : on ne le goûte point, mais on l'admire. Il égaye, il éblouit; c'est la mobilité de l'esprit qu'il flatte, et non le goût.

(Jugements littéraires.)

A MADAME DE FONTANES.

Villeneuve-le-Roi, 7 février 1794.

Je n'ai guère, dans ce bas monde, pour tous meubles et presque pour tous biens, qu'un forte-piano qui est à ma nièce, deux estampes qui sont à moi, et la moitié d'un pain de sucre, que nous consommons en commun.

Venez jouir de ces trésors; je puis en disposer en maître, et vous les offre de bon cœur.

J'aurais bien voulu vous procurer, dans mon voisinage, une cabane au pied d'un arbre, et j'ai tout tenté pour

cela, jusqu'à me résoudre à en acheter une, moi qui hais la propriété; je n'ai pas pu y parvenir.

Je serai réduit à vous loger dans une chaumière au pied d'un mur. Cela n'est pas bien magnifique; mais fussions-nous déjà bien sûrs de disposer de ce ́taudis, c'est encore ce que le pays a de meilleur en ce moment. On s'y bat pour le moindre trou, tous les logements y sont rares. Fontanes n'a qu'à se presser; s'il attend, nous n'aurons plus rien. Cette chaumière au pied d'un mur est une maison de curé au pied d'un pont. Vous y aurez notre rivière sous les yeux, notre plaine devant vos pas, nos vignobles en perspective, et un bon quart de notre ciel sur votre tête. Cela est assez attrayant.

Une cour, un petit jardin dont la porte ouvre sur la campagne, des voisins qu'on ne voit jamais, toute une ville à l'autre bord, des bateaux entre les deux rives et un isolement commode, tout cela est d'assez grand prix; mais aussi vous le payerez le site vaut mieux que le

lieu.

Le lieu n'est qu'une habitation où l'on ne se mouillerait pas, où l'on ne gèlerait pas, où l'on pourrait même dormir sans s'entasser dans un seul lit; mais on n'y aurait pas non plus des appartements bien complets. Votre mère aurait une alcôve, un cabinet et de la vue; vous auriez une grande chambre; le bon parent une à côté. J'ai fait les descriptions à Fontanes: il dit que cela suffi rait; moi, je trouve cela fort peu, mais on ne trouve rien de mieux.

Armez-vous done d'un grand courage; et si vous êtes résolue à ne pas vous trouver à plaindre lorsque vous

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