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glorieuse France reste devant elles la spectatrice impuissante de leurs combats et du partage de leurs conquêtes:

« Considérez ces grandes expéditions à cinq cents lieues « de leurs frontières: d'un côté, l'expédition de Caboul; « de l'autre, la tentative de Khiva. Voyez ces deux grandes << nations marcher à travers le monde pour dresser leurs «< lignes de précautions l'une contre l'autre. »

« Quoi, messieurs, la France ne sera qu'une puissance << continentale, en dépit de ces vastes mers qui viennent « rouler leurs flots sur nos rivages et solliciter en quel« que sorte le génie de notre intelligence! »

Cette image est fort belle, et M. Berryer, ainsi que tous les grands orateurs, affecte surtout le style figuré dans les divers procédés de son éloquence.

(Études sur les orateurs parlementaires.)

LAMARTINE.

(1790.)

M. Alphonse DE LAMARTINE, le premier poëte élégiaque et lyrique de notre littérature, est aussi un des plus grands prosateurs de notre époque. Il a écrit en prose des Souvenirs et impressions pendant un voyage en Orient, livre incomplet, souvent formé de notes à peine terminées, mais d'une richesse descriptive éblouissante; une Histoire des Girondins, brillante œuvre d'art, d'imagination et de style, qui laisse trop à désirer sous le rapport de l'exactitude et de la vérité; le

récit de son enfance et de sa jeunesse dans Mes Confidences et dans Raphaël, où l'on trouve des pages qui rivalisent de jeunesse, de fraîcheur et de grâce avec les Harmonies et les Méditations; une Histoire de la révolution de 1848, qui est moins une histoire qu'une apologie du gouvernement provisoire et surtout de l'auteur.

M. de Lamartine se montre, en prose comme en vers, doué de tous les dons. Son style est facile, abondant, flexible, brillant, harmonieux. Mais on y désirerait plus de correction, de précision, de simplicité, plus de mesure dans les images et de sobriété dans les détails, et un peu moins de cette monotonie toujours grandiose, riche, splendide. On voudrait aussi qu'il n'oubliȧt pas dans les récits historiques que la raison doit dominer l'imagination, et qu'une exactitude sévère est le premier mérite du narrateur 1.

Les Méditations de Lamartine, jugées par
M. Didot.

Un matin, je cachai sous mon habit le petit manuscrit relié en carton vert; il contenait les poésies, ma dernière espérance. Je m'acheminai, en hésitant et en chancelant souvent dans mon dessein, vers la maison d'un célèbre éditeur, dont le nom est associé à la gloire des lettres et de la librairie française: M. Didot. Ce nom m'attira le premier, parce que, indépendamment de sa célébrité comme éditeur, M. Didot était de plus un écrivain assez considéré alors. Il avait publié ses propres vers avec tout le luxe et tout le retentissement d'un poëte qui possède les voix de sa propre renommée. Arrivé rue Jacob, à la porte de M. Didot, porte tapissée de gloires, il me fallut un redoublement d'efforts sur moi pour franchir le seuil, un autre pour monter l'escalier, un

1 Voyez une Notice plus détaillée dans les Poëtes,

autre enfin plus violent encore pour sonner à la porte de son cabinet. Mais je voyais derrière moi le visage adoré de Julie qui m'encourageait, et sa main qui me poussait. J'osai tout.

M. Didot, homme d'un âge mûr, d'une figure précise et commerciale, d'une parole nette et brève comme celle d'un homme qui sait le prix des minutes, me reçut avec politesse. Il me demanda ce que j'avais à lui dire. Je balbutiai assez longtemps. Je m'embarrassai dans ces contours de phrases ambiguës, où se cache une pensée qui veut et qui ne veut pas aboutir au fait. Je croyais gagner du courage en gagnant du temps. A la fin je déboutonnai mon habit. J'en tirai le petit volume. Je le présentai humblement, d'une main tremblante, à M. Didot. Je lui dis que j'avais écrit ces vers, que je désirais les faire imprimer pour m'attirer sinon la gloire, dont je n'avais pas la ridicule illusion, au moins l'attention et la bienveillance des hommes puissants de la littérature; que ma pauvreté ne me permettait pas de faire les frais de cette impression; que je venais lui soumettre mon œuvre et lui demander de la publier, si, après l'avoir parcourue, il la jugeait digne de quelque indulgence ou de quelque faveur des esprits cultivés.

M. Didot sourit avec une ironie mêlée de bonté, hocha la tête, prit le manuscrit entre deux doigts habitués à froisser dédaigneusement le papier, posa mes vers sur la table, et m'ajourna à huit jours pour me donner une réponse sur l'objet de ma visite. Je sortis.

Ces huit jours me parurent huit siècles. Mon avenir, ma fortune, ma renommée, la consolation ou le déses

poir de ma pauvre mère, enfin, ma vie et ma mort étaient dans les mains de M. Didot. Tantôt je me figurais qu'il lisait ces vers avec la même ivresse qui me les avait dictés sur les montagnes ou au bord des torrents de mon pays; qu'il y retrouvait la rosée de mon âme, les larmes de mes yeux, le sang de mes jeunes veines; qu'il réunissait les hommes de lettres ses amis pour entendre ces vers; que j'entendais moi-même, du fond de mon alcôve, le bruit de leurs applaudissements.

Tantôt je rougissais en moi-même d'avoir livré aux regards d'un inconnu une œuvre si indigne de la lumière; d'avoir dévoilé ma faiblesse et ma nudité pour un vain espoir de succès qui se changerait en humiliation sur mon front au lieu de se convertir en joie et en or entre mes mains. Cependant l'espérance, aussi obstinée que mon indigence, reprenait le dessus dans mes rêves, et me conduisait, d'heure en heure jusqu'à l'heure assignée par M. Didot.

Le cœur me manqua en montant, le huitième jour, son escalier. Je restai longtemps debout sur le palier de la porte, sans oser sonner. Quelqu'un sortit. La porte restait ouverte. Il fallut bien entrer. Le visage de M. Didot était inexpressif et ambigu comme l'oracle. Il me fit asseoir, et, cherchant mon volume enfoui sous plusieurs piles de papier : « J'ai lu vos vers, Monsieur, me dit-il, ils ne sont pas sans talent, mais ils sont sans étude. Ils ne ressemblent à rien de ce qui est reçu et recherché dans nos poëtes. On ne sait où vous avez pris la langue, les idées, les images de la poésie. Elle ne se classe dans aucun genre défini. C'est dommage, il y a

de l'harmonie. Renoncez à ces nouveautés qui dépayseraient le génie français. Lisez nos maîtres, Delille, Parný, Michaud, Raynouard, Luce de Lancival, Fontanes; voilà des poëtes chéris du public. Ressemblez à quelqu'un, si vous voulez qu'on vous reconnaisse et qu'on vous lise! Je vous donnerais un mauvais conseil en vous engageant à publier ce volume, et je vous rendrais mauvais service en le publiant à mes frais. » En me parlant ainsi, il se leva et me rendit le manuscrit. Je ne cherchai point à contester avec la destinée; elle parlait pour moi par la bouche de cet oracle. Je remis le volume sous mon habit. Je remerciai M. Didot. Je m'excusai du temps que je lui avais fait perdre, et je descendis, les jambes brisées et les yeux humides, les marches de l'escalier.

Ah! si M. Didot, homme bon, sensible, patron des lettres, avait pu lire au fond de mon cœur et comprendre que ce n'était ni la fortune ni la gloire que venait mendier, son œuvre à la main, ce jeune inconnu, mais que c'était la vie que je lui demandais, je suis convaincu qu'il aurait imprimé le volume. Le ciel, au moins, lui en aurait rendu le prix ! (Raphaël.)

Exécution de Marie-Antoinette.

La reine, après avoir écrit et prié, dormit d'un sommeil calme quelques heures. A son réveil, la fille de madame Bault l'habilla et la coiffa, avec plus de décence et plus de respect pour son extérieur que les autres jours. Marie-Antoinette dépouilla la robe noire qu'elle avait portée depuis la mort de son mari; elle revêtit une robe

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