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était terre d'Empire. Un parent du mort, nommé Jacotin Plouvier, de Valenciennes, trouva Mahiot en pleine rue, et lui dit « Traître, tu as méchamment mis à mort mon parent; prends garde à moi, car avant peu je vengerai sa mort. » Mahiot s'en alla aussitôt trouver les magistrats de la ville, et leur dit : « Vous m'avez reçu dans votre franchise, afin que j'y sois en sûreté de mon corps; et nonobstant, Jacques Plouvier est venu m'outrager et me menacer. Je vous requiers de m'accorder aide, et de me conseiller ce que je dois faire. » Le prévôt et les jurés envoyèrent quérir Plouvier, qui était un de leurs habitants, et lui demandèrent s'il était vrai qu'il eût ainsi violé les franchises de la ville. « Messieurs, répondit-il, je dis et maintiens que Mahiot Coquel a tué traîtreusement mon parent par guet-apens et sans cause raisonnable. Prenez garde à vos paroles, dit le prévôt, car il faudra les maintenir et les prouver par votre corps. La franchise de la ville vous laisse ce seul recours; autrement, nous ferons de vous justice pour avoir attenté à ladite franchise. » Plouvier, sans s'émouvoir, jeta un gage de bataille devant Coquel, qui, malgré des excuses, fut contraint de le relever. On les envoya chacun dans une prison séparée, et on leur donna à tous deux un maître de combat, pour leur enseigner la façon de se battre. C'était la ville qui payait la nourriture et le maître de Coquel, parce qu'il s'était réclamé de la franchise.

Toute cette façon de procéder était si ancienne, que la chose traîna longtemps, et donna lieu à beaucoup de débats entre les jurés de la ville; ils finirent cependant

par ordonner le combat en vertu de sentence, et ils en réglèrent toutes les circonstances. On parlait, comme on peut croire, beaucoup de cette affaire; elle vint à la connaissance du comte de Charolais, pendant qu'il était lieutenant général de son père. Il donna ordre de différer le combat. Pendant ce délai, les gens de son conseil essayèrent de tout terminer par un accommodement. Mais les jurés et les habitants voulaient absolument que ce combat eût lieu; l'empêcher leur semblait un attentat contre leurs priviléges; et ils envoyaient demande sur demande au comte de Charolais. Dès qu'ils surent que le duc était en Bourgogne, ils s'adressèrent aussitôt à lui. Quand ils furent de retour en Flandre, ils lui députèrent une seconde fois, et représentèrent que, comme comte de Hainaut, il avait juré de respecter leurs priviléges; que déjà ils avaient dépensé beaucoup d'argent pour les préparatifs.de ce combat; enfin, qu'ils ne voulaient point renoncer à leurs vieilles libertés.

Pour lors le duc leur assigna un jour, et annonça qu'il y viendrait. Son fils et plusieurs gens de sa cour l'accompagnèrent; on était très-curieux de voir un tel combat.

La lice n'était point construite comme pour une joûte; elle était ronde et n'avait qu'une seule entrée. Le prévôt de la ville et le prévôt du comte de Hainaut étaient juges du champ clos; le duc n'était là que comme spectateur. Au milieu de la lice, on avait placé, en face l'une de l'autre, deux chaises couvertes de drap noir. Les deux champions furent amenés; ils avaient la tête rasée; un

1 Charles le Téméraire, fils de Philippe le Bon.

vêtement de cuir, lacé et étroit, leur couvrait tout le corps, en laissant les jambes et les bras nus. Chacun fut assis sur sa chaise; on apporta les évangiles pour leur faire prêter serment. Puis ils graissèrent leurs corsets de cuir pour ne pas laisser prise, se frottèrent les mains avec de la cendre afin que l'arme ne glissât point dans leurs poings, et mirent un morceau de sucre dans leur bouche, de peur que la chaleur ne leur desséchât le gosier. Ils furent ensuite armés de bâtons noueux, parfaitement égaux en longueur et en poids, et de deux écus peints en rouge; mais ils devaient les porter la pointe en haut, pour marquer qu'ils n'étaient point gens nobles.

Dès que le signal fut donné, Mahiot Coquel, qui était moins grand et moins fort que son adversaire, se baissa, ramassa une poignée de sable et la lui jeta aux yeux. Jacotin fut un instant troublé, et reçut un grand coup de bâton dans le visage; mais, reprenant aussitôt courage, il se jeta sur Mahiot, le prit à bras le corps, le renversa par terre, lui appuya le genou sur l'estomac, lui enfonça, à la grande horreur des assistants, son bâton dans les yeux, puis l'assomma roide mort. Mahiot fut plaint dans la ville; car c'était à lui que le peuple prenait intérêt, disant qu'il était champion des priviléges de Valenciennes. Quoi qu'il en fût, on le traîna hors de la lice, et son corps fut attaché à la potence. Tout ce combat parut une chose trop ignoble à la cour de Bourgogne. Pour effacer, en quelque sorte, la honte d'un lieu où le duc avait été rendu témoin d'un si vilain meurtre, deux gentilshommes, qui avaient eu querelle, résolurent, quelque temps après, de combattre sous

ses yeux, dans cette même place de Valenciennes; ce qu'ils firent avec courtoisie et noblesse.

(Histoire des ducs de Bourgogne.)

GUIZOT.

(1787.)

M. François GUIZOT, historien, publiciste, orateur et homme d'État éminent, est né à Nimes. Il est fils d'un avocat protestant mort sur l'échafaud révolutionnaire. Après de fortes études, il se fit précepteur, et appela bientôt l'attention sur lui par plusieurs publications littéraires. Il publia un Dictionnaire des synonymes français, remarquable de précision et de méthode; une Vie de Corneille et de Shakespeare, excellentes études sur ces deux grands poëtes; une traduction de Gibbon, avec des notes historiques d'un haut intérêt. En 1812, M. Guizot fut nommé professeur d'histoire moderne à la Faculté des lettres, et il commença cette série de travaux qui sont le fondement le plus solide de la science historique actuelle. Ce cours célèbre a été imprimé; il se compose des Essais sur l'histoire de France, où plusieurs questions obscures et difficiles sont résolues avec une rare sagacité; de l'Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe; de l'Histoire de la civilisation européenne, ou recherche des causes qui ont influé sur l'état politique et social de l'Europe; de l'Histoire de la civilisation en France, le travail le plus vaste et le plus complet sur les neuf premiers siècles de notre histoire. On remarque, dans ces trois ouvrages, une érudition, un esprit d'ordre, une hauteur de vues, une profondeur d'analyse et une impartialité critique inconnues aux historiens de la France avant M. Guizot. On regrette que M. Guizot se préoccupe trop peu de la forme: ses ouvrages se distinguent plus par la gravité du ton, la force et la justesse des raisons, l'élévation des vues, que par l'originalité du langage.

Les études historiques doivent encore à M. Guizot le précieux secours de deux grandes Collections de Mémoires, l'une sur les neuf premiers siècles de l'histoire de France, l'autre sur la révolution d'Angleterre ;

elles lui doivent l'Histoire de cette révolution, modèle achevé de l'histoire politique dans les temps modernes; MONK, ou Chute de la république et Rétablissement de la monarchie en Angleterre ; WASHINGTON, son caractère et son influence dans la révolution d'Amérique, des Études biographiques sur la révolution d'Angleterre, des Études sur les beaux-arts, etc. Enfin la haute critique littéraire et la philosophie morale reconnaissent un maître dans ses jugements sur le théâtre de Shakespeare et de Corneille, et dans un volume récemment publié sous le titre de Méditations et Études morales.]

Exécution de Charles Ier.

Au même moment, après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit : « J'ai une grande affaire à terminer, dit-il à Herbert, il faut que je me lève promptement; » et il se mit à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin : « Prenez, je vous prie, lui dit le roi, la même peine qu'à l'ordinaire; quoique ma tête ne doive pas rester longtemps sur mes épaules, je veux être paré aujourd'hui comme un marié. » En s'habillant, il demanda une chemise de plus. «La saison est si froide, dit-il, que je pourrais trembler; quelques personnes l'attribueraient peut-être à la peur; je ne veux pas qu'une telle supposition soit possible. » Le jour à peine levé, l'évêque arriva et commença les exercices religieux. Comme il lisait, dans le XXVII chapitre de l'Evangile selon saint Matthieu, le récit de la passion de Jésus-Christ : « Mylord, lui demanda le roi, avez-vous choisi ce chapitre comme le plus applicable à ma situation? >> - « Je prie Votre Majesté de remarquer, répondit l'évêque, que c'est l'évangile du jour, comme le prouve le calendrier. » Le roi parut profondément touché, et continua ses prières avec un redouble

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