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qu'il dirait en prose tout ce que Racine a dit en vers : croyez que tout ce qui ne sera pas aussi clair, aussi simple, aussi élégant ne vaudra rien du tout.

Vos réflexions, Mademoiselle, vous en apprendront cent fois plus que je ne pourrais vous en dire. Vous verrez que nos bons écrivains, Fénelon, Bossuet, Racine, Despréaux, employaient toujours le mot propre. On s'accoutume à bien parler en lisant souvent ceux qui ont bien écrit: on se fait une habitude d'exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. Ce n'est point une étude; il n'en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire que cela. On n'a de maître que son plaisir et son goût.

Pardonnez, Mademoiselle, à ces longues réflexions : ne les attribuez qu'à mon obéissance à vos ordres. J'ai l'honneur, etc.

20 juin 1756.

A MADAME DUBOCAGE.

REMERCIMENTS.

Ferney, 19 de septembre 1768.

Je n'ai point voulu vous remercier, Madame, sans avoir joui de vos bienfaits. C'est en connaissance de cause que je vous réitère les sentiments d'estime et de reconnaissance que je vous avais voués dès longtemps. J'ai lu la très-jolie édition dont vous avez voulu me gratifier. Je ne connaissais point vos agréables lettres sur l'Italie; elles sont supérieures à celles de madame de

Montaigu '. Je connais Constantinople par elle, et Rome par vous; et, grâce à votre style, je donne la préférence à Rome. Je ne m'attendais pas, Madame, de 2 voir mon petit Ermitage auprès de Genève célébré par la main brillante qui a si bien peint les vignes des cardinaux. Les grands peintres savent également exercer leurs talents sur les palais et sur les chaumières.

Soyez bien sûre, Madame, que je suis aussi reconnaissant qu'étonné de l'extrême bonté avec laquelle vous avez bien voulu parler de moi. Je ne nie pas que je ne sois infiniment flatté de voir mon nom dans vos lettres, qui passeront à la postérité; mais mon cœur, j'ose le dire, est encore plus sensiblement touché de recevoir ces marques d'amitié de la première personne de son sexe et de son siècle.

J'ose dire, Madame, que personne n'a plus senti votre mérite que moi; mais je ne me bornerai pas à vous admirer. J'aimais votre caractère autant que votre esprit, et l'éloignement des lieux n'a point diminué ces sentiments. Madame Denis les partage; elle est pénétrée, comme moi, de ce que vous valez. Recevez les hommages de l'oncle et de la nièce. Vous êtes au-dessus des éloges, vous devez en être fatiguée.

On est bien plus sûr de vous plaire quand on vous a dit qu'on vous est très-tendrement attaché, et c'est bien certainement ce que je suis avec le plus sincère respect.

1 Lady Mary Wortley Montagu.

2 Il serait plus correct de dire : je ne m'attendais pas à voir.

A THIRIOT, SON AMI.

REPROCHES.

Lunéville, 12 juin 1735.

Oui, je vous injurierai jusqu'à ce que je vous aie guéri de votre paresse. Je ne vous reproche point de souper tous les soirs avec M. de La Poplinière; je vous reproche de borner là toutes vos pensées et toutes vos espérances. Vous vivez comme si l'homme avait été créé uniquement pour souper, et vous n'avez d'existence que depuis dix heures du soir jusqu'à deux heures après minuit. Vous restez dans votre trou jusqu'à l'heure des spectacles à dissiper les fumées du souper de la veille; ainsi vous n'avez pas un moment pour penser à vous et à vos amis. Cela fait qu'une lettre à écrire devient un fardeau pour vous. Vous êtes un mois entier à répondre. Et vous avez encore la bonté de vous faire illusion au point d'imaginer que vous serez capable d'un emploi et de faire quelque fortune, vous qui n'êtes pas capable seulement de vous faire dans votre cabinet une occupation suivie, et qui n'avez jamais pu prendre sur vous d'écrire régulièrement à vos amis, mème dans les affaires intéressantes pour vous et pour eux. Vous avez passé votre jeunesse ; vous deviendrez bientôt vieux et infirme; voilà à quoi il faut que vous songiez. Il faut vous préparer une arrièresaison tranquille, heureuse, indépendante. Que deviendrez-vous quand vous serez malade et abandonné ? Sera-ce une consolation pour vous de dire: J'ai bu du

vin de Champagne autrefois en bonne compagnie? Songez qu'une bouteille qui a été fètée quand elle était pleine d'eau des Barbades est jetée dans un coin dès qu'elle est cassée, et qu'elle reste en morceaux dans la poussière; que voilà ce qui arrive à tous ceux qui n'ont songé qu'à être admis à quelques soupers; et que la fin d'un vieil inutile, infirme, est une chose bien pitoyable. Si cela ne vous donne pas un peu de courage, et ne yous excite pas à secouer l'engourdissement dans lequel vous laissez votre âme, rien ne vous guérira. Si je vous aimais moins, je vous plaisanterais sur votre paresse; mais je vous aime, et je vous gronde beaucoup,

Cela posé, songez donc à vous, et puis songez à vos amis. N'oubliez point vos amis, et ne passez pas des mois entiers sans leur écrire un mot. Il n'est point question d'écrire des lettres pensées et réfléchies avec soin, qui peuvent un peu coûter à la paresse; il n'est question que de deux ou trois mots d'amitié, et quelques nouvelles, soit d'amitié, soit des sottises humaines, le tout courant sur le papier sans peine et sans attention. Il ne faut pour cela que se mettre un demi-quart d'heure vis-à-vis son écritoire. Est-ce donc là un effort si pénible? J'ai d'autant plus d'envie d'avoir avec vous un commerce régulier que votre lettre m'a fait un plaisir extrême...

A M. DE BRENLÈS.

DEMANDE.

Aux Délices, 16 décembre 1760.

Vous souvenez-vous de moi? Pour moi, je vous ai

merai toujours, quoique je ne sois plus Suisse. Voici, mon cher Monsieur, de quoi il est question. Vous savez que j'ai acheté des terres en France pour être plus libre: une descendante du grand Corneille vient dans ces terres. Vous serez peut-être surpris qu'une nièce de Rodogune sache à peine lire et écrire; mais son père, malheureusement réduit à l'état le plus indigent, et, plus malheureusement encore, abandonné de Fontenelle, n'avait pas eu de quoi donner à sa fille les commencements de la plus mince éducation. On m'a recommandé cette infortunée; j'ai cru qu'il convenait à un soldat de nourrir la fille de son général. Elle arrive chez moi; elle a appris un peu à lire et à écrire d'ellemême ; on la dit aimable; je me ferai un plaisir de lui servir de père, et de contribuer à son éducation, qu'elle seule a commencée. Si vous connaissez quelque pauvre homme qui sache lire, écrire, et qui puisse mème avoir une teinture de géographie et d'histoire, qui soit du moins capable de l'apprendre, et d'enseigner le lendemain ce qu'il aura appris la veille, nous le logerons, chaufferons, blanchirons, nourrirons, abreuverons et payerons, mais payerons très-médiocrement; car je me suis ruiné à bâtir des châteaux, des églises et des théâtres. Voyez, avez-vous quelque pauvre ami? Vous m'avez déjà donné un Corbo dont je suis fort content : ses gages sont médiocres; mais il est très-bien dans le château de Tournay; son frère n'est pas mieux dans celui de Ferney. Notre savant pourrait bien avoir les mêmes appointements. Décidez; bonsoir; mille compliments à madame votre femme.

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