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VAUVENARGUES.

(1715-1747.)

Luc de Clapier, marquis de VAUVENARGUES, naquit à Aix. Il servit quelque temps avec distinction, fut forcé de quitter le service par la faiblesse de sa santé, et vécut dans la retraite et la méditation. Il mourut à trente-deux ans. Ce jeune seigneur, qui fut, sous certains rapports, le Pascal du XVIIIe siècle, et qui en serait peut-être devenu le Fénelon s'il eût vécu plus longtemps, a laissé une Introduction à la connaissance de l'esprit humain, suivie de maximes morales et de réflexions sur divers auteurs, ouvrage inachevé, qui lui assure une des premières places parmi les moralistes et les critiques de notre littérature. - Vauvenargues rappelle Pascal par la candeur, la simplicité, la vérité dans l'âme et dans le style; mais il n'a ni la profondeur, ni la force, ni la passion, ni le sentiment chrétien du grand solitaire de Port-Royal.

Réflexions morales.

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C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours modérément.

Le courage a plus de ressources contre les disgrâces que la raison.

Quelques auteurs traitent la morale comme on traite la nouvelle architecture, où l'on cherche avant toutes choses la commodité.

Celui qui sait rendre ses profusions utiles a une grande et noble économie.

Personne ne se croit propre comme un sot à duper les gens d'esprit.

Il n'y a guère de gens plus aigres que ceux qui sont doux par intérêt.

Il est faux qu'on ait fait fortune lorsqu'on ne sait pas en jouir.

On doit se consoler de n'avoir pas les grands talents, comme on se console de n'avoir pas les grandes places. On peut être au-dessus de l'un et de l'autre par le cœur. Les hommes ont la volonté de rendre service jusqu'à ce qu'ils en aient le pouvoir.

La ressource de ceux qui n'imaginent pas est de

conter.

Les grandes pensées viennent du cœur.

La raison nous trompe plus souvent que la nature. Personne n'est sujet à plus de fautes que ceux qui n'agissent que par réflexion.

Faisons généreusement, et sans compter, tout le bien qui tente nos cœurs; on ne peut être dupe d'aucune vertu.

C'est une preuve de petitesse d'esprit lorsqu'on distingue toujours ce qui est estimable de ce qui est aimable. Les grandes âmes aiment naturellement ce qui est digne de leur estime.

La magnanimité ne doit pas compte à la prudence de ses motifs.

On ne peut être juste si on n'est humain.

Ceux qui n'ont que de l'habileté ne tiennent en aucun lieu le premier rang.

C'est être médiocrement habile que de faire des dupes. Rien n'est si utile que la réputation, et rien ne donne la réputation si sûrement que le mérite.

L'utilité de la vertu est si manifeste que les méchants la pratiquent par intérêt.

On ne peut être dupe de la vertu; ceux qui l'aiment sincèrement y goûtent un secret plaisir, et souffrent à s'en détourner. Quoi qu'on fasse aussi pour la gloire, jamais ce travail n'est perdu s'il tend à nous en rendre dignes.

Nous querellons les malheureux pour nous dispenser de les plaindre.

La servitude avilit l'homme au point de s'en faire aimer.

Bossuet, Pascal et Fénelon.

Qui n'admire la majesté, la pompe, la magnificence, l'enthousiasme de Bossuet et la vaste étendue de ce génie impétueux, fécond, sublime? Qui conçoit, sans étonnement, la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mémoire surnaturelle, sa connaissance universelle et prématurée? Le premier élève l'esprit; l'autre le confond et le trouble. L'un éclate comme un tonnerre dans un tourbillon orageux, et par ses soudaines hardiesses échappe aux génies trop timides; l'autre presse, étonne, illumine, fait sentir despotiquement l'ascendant de la vérité; et, comme si c'était un être d'une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions, toutes les affections et toutes les pensées des hommes, et paraît toujours supérieure à leurs conceptions incertaines. Génie simple et puissant, il assemble des choses qu'on croyait être incompatibles, la véhémence, l'enthousiasme, la naïveté, avec les profondeurs les plus cachées de l'art; mais d'un

art qui, bien loin de gêner la nature, n'est lui-mème qu'une nature plus parfaite, et l'original des préceptes. Que dirai je encore? Bossuet fait voir plus de fécondité, et Pascal a plus d'invention; Bossuet est plus impétueux, et Pascal plus transcendant. L'un excite l'admiration par de plus fréquentes saillies; l'autre, toujours plein et solide, l'épuise par un caractère plus concis et plus contenu.

Mais toi qui les a surpassés en aménités et en grâces, ombre illustre, aimable génie; toi qui fis régner la vertu par l'onction et par la douceur, pourrais-je oublier la noblesse et le charme de ta parole lorsqu'il est question d'éloquence? Né pour cultiver la sagesse et l'humanité dans les rois, ta voix ingénue fit retentir au pied du trône les calamités du genre humain foulé par les tyrans, et défendit contre les artifices de la flatterie la cause abandonnée des peuples. Quelle bonté de cœur, quelle sincérité se remarque dans tes écrits! Quel éclat de paroles, d'images! Qui sema jamais tant de fleurs dans un style si naturel, si mélodieux et si tendre? Qui orna jamais la raison d'une si touchante parure? Ah! que de trésors d'abondance dans ta riche simplicité!

Si l'on pouvait mèler des talents si divers, peut-être qu'on voudrait penser comme Pascal, écrire comme Bossuet, parler comme Fénelon.

MONTESQUIEU.

(1689-1755.)

Charles de Secondat, baron de La Brède et de MONTESQUIEU, naquit au château de La Brède, près de Bordeaux. Conseiller, puis président à mortier au parlement de cette ville, il se dégoûta bientôt de la procédure, et se consacra tout entier à l'étude de la philosophie, des lettres et des sciences morales et politiques.

Nous avons du président de Montesquieu: 1° les Lettres persanes, satire vive, piquante, moqueuse de nos lois, de nos mœurs, de notre gouvernement, et même de la religion chrétienne, dont les prétendus voyageurs persans parlent en vrais mahométans; 2° les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, petit volume qui résume admirablement toute l'histoire politique de ce peuple célèbre; 3o l'Esprit des lois, son chef-d'œuvre et un des livres les plus profonds de tout le xvIIIe siècle. C'est un résumé des lois de tous les peuples, rapportées et expliquées comme des faits historiques; l'auteur en recherche les causes et les conséquences; il les critique ou les loue, comme on le ferait pour des événements accomplis. Ce livre a valu à Montesquieu la première place parmi les publicistes modernes. On pourrait reprocher à Montesquieu le morcellement de ses divisions et de ses subdivisions établies sans liaison et souvent sans motif, et quelques principes trop absolus auxquels il asservit les faits de là ce fatalisme raisonneur qui montre les événements comme la conséquence nécessaire du climat ou des lois qu'un peuple s'est données.

Le style de Montesquieu est concis et nerveux, rempli d'expressions vives et fortes; on lui reproche d'être quelquefois haché et trop dépourvu de douceur et d'harmonie.

La manie des visites.

On dit que l'homme est un animal sociable; sur ce pied-là, il me paraît que le Français est plus homme

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