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était bien mieux dû. Les planètes ne tournent plus autour de la terre, ne l'enferment plus au milieu du cercle qu'elles décrivent. Si elles nous éclairent, c'est en quelque sorte par hasard et parce qu'elles nous rencontrent en leur chemin. Tout tourne présentement autour du soleil; la terre y tourne elle-même; et pour la punir du long repos qu'elle s'était attribué, Copernic la charge le plus qu'il peut de tous les mouvements qu'elle donnait aux planètes et aux cieux. Enfin, de tout cet équipage céleste, dont cette petite terre se faisait accompagner et environner, il ne lui est demeuré que la lune, qui tourne encore autour d'elle.

«< Attendez un peu, dit la marquise, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a, fait expliquer les choses si pompeusement que je ne crois pas les avoir entendues. Le soleil est au centre de l'univers, et là il est immobile; après lui, qu'est-ce qui suit? >>

C'est Mercure, répondis-je; il tourne autour du soleil, en sorte que le soleil est à peu près le centre du cercle que Mercure décrit. Au-dessus de Mercure est Vénus, qui tourne de même autour du soleil. Ensuite vient la terre, qui, étant plus élevée que Mercure et Vénus, décrit autour du soleil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin suivent Mars, Jupiter, Saturne, selon l'ordre où je vous les nomme; et vous voyez bien que Sa turne doit décrire autour du soleil le plus grand cercle de tous; aussi emploie-t-il plus de temps qu'aucune autre planète à faire sa révolution.

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« Et la lune? vous l'oubliez,» interrompit-elle. Je la retrouverai bien, repris-je. La lune tourne autour

de la terre et ne l'abandonne point; mais comme la terre avance toujours dans le cercle qu'elle décrit autour du soleil, la lune la suit, en tournant toujours autour d'elle, et si elle tourne autour du soleil, ce n'est que pour ne point quitter la terre.

«On a de la peine, dit la marquise, à s'imaginer qu'on tourne autour du soleil; car enfin on ne change point de place, et on se trouve le matin où l'on s'était couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m'allez dire que, comme la terre tout entière marche... >>

Assurément, interrompis-je; c'est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière : vous vous retrouveriez, à votre réveil, dans la même place et dans la même situation à l'égard de toutes les parties du bateau.

« Oui; mais, répliqua-t-elle, voici une différence : je trouverais à mon réveil le rivage changé, et cela me ferait bien voir que mon bateau aurait changé de place. Mais il n'en va pas de même de la terre

toutes choses comme je les avais laissées. »

j'y retrouve

Non pas, Madame, répondis-je, non pas le rivage est changé aussi. Vous savez qu'au delà de tous les cercles des planètes sont les étoiles fixes; voilà notre rivage. Je suis sur la terre, et la terre décrit un grand cercle autour du soleil. Je regarde au centre de ce cercle, j'y vois le soleil. S'il n'effaçait point les étoiles, en poussant ma vue en ligne droite au delà du soleil, je le verrais nécessairement répondre à quelques étoiles fixes; mais je vois aisément pendant la nuit à quelles étoiles il

a répondu le jour, et c'est exactement la même chose. Si la terre ne changeait point de place sur le cercle où elle est, je verrais toujours le soleil répondre aux mêmes étoiles fixes; mais dès qu'elle change de place, il faut que je le voie répondre à d'autres. C'est là le rivage qui change tous les jours; et comme la terre fait son cercle en un an autour du soleil, je vois le soleil, en l'espace d'une année, répondre successivement à diverses étoiles fixes qui composent un cercle. Ce cercle s'appelle le zodiaque. (Pluralité des mondes.)

HAMILTON.

(1646-1720.)

Antoine, comte de HAMILTON, issu de l'illustre famille des Hamilton d'Écosse, naquit en Irlande. Élevé en France pendant la révolution d'Angleterre, il retourna à Londres sous le règne de Charles II. La révolution de 1688 le força de se réfugier de nouveau en France, et il y passa les trente dernières années de sa vie.

Hamilton, quoique étranger, s'est placé au rang de nos bons écrivains par ses Mémoires du chevalier de Grammont, son beau-frère. C'est une peinture légère, gracieuse, spirituelle et railleuse de la cour épicurienne et demi-française de Charles II. L'art de raconter les petites choses de manière à les faire valoir y est porté à sa perfection. Le badinage de Hamilton, moins élégant que celui de Voltaire, est peut-être plus exquis et plus agréable. Son style est facile, naturel, d'un tour heureux, quelquefois un peu négligé, délicat sans jamais être précieux. C'est le meilleur style de la conversation,

L'habit du chevalier de Grammont.

La reine d'Angleterre, femme de Charles II, avait imaginé une mascarade où ceux qu'elle nomma pour danser devaient représenter différentes nations. Elle donna du temps pour s'y préparer, et, durant ce temps, on peut croire que les tailleurs, les couturières et les brodeurs ne furent pas sans occupation. Le roi, qui ne cherchait qu'à faire plaisir au chevalier de Grammont, lui demanda s'il voulait être de cette fète : « Sire, lui répondit le chevalier, de toutes les bontés qu'il vous a plu de me témoigner depuis que je suis ici, cette dernière m'est la plus sensible. Et comment vous mettrez-vous pour le bal? lui demanda le prince. Je vous laisse le choix des nations. Si cela est, reprit le chevalier de Grammont, je m'habillerai à la française pour me déguiser; car l'on me fait déjà l'honneur de me prendre pour un Anglais dans votre ville de Londres. Quant à mon costume, je ferai partir demain pour Paris Termes, mon valet de chambre; et si je ne vous montre, à son retour, le plus bel habit que vous ayez encore vu, tenez-moi pour la nation la plus déshonorée de votre mascarade. »

Termes partit avec des instructions réitérées sur le sujet de son voyage; et son maître redoublant d'impatience dans une conjoncture comme celle-là, le courrier ne pouvait pas encore être débarqué qu'il commençait à compter les moments dans l'attente du retour.

Le jour du bal venu, la cour, plus brillante que jamais, étala toute sa magnificence dans cette mascarade.

Ceux qui la devaient composer étaient assemblés, à la réserve du chevalier de Grammont. On s'étonna qu'il arrivât des derniers dans cette occasion, lui dont l'empressement était si remarquable dans les plus frivoles; mais on s'étonna bien plus de le voir arriver enfin en habit de ville qui avait déjà paru. La chose était monstrueuse pour la conjoncture et nouvelle pour lui. Vainement portait-il le plus beau point, la perruque la plus vaste et la mieux poudrée qu'on pût voir son habit, d'ailleurs magnifique, ne convenait pas à la fète.

Le roi s'en aperçut d'abord. « Chevalier de Grammont, lui dit-il, Termes n'est donc pas arrivé? - Pardonnez-moi, sire, dit-il, Dieu merci. - Comment! Dieu merci, dit le roi; lui serait-il arrivé quelque chose par les chemins? Sire, dit le chevalier, voici l'histoire de mon habit et de M. Termes, mon courrier. » A ces mots le bal, tout prêt à commencer, fut suspendu. Tous ceux qui devaient danser faisaient un cercle autour de Grammont. Il poursuivit ainsi son récit :

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« Il y a deux jours que ce coquin devait être icí, vant mes ordres et ses serments. On peut juger de mon impatience tout aujourd'hui, voyant qu'il n'arrivait pas. Enfin, après l'avoir bien maudit, il n'y a qu'une heure qu'il est arrivé, crotté depuis la tête jusqu'aux pieds, botté jusqu'à la ceinture, fait enfin comme un excommunié. «Eh bien, monsieur le faquin, lui dis-je, voilà de vos façons de faire! vous vous faites attendre jusqu'à l'extrémité; encore est-ce un miracle que vous soyez arrivé. - Oui, Monsieur, dit-il, c'est un miracle. Vous êtes toujours à gronder. Je vous ai fait faire le

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