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adorable de Jésus-Christ pour l'âme de celui qui a sacrifié sa vie et son sang au bien public. Là on lui dresse une pompe funèbre, où l'on s'attendoit à lui dresser un triomphe. Chacun choisit l'endroit qui lui paroît le plus éclatant dans une si belle vie. Tous entreprennent son éloge; et chacun, s'interrompant luimême par ses soupirs et par ses larmes, admire le passé, regrette le présent, et tremble pour l'avenir. Ainsi tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un seul homme est une calamité publique. (Oraison funèbre de Turenne.)

MASSILLON.

(1663-1742.)

Jean-Baptiste MASSILLON, prédicateur célèbre, évêque de Clermont, naquit à Hyères, en Provence. Il était fils d'un notaire. Il entra, jeune encore, dans la congrégation de l'Oratoire. Appelé à Paris par l'éclat de ses talents, il prêcha devant la cour, et enleva tous les suffrages. Son fameux sermon sur le petit nombre des élus transporta son auditoire d'admiration. Celui qu'il prononça sur l'aumône, pendant le cruel hiver de 1709, produisit un mouvement semblable, et valut une abondante moisson pour les malheureux. Le Petit Carême, suite de sermons composés pour l'instruction de Louis XV enfant, est regardé comme un des plus parfaits ouvrages de la littérature française. Il a valu à son auteur le surnom de Racine de la chaire. Massillon, en effet, ressemble à Racine, comme Bourdaloue ressemble à Corneille. Moins nerveux, moins précis que Bourdaloue, moins sublime et moins rapide que Bossuet, il brille par l'imagination, la facilité abondante et le

pathétique. Une douceur persuasive, une diction fleurie et barmonieuse, beaucoup de grâce et d'onction forment les caractères de son éloquence.

Massillon a moins réussi dans l'oraison funèbre que dans le sermon. On connaît le commencement de celle de Louis XIV: Dieu seul est grand, mes frères ! Ce mot, prononcé en face du cercueil de Louis le Grand, est une inspiration sublime.

Plaisir de la bienfaisance.

Quel usage plus doux et plus flatteur pourriez-vous faire de votre élévation et de votre opulence? Vous attirer des hommages? mais l'orgueil lui-même s'en lasse. Commander aux hommes et leur donner des lois? mais ce sont là les soins de l'autorité; ce n'en est pas le plaisir. Voir autour de vous multiplier à l'infini vos serviteurs et vos esclaves? mais ce sont des témoins qui vous embarrassent et vous gènent plutôt qu'une pompe qui vous décore. Habiter des palais somptueux? mais vous édifiez, dit Job, des solitudes où les soucis et les noirs chagrins viennent bientôt habiter avec vous. Y rassembler tous les plaisirs? ils peuvent remplir ces vastes édifices, mais ils laissent toujours votre cœur vide. Trouver tous les jours dans votre opulence de nouvelles ressources à vos caprices? la variété des ressources tarit bientôt; tout est bientôt épuisé : il faut revenir sur ses pas et recommencer ce que l'ennui rend insipide et ce que l'oisiveté a rendu nécessaire. Employez tant qu'il vous plaira vos biens et votre autorité à tous les usages que l'orgueil et les plaisirs peuvent inventer, vous serez rassasiés, mais vous ne serez pas satisfaits; ils vous montreront la joie, mais ils ne la lais

seront pas dans votre cœur. Employez-les à faire des heureux, à rendre la vie plus douce et plus supportable à des infortunés que l'excès de la misère a peut-être réduits mille fois à souhaiter, comme Job, que le jour de leur naissance eût été lui-même la nuit éternelle de leur tombeau; vous sentirez alors le plaisir ďètre né grand; vous goûterez la véritable douceur de votre état : c'est le seul privilége qui le rende digne d'envie. Toute cette vaine montre qui vous environne est pour les autres ce plaisir-là est pour vous seul; tout le reste a ses amertumes: ce plaisir seul les adoucit toutes. La joie de faire du bien est tout autrement douce et touchante que la joie de le recevoir. Revenez-y encore, c'est un plaisir qui ne s'use point: plus on le goûte, plus on se rend digne de le goûter. On s'accoutume à sa prospérité propre, et on y devient insensible; mais on sent toujours la joie d'être l'auteur de la prospérité d'autrui; chaque bienfait porte avec lui ce plaisir doux et secret, et le long usage qui endureit le cœur à tous les plaisirs le rend ici tous les jours plus sensible.

(Petit Carême.)

Petit nombre des élus.

Je suppose que c'est ici votre dernière heure et la fin de l'univers, que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, Jésus-Christ paroître dans sa gloire au milieu de ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'entendre, et comme des criminels tremblants à qui on va prononcer ou une sentence de grâce, ou un arrêt de mort éternelle; car vous avez beau vous flatter, vous

mourrez tels que vous êtes aujourd'hui; tous ces désirs de changement qui vous amusent vous amuseront jusqu'au lit de la mort c'est l'expérience de tous les siècles. Tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre; et sur ce que vous seriez si l'on venoit vous juger dans le moment, vous pouvez presque décider de ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez; je vous demande donc, si Jésus-Christ paroissoit dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour nous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? Croyez-vous que les choses, du moins, fussent égales? Croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières? Je vous le demande : vous l'ignorez, et je l'ignore moi-même; vous seul, ô mon Dieu! connoissez ceux qui vous appartiennent.

Mais si nous ne connoissons pas ceux qui lui appartiennent, nous savons du moins que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici rassemblés? Les titres, les dignités ne doivent être comptés pour rien; vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ. Qui sont-ils? beaucoup de pécheurs qui ne veulent

pas se convertir; encore plus qui le voudroient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin, un grand nombre qui croient n'avoir pas besoin de conversion. Voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée, comme ils en seront retranchés au dernier jour.... Paroissez maintenant, justes; où êtes-vous? Restes d'Israël, passez à droite, démêlez-vous de cette paille destinée au feu.... O Dieu, où sont vos élus, et que reste-t-il pour votre partagé?

(Sermon sur le petit nombre des élus.)

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