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petits zéphyrs qui s'efforçoient de la pousser par leur haleine. On voyoit au milieu des airs Eole empressé, inquiet et ardent. Son visage ridé et chagrin, sa voix menaçante, ses sourcils épais et pendants, ses yeux pleins d'un feu sombre et austère tenoient en silence les fiers aquilons et repoussoient tous les nuages. Les immenses baleines et tous les monstres marins, faisant avec leurs narines un flux et reflux de l'onde amère, sortoient à la hâte de leurs grottes profondes pour voir la déesse. (Télémaque, liv. Iv.)

BOURDALOUE.

(1632-1704.)

Louis BOURDALOUE, né à Bourges, entra fort jeune dans la société de Jésus. Ses heureuses dispositions pour l'éloquence le firent appeler à Paris, et il y devint bientôt célèbre. Il eut l'honneur de prêcher dix fois l'Avent et le Carême devant Louis XIV et sa cour. On l'appelait le roi des prédicateurs, et le prédicateur des rois. Son premier sermon sur la Passion est considéré comme son chef-d'œuvre.

On a souvent comparé Bourdaloue à Massillon. Ces deux orateurs sont très-éloquents, mais ils le sont d'une manière différente. « Chez Bourdalouc, dit M. Villemain, la pensée est forte et grave; le style, sans l'orner beaucoup, la sontient par une expresssion énergique et simple. Il y a peu d'images; mais souvent cette brièveté pleine de vigueur est le premier mérite de l'écrivain après le talent de peindre.>

L'oubli des pauvres.

Combien de pauvres sont oubliés! combien demeurent

sans secours et sans assistance! Oubli d'autant plus déplorable que, de la part des riches, il est volontaire et par conséquent criminel. Je m'explique combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté, et que l'on ne soulage pas, parce qu'on ne les connoît pas, et qu'on ne veut pas les connoître! Si l'on savoit l'extrémité de leurs besoins, on auroit pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l'humanité. A la vue de leur misère, on rougiroit de ses excès, on auroit honte de ses délicatesses, on se reprocheroit ses folles dépenses, et l'on s'en feroit avec raison des crimes. Mais parce qu'on ignore ce qu'ils souffrent, parce qu'on ne veut pas s'en instruire, parce qu'on craint d'en entendre parler, parce qu'on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant, et, quelque extrèmes que soient leurs maux, on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres que l'on rebute comme s'ils ne l'étoient pas, sans qu'on se donne et qu'on veuille se donner la peine de discerner s'ils le sont en effet! Combien de pauvres dont les gémissements sont trop foibles pour venir jusqu'à nous, et dont on ne veut pas s'approcher pour se mettre en devoir de les écouter! Combien de pauvres abandonnés! Combien de désolés dans les prisons! Combien de languissants dans les hôpitaux! Combien de honteux dans les familles particulières! Parmi ceux qu'on connoît pour pauvres, et dont on ne peut ignorer ni même oublier le douloureux état, combien sont négligés, combien sont durement traités! combien manquent de tout pendant que le riche est dans l'abondance, dans le luxe, dans les délices! S'il n'y

avoit point de jugement dernier, voilà ce que l'on pour roit appeler le scandale de la Providence, la patience des pauvres outragés par la dureté et l'insensibilité des riches.

FLÉCHIER.

(1632-1710.)

Esprit FLÉCHIER, évêque de Nîmes, naquit de parents pauvres à Pernes, petite ville du diocèse de Carpentras. Après avoir professé la rhétorique à Narbonne, enseigné le catéchisme à des enfants de Paris, il se fit connaître par quelques poésies latines, et il fut nommé lecteur da Dauphin. Bientôt ses oraisons funèbres mirent le sceau à sa réputation : celle de Turenne, son chef-d'œuvre, lui valut la première place après Bossuet. Fléchier n'a pas l'éloquence mâle, rapide, sublime de l'aigle de Meaux, il manque d'impétuosité, de force et de chaleur. « Ce qui le distingue, dit Rollin, c'est une pureté de langage, une élégance de style, une richesse d'expression brillante et fleurie, une vivacité d'ima gination et un art merveilleux de peindre les objets. Peu d'écrivains possèdent au même degré cette harmonie mécanique qui charme l'oreille par le choix et l'arrangement des mots, par la coupe et l'enchainememt des périodes.

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Fléchier s'est aussi exercé dans l'histoire. Sa Fie de Théodose le Grand est écrite avec une élégance qui s'éloigne peut-être trop de cette simplicité historique tant recommandée par les bons critiques.

EXORDE

DE L'ORAISON FUNÈBRE DE TURENNE.

Je ne puis, messieurs, vous donner d'abord une plus haute idée du triste sujet dont je viens vous entretenir

qu'en recueillant ces termes nobles et expressifs dont l'Écriture sainte se sert pour louer la vie et pour déplorer la mort du sage et vaillant Machabée. Cet homme qui portoit la gloire de sa nation jusqu'aux extrémités de la terre, qui couvroit son camp du bouclier, et forçoit celui des ennemis avec l'épée, qui donnoit à des rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, et réjouissoit Jacob par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle; cet homme qui défendoit les villes de Juda, qui domptoit l'orgueil des enfants d'Ammon et d'Esau, qui revenoit chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères; cet homme que Dieu avoit mis autour d'Israël comme un mur d'airain où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l'Asie, et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venoit tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne vouloit d'autre récompense des services qu'il rendoit à sa patrie que l'honneur de l'avoir servie; ce vaillant homme, poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu'il avoit réduits à une fuite honteuse, reçut le coup mortel, et demeura comme enseveli dans son triomphe. Au premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée furent émues; des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous leurs habitants. Ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles. Un effort de douleur rompant enfin ce morne et long silence, d'une voix entrecoupée de sanglots, que formoient dans leur cœur la

tristesse, la piété, la crainte, ils s'écrièrent Comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple d'Israël? A ces cris, Jérusalem redoubla ses pleurs; les voûtes du temple s'ébranlèrent; le Jourdain se troubla, et tous ses rivages retentirent du son de ces lugubres paroles Comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple d'Israël?

(Oraison funèbre de Turenne.)

Mort de Turenne.

Turenne mort, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance; tout le camp demeure immobile. Les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres; et la renommée, qui se plaît à répandre dans l'univers les accidents extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince et du triste regret de sa mort. Que de soupirs alors, que de plaintes, que de louanges retentissent dans les villes, dans la campagne! L'un, voyant croître ses moissons, bénit la mémoire de celui à qui il doit l'espérance de sa récolte. L'autre, qui jouit encore en repos de l'héritage qu'il a reçu de ses pères, souhaite une éternelle paix à celui qui l'a sauvé des désordres et des cruautés de la guerre. Ici l'on offre le sacrifice

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