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Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières; et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avoit égalé le courage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien; ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus, et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple!

Pour moi, s'il m'est permis, après tous les autres, de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire; votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettoit la victoire; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface; vous aurez dans cette image des traits immortels je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparoître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroi; et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en action de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple: «La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi. »

Jouissez, prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la

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mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte beureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint '.

(Oraison funèbre du prince de Condé.)

ALEXANDRE.

Ce prince fit son entrée dans Babylone avec un éclat qui surpassoit tout ce que l'univers avoit jamais vu ; et, après avoir vengé la Grèce, après avoir subjugué avec une promptitude incroyable toutes les terres de la domination persienne pour assurer de tous côtés son nouvel empire, ou plutôt pour contenter son ambition et rendre son nom plus fameux que celui de Bacchus, il entra dans les Indes, où il poussa ses conquêtes plus loin que ce célèbre vainqueur. Mais celui que les déserts, les fleuves et les montagnes n'étoient pas capables d'arrêter fut contraint de céder à ses soldats rebutés qui lui demandoient du repos. Réduit à se contenter des superbes monuments qu'il laissa sur les bords de l'Araspe, il ramena son armée par une autre route que celle qu'il avoit tenue, et dompta tout le pays qu'il trouva sur son passage. Il revint à Babylone craint et respecté, non pas comme un conquérant, mais comme un dieu.

Voy, les derniers travaux de Bossuet, par d'Alembert.

Mais cet empire formidable qu'il avoit conquis ne dura pas plus longtemps que sa vie, qui fut fort courte. A l'âge de trente-trois ans, au milieu des plus vastes desseins qu'un homme eût jamais conçus et avec les plus justes espérances d'un heureux succès, il mourut sans avoir eu le loisir d'établir solidement ses affaires, laissant un frère imbécile et des enfants en bas âge, incapables de soutenir un si grand poids. Mais ce qu'il y avoit de plus funeste pour sa maison et pour son empire est qu'il laissoit des capitaines à qui il avoit appris à ne respirer que l'ambition et la guerre. Il prévit à quels excès ils se porteroient quand il ne seroit plus au monde : pour les retenir, et de peur d'en être dédit, il n'osa nommer ni son successeur ni le tuteur de ses enfans; il prédit seulement que ses amis célébreroient ses funérailles avec des batailles sanglantes, et il expira dans la fleur de son âge, plein des tristes images de la confusion qui devoit suivre sa mort.

En effet, vous avez vu le partage de son empire et la ruine affreuse de sa maison: son ancien royaume, la Macédoine, tenu par ses ancêtres depuis tant de siècles, fut envahi de tous les côtés comme une succession vacante, et, après avoir été longtemps la proie du plus fort, il passa enfin à une autre famille. Ainsi ce grand conquérant, le plus renommé et le plus illustre qui fut jamais, a été le dernier roi de sa race. S'il fût demeuré paisible dans la Macédoine, la grandeur de son empire n'auroit pas tenté ses capitaines, et il eût pu laisser à ses enfants le royaume de ses pères; mais parce qu'il avoit été trop puissant, il fut cause de la perte de tous les

siens; et voilà le fruit glorieux de tant de conquêtes.

(Discours sur l'Histoire universelle.)

Charles-Gustave, roi de Suède.

Charles-Gustave parut à la Pologne surprise et tombée comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle? Où sont ces armes guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur. Tout nage dans le sang, et on ne tombe que sur des corps morts.

(Oraison funèbre de la princesse palatine.)

Saint Paul, orateur.

Saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paroît inégal et sans suite à ceux qui ne l'ont pas assez pénétré; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de son style irrégulier. Mais, mes frères, n'en rougissons pas. Le discours de l'Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S'il ignore la rhétorique, s'il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout; et son nom, qu'il a toujours à la bouche, ses mystères, qu'il

traite si divinement, rendront sa simplicité toute-puissante. Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette élocution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine. Il prèchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'Aréopage en l'école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes : il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans les tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix; et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul, adressée à ses concitoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron.

Et d'où vient cela, chrétiens? C'est que Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n'enseigne pas et que Rome n'a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît de relever ce que les superbes méprisent, s'est répandue et mêlée dans l'auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons, dans ses admirables épîtres, une certaine vertu plus qu'humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendements; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. De même qu'on voit un grand fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine, cette force violente et impétueuse qu'il avoit acquise aux montagnes d'où il tire

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