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comme aujourd'hui; ainsi nous avançons sans le sentir, et c'est un miracle de cette Providence que j'adore.

(Fragment d'une lettre.)

BOSSUET.

(1627-1704.)

Jacques Bénigne BOSSUET, le Démosthène de la tribune évangelique et le dernier des Pères de l'Église, était fils d'un magistrat de Dijon Destiné dès son enfance à l'état ecclésiastique, il se distingua de bonne heure par sa piété, son génie et son amour infatigable pour le travail, Il fut successivement nommé évêque de Condom, précepteur du Dauphin, membre de l'Académie française, évêque de Meaux et conseiller d'État.

Peu d'homines ont mené une vie plus active et plus laboriense, et exercé sur leurs contemporaius une influence plus puissante que l'immortel évêque de Meaux. On le voit lutter à la fois contre les protestants, les jansenistes, les quiétistes et les ultramontains; marquer les limites de la puissance spirituelle des papes et du pouvoir temporel des rois; élever l'héritier du trône de Louis XIV; tonuer dans la chaire contre les vices de la ville et de la cour; diriger les assemblées du clergé; ramener à la pénitence madame de La Vallière, et Turenne au joug de la foi; préparer à la mort Henriette d'Angleterre, le grand Condé et les personnages les plus illustres du temps; répondre à tous les théologiens, à tous les hommes d'État qui le consultent comme un oracle, et composer ces ouvrages sublimes d'éloquence, d'histoire et de controverse qui lui assurent le premier rang parmi les écrivains de la France.

Parmi les ouvrages de Bossuet, on distingue ses Oraisons funèbres, où il déploie toute la force de son génic et toute la pompe de son style, et son Discours sur l'histoire universelle, où, appliquant l'art oratoire l'histoire même, il retrace avec une incomparable éloquence toute la suite des siècles, depuis la création du monde jusqu'au règne de Char

lemagne. Nous lui devons aussi une Exposition de la doctrine catholi que, l'Histoire des variations des églises protestantes, des Elévations sur les Mystères, des Méditations sur l'Evangile, des traités sur la connaissance de Dieu et de soi-même, sur la Politique tirée de l'Écriture sainte, des Sermons, etc. C'est à tort que certaines personnes préfèrent aux sermons de Bossuet ceux de Bourdaloue, son successeur. Si les plans de Bourdaloue sont plus réguliers, si l'ordre de ses discours est plus méthodique, il n'a ni l'inspiration, ni l'élan, ni les fortes peintures de la vie, ni les images grandes ou familières de l'Aigle de Meaux.

EXORDE

DE L'ORAISON FUNÈBRE DE LA REINE D'ANGLETERRE.

Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse; soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même, et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui; car, en leur donnant la puissance, il leur commande d'en user comme il fait lui-même pour le bien du monde; et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprème. C'est ainsi qu'il instruit les princes non-seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples: Et nunc, reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram.

Chrétiens que la mémoire d'une grande reine, fille, femme, mère de rois si puissants, et souveraine de trois royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paroître un de ces exemples redoutables qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines, la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées sur une tète qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune; la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et, depuis, de retours soudains, de changements inouïs; la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberte; une reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer entrepris par une princesse malgré les tempêtes; l'Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli : voilà les enseignements que Dieu donne aux rois. Ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs.

Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé, les choses parleront assez d'elles-mèmes. Le cœur d'une grande

reine, autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé tout à coup dans un abìme d'amertumes, parlera assez haut; et, s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des événements si étranges, un roi me prête ses paroles pour leur dire : Entendez, ó grands de la terre; instruisez-vous, arbitres du monde! (Oraison funèbre de la reine d'Angleterre.)

Mort d'Henriette d'Angleterre.

Considérez ces grandes puissances que nous regardons de si bas : pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe, pour nous avertir. Leur élévation en est la cause, et il les épargne si peu qu'il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si Madame a été choisie pour nous donner une telle instruction: il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit. Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s'il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. O nuit désastreuse! ô nuit effroyable ! où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle Madame se meurt! Madame est morte! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avoit désolé sa famille! Au premier bruit d'un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts: on trouve tout consterné,

excepté le cœur de cette princesse; partout on entend des cris, partout on voit la douleur et le désespoir, et l'image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré; et il me semble que je vois l'accomplissement de cette parole du prophète : « Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d'étonnement. >>

Mais et les princes et les peuples gémissoient en vain; en vain Monsieur, en vain le roi mème tenoit Madame serrée par de si étroits embrassements. Alors ils pouvoient dire l'un et l'autre, avec saint Ambroise : « Je serrois les bras, mais j'avois déjà perdu ce que je tenois. » La princesse échappoit parmi des embrassements si tendres, et la mort, plus puissante, nous l'enlevoit entre ces royales mains.

Quoi donc ! elle devoit périr sitôt! Dans la plupart des hommes, les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup; Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs; le matin elle fleurissoit, avec quelles gràces! vous le savez; le soir nous la vimes séchée; et ces fortes expressions par lesquelles l'Écriture sainte exagère l'inconstancé des choses humaines devoient ètre pour cette princesse si- précises et si littérales!

La voilà, malgré son grand cœur, cette princesse si admirable et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite; encore ce reste tel quel va-t-il disparoître ; cette ombre de gloire va s'évanouir, et nous l'allons voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va des

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