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line de boune heure, elle fut élevée avec soin par l'abbé de Coulanges, son oncle maternel, bomme d'un rare bon sens, qu'elle a immortalisé sous le nom de bien bon. A díx-huit ans, elle épousa le marquis de Sévigné, qui fut tué en duel. Madame DE SÉVIGNÉ se dévoua tout entière à l'éducation de ses deux enfants. En 1669, mademoiselle de Sévigné, ayant épousé le comte de Grignan, gouverneur de la Provence, fut obligée de se séparer de sa mère. Cette séparation, qui fut un coup terrible pour madame de Sévigné, nous a valu la correspondance de cette femine célèbre, un des chefs-d'œuvre les plus originaux de notre littérature. C'est une peinture fidèle de la cour, de la capitale et des provinces; un journal de tous les événements importants et de tous les petits faits du jour, racontés par une femme instruite, spirituelle et sensée, qui a vécu avec les hommes les plus éminents de l'époque. Madame de Sévigné, tout en laissant trotter sa plume, la bride sur le cou, sait admirablement prendre tous les tons. Tendre et passionnée comme Racine lorsqu'elle peint l'état où la jette le départ de sa fille, il lui arrive d'atteindre au comique malin de Molière, et de rencontrer plus d'un trait digne de Bossuet lorsqu'elle parle de la perte du temps, de la vieillesse, de la Providence, de la mort. Plusieurs de ses narrations peuvent se comparer à ce que les historiens de l'antiquité ont écrit de plus parfait. La Mort de Turenne, qui est un chef-d'œuvre en ce genre, nous rappelle les belles pages de Tacite sur les derniers moments et les funérailles de Germanicus.

A SA FILLE.

APRÈS UNE SÉPARATION.

5 octobre 1673.

Voici un terrible jour, ma chère enfant; je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites et à tous ceux que je fais; et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte nous puissions jamais nous rencontrer! Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire.

Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons. Je les ai senties et les sentirai longtemps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous; je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours; de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux, qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois, ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que je sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser.

Je ne puis pas espérer plus de l'avenir que du passé; je sais ce que votre absence m'a fait souffrir; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai pas assez embrassée en partant. Qu'avois-je à ménager! je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse, je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan, je ne l'ai point assez remercié de toutes ses politesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi : j'en attendra¡ les effets sur tous les chapitres.

Je suis déjà dévorée de curiosité; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme

je vous aime. Jamais un départ n'a été si triste que le nôtre; nous ne disions pas un mot. Adieu, ma chère enfant; plaignez-moi de vous avoir quittée. Hélas! nous voilà dans les lettres!

A M. DE COULANGES.

SUR LE MARIAGE DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER,

15 décembre 1670.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus digne d'envie; enfin, une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste; une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourroit-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens?

Hé bien il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui? je vous le

donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit Voilà qui est bien difficile à deviner! c'est madame de La Vallière? -Point du tout, madame. — C'est donc mademoiselle de Retz? Point du tout vous êtes bien provinciale! Ah! vraiment, nous sommes bien bètes! dites-vous : c'est mademoiselle Colbert. Encore moins. - C'est as

surément mademoiselle de Créqui.

Vous n'y êtes pas.

ma

Il faut donc à la fin vous la dire. Il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle de... demoiselle... devinez le nom; il épouse Mademoiselle, fille de feu Monsieur; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV; mademoiselle d'Eu, de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.

Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. Adieu. Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou

non.

A M. DE POMPONNE.

MALICE DE LOUIS XIV A UN VIEUX COURTISAN.

1666.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très-vraie et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers: MM. de Saint-Aignan et de Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Grammont : « Monsieur le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes les choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. » Le roi se mit à rire, et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est un fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh! bien, dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. Ah! Sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le rende, je l'ai lu brusquement. Non, Monsieur le maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le roi a fort ri de cette folie; et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi qui aime toujours à faire des réflexions, je

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