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On se rappelle avec quel enthousiasme nous avons applaudi à l'Hymne au siècle, dans le banquet fraternel qui, au mois de mai 1847, réunissait le trois classes de l'Académie de Belgique, et avec quels transports le public à son tour accueillit cette mème pièce dans la séance publique du lendemain. Le poëte, en effet, s'y révélait dans toute la maturité de son talent; dès son début, on lui voit prendre ses inspirations dans une sphère élevée et proclamer avec magnificence l'œuvre éternelle du Tout-Puissant. Il répudie ces cris de désespoir qui se mêlaient à ses premiers chants, et ne pense plus qu'en franchissant le seuil de la vie, on dépasse en même temps les portes que le Dante fixe à son enfer

Gloire au Dieu juste et fort qui nous donne la vie!
Trêve à ces chants de deuil, à ces cris d'agonie

Dont trop souvent ma muse attrista son berceau!

L'homme est toujours puissant, la femme est toujours belle,
L'enfant sourit encore au vieillard qui l'appelle,

Le raisin à la coupe et la fleur à l'oiseau.

Frères, le beau soleil, astre que tout adore,
Brille aussi radieux qu'à sa première aurore;
Rien à l'œil du savant n'annonce son déclin.
La féconde nature, auguste et tendre mère,
De son lait généreux nourrit toujours la terre,
Nul flot de volupté n'a tari dans son sein.

Ah! sans doute, l'auteur de l'Hymne au siècle et du Remorqueur était l'homme le plus capable de faire fleurir la grande poésie sous le climat de la Belgique.

Weustenraad était l'ami sincère de son pays; la plupart de ses poésies lyriques en font foi. La Prière pour la patrie, l'ode A la statue de la patrie surtout, renferment de généreux sentiments exprimés avec élégance. Il concevait trèsbien l'alliance de la royauté avec une liberté sage; il était avant tout ami de l'ordre, et craignait pour sa patrie les fléaux qui attristaient nos voisins:

Des querelles sans but, dignes du Bas-Empire,

L'oubli de tout respect pour les droits les plus saints,

Le désordre des mœurs poussé jusqu'au délire,

La révolte toujours suspendue aux tocsins.

L'amour de nos vieilles institutions et de nos libertés communales, uni au désir d'en rendre la connaissance populaire, le porta aussi à travailler pour le théâtre. Il donna, en 1830, son drame historique, Laruelle. Cet ouvrage eut plusieurs représentations et fut chaudement applaudi; mais ce succès, il faut en convenir, s'adressait plus aux sentiments patriotiques de l'auteur qu'au mérite de sa pièce. Trop de longueurs et d'invraisemblances devaient nécessairement nuire à ce drame, qui semble plutôt destiné à la lecture qu'à la représentation. L'ouvrage est dédié à M. Polain, son collègue à l'Académie, en témoignage d'amitié et de reconnaissance pour ses utiles conseils. M. Polain n'était pas le seul de nos confrères avec qui Weustenraad se fut lié d'amitié pendant son séjour à Liège; MM. Borgnet, Lesbroussart et Grandgagnage vivaient également dans son intimité. Ils avaient été les confidents de ses travaux et de ses projets d'avenir; ils avaient pu lire dans cette belle

àme.

Weustenraad avait été nommé correspondant de la classe des lettres de l'Académie, le 11 janvier 1847; au mois d'août de la même année, il fut appelé à Bruxelles en qualité d'auditeur militaire du Brabant. Son séjour parmi nous contribua à répandre de la variété dans les travaux académiques: il communiqua successivement les prémices des charmantes compositions qu'on trouve à la fin de ses Poésies lyriques et qui ont si dignement couronné sa carrière.

Il parait qu'il avait écrit un poëme flamand en plusieurs chants. Dans ce poëme héroï-comique, qu'il ne comptait pas publier, il donnait un libre essor à sa gaieté et passait,

selon l'expression du poëte, du grave au doux, du plaisant au sévère.

En quittant Maestricht et en abandonnant la rédaction de l'Éclaireur du Limbourg, Weustenraad n'avait point renoncé à la presse périodique; il s'en occupa, au contraire, pendant toute sa vie: c'était pour lui une espèce de besoin de déverser dans un journal l'excès d'activité de son intelligence. Il prit successivement part à la rédaction du Courrier belge, du Politique, de La Tribune, de L'Indépendance, etc. Il était l'un des soutiens les plus actifs et les plus éclairés de la Revue belge, recueil périodique fondé en 1835, par l'association pour l'encouragement et le développement de la littérature en Belgique. Il se distinguait surtout par son impartialité et sa bienveillance, c'est un hommage que s'est plu à lui rendre un de ses plus dignes émules. Voici, en effet, comment s'exprime M. Éd. Wacken, dans l'article nécrologique consacré à Weustenraad dans la Revue de Belgique ('): « Il s'empressait d'accueillir et d'encourager les jeunes gens chez lesquels il avait cru deviner quelque espérance d'avenir il ne négligeait rien pour leur ouvrir la route du succès, lui qui souvent négligeait le soin de sa propre renommée. Nous acquittons nous-même une dette de reconnaissance en rendant ce témoignage à la mémoire de celui dont les conseils et l'amitié ne nous abandonnèrent jamais. >>

En 1835, la Croix de Fer avait été la récompense du citoyen; la croix de chevalier de l'ordre de Léopold, au commencement de 1848, devint celle du poëte. Le rapport quil le présentait au choix du souverain établissait les titres incontestables que notre confrère avait à cette distinction.

() Numéro de juillet 1849. On trouve dans ce même numéro une pièce de vers également consacrée à la mémoire de Weustenraad, par M. Adolphe Mathieu.

L'amitié n'était entrée pour rien dans ce choix; si Weustenraad lui-même avait pu s'y méprendre, un incident survenu vers la mème époque eût pu le détromper. La retraite de M. Lesbroussart (') avait laissé vacante la chaire de littérature française à l'Université de Liége. Weustenraad, qui tournait toujours les yeux vers sa ville de prédilection et qui ne désirait rien tant que de pouvoir se consacrer exclusivement aux lettres, demanda la place au ministre de l'intérieur; cette place fut donnée à un autre. Loin d'en prendre de l'humeur, notre poëte fut le premier à reconnaître, avec la plus complète modestie, tout ce qui pouvait lui manquer pour remplir convenablement le poste qu'il ambitionnait. Avant mème de connaitre la décision du gouvernement, il rendait pleine justice au mérite de son compétiteur et parlait de l'issue probable de cette affaire comme s'il n'y eut point été intéressé.

Cependant sa position ne tarda pas à s'améliorer: vers la fin de 1848, il fut investi des fonctions de greffier du tribunal civil de Bruxelles; il trouva dans cette place, avec une certaine aisance, les loisirs nécessaires pour se livrer à ses travaux favoris. Ce n'était pas justement l'otium cum dignitate, mais un état qui en approchait beaucoup.

Aux dernières vacances de Pàques, Weustenraad avait été appelé à faire partie du jury d'examen pour les lettres; ce genre d'occupation, auquel il n'était point habitué, l'avait fatigué, il avait d'ailleurs également souffert d'une violente. atteinte de la grippe; il sentait le besoin de se distraire et de rétablir sa santé. Ce fut à regret qu'il renonça à se faire entendre dans la séance publique de l'Académie du mois de mai 1849, pour laquelle il préparait une composition lyrique

() Voyez plus haut, pages 567 à 400, ce qui concerne l'élégant auteur des poemes Les Belges et L'Art de conter, qui figurent en première ligne dans notre littérature nationale.

nouvelle qui n'eut certes pas été le joyau le moins admiré du précieux héritage qu'il nous a légué ('). Mais le chant qu'il méditait, ce dernier chant du cygne, ne devait pas s'achever

sur cette terre.

Après s'être arrêté quelque temps dans la province de Liége, il était arrivé à Namur dans l'après-midi du 23 juin; il avait quitté Fauquemont la veille et avait passé la nuit à Liége; il comptait rester une partie de la journée du dimanche en famille, avec ses amis, et partir ensuite pour Bruxelles. Il était heureux et content; et, avec cette gaieté franche et naïve qui le caractérisait, il se livrait aux plus riants projets d'avenir pour sa famille et pour lui. Rien n'annonçait encore le coup fatal qui bientôt devait anéantir cette belle intelligence.

Ce ne fut que dans la matinée du dimanche, vers neuf heures, que Weustenraad sentit les premières atteintes du mal; vers deux heures de l'après-midi, il désira voir un médecin, qui, en arrivant, reconnut tout d'abord les terribles symptômes du choléra. Le mal faisait des progrès effrayants; la plus profonde consternation avait succédé aux élans de bonheur qui, le matin encore, régnaient dans la famille. Weustenraad, exténué par d'atroces souffrances, se trouvait dans le délire; son épouse était anéantie (2);

(') Voici l'extrait d'un billet que je reçus de lui avant notre séance :

« Mon ami, les travaux du jury ont si complétement absorbé mon temps, depuis plus de trois semaines, qu'il m'a été impossible d'achever la pièce que je destinais à notre séance publique. Ajoutez à cela que j'ai eu une violente attaque de grippe, et que je me trouve, aujourd'hui encore, dans la nécessité de m'abstenir de toute occupation sérieuse. Je regrette vivement ce contre-temps. Je m'étais fait une véritable fête de déférer à vos désirs et à ceux de mes collègues, qui se montrent si bienveillants envers moi. >>

(*) La plupart des détails qui précèdent sont extraits de deux lettres écrites immédiatement après la mort de Weustenraad, par l'une des personnes qui l'ont soigné. Nous en devons la communication à l'amitié de M. Ad. Borgnet.

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