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doute été le dernier à s'en apercevoir. Cet oubli fut réparé et Raoul fut nommé dans la séance du 11 janvier 1847. La mort ne lui laissa pas le temps de nous rendre les services que nous étions en droit d'attendre de son profond savoir et de sa longue expérience. Nous avons cependant reçu de lui un rapport remarquable sur l'utilité de faire participer les jeunes Belges à l'école fondée à Athènes, par le gouvernement français, pour l'étude du grec et des antiquités. Ses formes douces et polies, son commerce toujours sûr et bienveillant, l'autorité de son âge et de son talent lui avaient mérité l'estime de tous ses confrères.

Aucune distinction n'était venue décorer la poitrine de ce vétéran de l'enseignement. Cet autre oubli fut également réparé, et la croix de chevalier de l'ordre de Léopold, déposée sur son lit de mort, parut ranimer un instant ses yeux près de s'éteindre. Il n'éprouvait, disait-il, que le regret de n'avoir plus la force nécessaire pour remercier le ministre par qui il avait obtenu cette distinction, non qu'il fût pris d'un sentiment déplacé de vanité, au moment même où il voyait la tombe s'ouvrir devant lui, la vanité n'eut jamais accès dans son âme, mais parce qu'il était naturellement bon et reconnaissant à l'excès de tout ce qu'on faisait en sa faveur.

La maladie qui le conduisit au tombeau fut longue et douloureuse; il vit approcher sa fin avec résignation. Il exprima lui-même le désir de recevoir les secours de la religion, et expira à l'âge de soixante-dix-huit ans, dans la matinée du samedi 25 mars 1848. Son convoi fut suivi par une affluence nombreuse, et des regrets vivement sentis furent exprimés sur sa tombe.

JEAN-THEODORE-HUBERT WEUSTENRAAD (1).

Qu'a de commun la poésie avec ce siècle sceptique et tourné vers les choses matérielles? Quelle oreille s'ouvre encore à ses enfants, au milieu des clameurs sauvages qui menacent nos institutions séculaires? La lyre ancienne créait les villes et fondait les empires, dont le génie de la destruction s'attache aujourd'hui à saper les fondements. S'il surgit de loin en loin un poëte animé du feu sacré, il ne tarde pas à être entraîné par le torrent. Mais, pour qui lui résiste et l'observe, ce torrent mème a son côté sublime : les plus violentes tempêtes que la main de Dieu déchaîne sur la terre ont aussi leur caractère de grandeur. C'est le spectacle imposant de la vaste transformation sociale à laquelle nous assistons qui a donné ses plus belles inspirations au poëte dont j'aurai à retracer la carrière si courte, hélas! et qui promettait de devenir si brillante (2).

(') Il était né à Maestricht, le 15 novembre 1805, et il mourut à Jambes, province de Namur, le 25 juin 1849.

(2) La carrière poétique est assez importante, chez nous, pour exiger l'attention d'un écrivain habile qui consente à lui donner tous ses soins en résumant les travaux qu'elle a produits. Déjà M. Van Bemmel, dans sa Revue trimestrielle,

Son origine était modeste, mais moins humble que ne pourraient le faire croire quelques passages de ses poésies. Weustenraad était né à Maestricht: son père, qui exerçait la profession d'avoué, le fit entrer de bonne heure à l'athénée de sa ville natale. Le jeune Weustenraad fit de brillantes études dans cet établissement, qui jouissait d'une réputation justement méritée, et il y développa les premiers germes de son talent poétique.

En 1823, il alla suivre les cours de la faculté de droit de l'Université de Liége, et s'attacha particulièrement au célèbre professeur Kinker. Il puisa dans les préceptes de ce savant un goût prononcé pour les littératures du Nord, et il produisit mème quelques compositions en hollandais. Les ouvrages qu'il a publiés depuis portent presque tous un cachet emprunté à ses premières études.

Après avoir obtenu le grade de docteur, il retourna à Maestricht. Le désir de donner de l'activité à sa pensée et de se poser en défenseur de la cause libérale, le porta à s'enrôler dans la presse militante, et il contribua, vers la fin de 1827, à fonder L'Eclaireur du Limbourg, journal modéré, mais faisant partie de l'opposition.

Une rixe qui eut lieu, au mois d'août de l'année suivante, entre des bourgeois et des soldats de la garnison de Maestricht, rixe dans laquelle ces derniers firent usage de leurs armes, excita l'indignation de Weustenraad. Sous l'inspiration des sentiments qui le dominaient, le jeune publiciste

continuée avec succès depuis plus de treize ans, nous a fait comprendre ce qu'on peut attendre de lui : M. Van Hollebeke nous a également présenté des garanties dans l'écrit qu'il a publié sur Les Poëtes belges, de même que M. Van Hasselt, dans sa Biographie nationale de la Belgique. Mais ce qu'il importerait surtout d'avoir aujourd'hui, ce serait, moins une biographie (l'Académie d'ailleurs s'en occupe en ce moment) qu'un tableau historique qui pût montrer les travaux de la nation et apprécier les idées qui dominaient aux diverses époques en même temps que les faits qu'elles ont pu produire.

écrivit un article qui donna lieu à des poursuites judiciaires; mais malgré l'opinâtreté de ces poursuites, il triompha successivement devant la cour d'assises, le tribunal de police correctionnelle et la cour d'appel.

Ce procès à peine terminé, le ministère public en commença imprudemment un second, qui promettait de suivre à peu près les mêmes phases que le précédent, quand éclata la révolution de 1830. Weustenraad se rendit aussitôt à Bruxelles pour coopérer de tous ses moyens à l'indépendance de la Belgique. Pendant qu'il servait de sa plume la cause qu'il avait embrassée avec tant d'enthousiasme, son frère la servait de son épée : c'est à ce sujet qu'il composa la pièce qui commence par ces vers :

C'est ici que tomba l'élite de nos braves,

C'est ici que mon frère est mort pour son pays,
Mort, à vingt ans, sous les canons bataves...

Dans cette espèce de dithyrambe, l'auteur annonce, d'un ton prophétique, que le régime du sabre est désormais passé :

Soldats, pour le bonheur du monde

Vous ne pouvez plus rien; non, vos chefs ne sont plus
Les symboles vivants du Verbe qui féconde :

Place donc à d'autres élus!

Ces derniers mots trouvent leur explication dans les Chants de réveil, qu'il publia vers la même époque, sous le non supposé de Charles Donald ('). Weustenraad y proclame avec enthousiasme l'avènement du saint-simonisme et l'inauguration d'une ère nouvelle.

Le saint-simonisme, en effet, venait de faire irruption en

(') Tongres, chez J. Billen, 1831, 1 brochure de 32 pages.

Belgique. Pierre Leroux et un élève de l'ancien lycée de Gand, Margerin, furent ses deux premiers apôtres parmi nous. Prêchée ensuite par une série de jeunes missionnaires, dont plusieurs ne manquaient ni de savoir, ni d'éloquence, la religion nouvelle causa, au premier abord, une assez vive sensation. Des observations justes sur les vices de notre état social, des aperçus brillants sur les différentes époques historiques, un système mathématiquement coordonné en apparence et paré de tout le luxe des images orientales, la réhabilitation de la théorie des plaisirs sensuels, en fallaitil davantage pour frapper les esprits et surtout pour séduire de jeunes imaginations? Toutefois, les choses n'allèrent pas aussi loin que chez nos voisins; le bon sens, qui caractèrise si éminemment notre nation, prévint les déceptions nombreuses qu'on s'apprêtait à enregistrer.

Les Chants de réveil annonçaient déjà un véritable talent poétique, mais qui avait besoin de se perfectionner encore. C'est ainsi du moins que leur auteur en jugea lui-même; car, dix ans plus tard, il les refit presque complétement: il adoucit les images exagérées, supprima différents passages faibles et en conserva le Chant du prolétaire, ainsi que Le Vieux Drapeau.

Il jugea également à propos de tempérer les acclamations trop vives dont il avait salué la religion nouvelle. Au vers, peu harmonieux d'ailleurs :

Gloire à toi, Saint-Simon, seul vrai Dieu de ta race,

qui commençait le troisième Chant de Réveil, il substitua :

Gloire à toi, Saint-Simon, gloire aux fils de ta race!

Il débuta en même temps par cette strophe qu'on ne trouve pas dans la première édition :

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